René GERVILLE-RÉACHE (1871-1912)


Gerville-Réache en 1896, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Né à la Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), le 10 juillet 1871. Décédé à Bois-Colombes, le 9 mars 1912.
Sa fille Danielle décéda peu après son père, le 6 juillet 1912.

Ingénieur civil des mines de la promotion 1893 de l'Ecole des Mines de Paris.


Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des Mines de Paris, Mai 1912

René GERVILLE-RÉACHE vécut successivement, dans son enfance, à la Guadeloupe, à Madagascar, à Tahiti et à la Réunion. Il vint à Paris en 1886 pour poursuivre ses études aux lycées Saint-Louis et Louis-le-Grand.

A sa sortie de l'École des Mines, il fut d'abord attaché au service des études financières du Crédit Lyonnais (1896-1897) ; puis (de 1898 à la fin de 1904) au service du matériel et de la traction à la Compagnie P.-L.-M.

Le 15 janvier 1905, il entra à la Compagnie française des chemins de fer de Santa-Fé, comme ingénieur adjoint au service des approvisionnements et du contrôle.

A ce moment, la Compagnie poursuivant la réalisation de son programme d'augmentation du matériel roulant procédait à des commandes importantes de wagons, voitures et locomotives.

GERVILLE-RÉACHE eut donc à s'occuper de la préparation de ces commandes et à en assurer la bonne exécution chez les divers fournisseurs.

La compétence et l'activité avec lesquelles il s'acquitta de cette tâche lui valurent d'être placé en janvier 1907 à la tête du service des commandes du matériel roulant. Il fit, au commencement de 1909, un séjour de quelques semaines à Santa-Fé, sur le lieu même de l'exploitation. C'est à son retour d'Argentine qu'il ressentit les premières atteintes de la maladie qui devait l'emporter.

Pendant les quelques années qu'il passa au service de la Compagnie, il sut, par ses qualités techniques, par l'élévation de son esprit et l'affabilité de son caractère, se faire hautement apprécier de ses chefs et de ses collègues ; et sa disparition prématurée laissa les plus profonds regrets chez tous ceux qui l'avaient connu.

GERVILLE-RÉAGHE ne fut pas seulement un ingénieur distingué, et il sera permis à l'un de ceux qui l'approchèrent le plus près de tenter de mettre en lumière quelques côtés de son caractère et de son intelligence.

Au premier abord GERVILLE avait l'aspect grave et sévère, mais dès qu'il causait sa physionomie s'éclairait d'un sourire très bienveillant et on sentait de suite sa nature extrêmement vibrante et bonne.

Il charmait par sa parole chaude et ardente, qui dans le feu même de la discussion restait toujours impeccablement précise et correcte. Il possédait une culture littéraire étendue. Il avait une connaissance approfondie de plusieurs langues vivantes et mortes; par là il avait acquis un instrument de travail d'autant plus précieux que, loin d'être seulement un bon traducteur, il était arrivé par ses lectures à pénétrer intimement l'esprit des différents peuples et à avoir, selon son expression, autant d'âmes que de langues.

Bon musicien et mathématicien de premier ordre, il portait un intérêt particulier aux sciences philosophiques, et il était heureux de trouver en toutes choses une belle harmonie ; mais avant tout il était passionné de rechercher la vérité quelque sévère et même décevante qu'elle pût en certains cas lui apparaître.

Il éprouvait toujours une satisfaction intellectuelle très pure à l'étude des problèmes qu'on lui posait. Peu avant sa mort, je lui avais soumis un problème dont je ne retrouvais plus la solution : trouver le centre d'un cercle avec le compas, quelques jours après il m'envoyait la solution générale : résoudre avec le compas seul tous les problèmes de la géométrie plane.

Nourri de la lecture des philosophes et tourmenté d'absolu, il s'intéressait passionnément aux questions religieuses. Il n'était pas de point de dogme ou de morale qui ne lui fût devenu familier. GERVILLE-RÉACHE n'appartenait pas à ceux que laisse ou paraît laisser indifférent le mystère de la destinée humaine; il avait longuement réfléchi sur ce sujet et il aimait à en parler toutes les fois qu'il pouvait le faire sans froisser personne. Avec cette rigueur de raisonnement qui était une des marques de son esprit, en même temps qu'avec une chaleur qui n'empêchait point la parfaite possession de soi-même, il exposait ses idées tant pour convaincre son interlocuteur que pour avoir l'occasion d'éclairer davantage sa conscience.

La pratique de la méditation, l'habitude qu'il avait prise de vivre d'une vie intérieure, avaient donné à son âme une grande sérénité. Aussi est-ce avec calme qu'il vit approcher la mort. Alors même qu'il se sentait irrévocablement perdu, c'est à peine s'il parlait de sa santé et il abordait de suite un sujet intéressant pour son visiteur, faisant taire les légitimes préoccupations que pouvait lui causer sa fin.

Cependant l'idée de la mort lui fut cruelle; non que pour lui-même, cet homme si parfaitement droit, craignît l'inconnu de l'au delà; mais il lui fallait abandonner trop tôt une famille très nombreuse et très tendrement aimée. L'ignorance où il se trouvait de l'avenir des siens fut la torture de son agonie.

Très attaché à ses devoirs, GERVILLE-RÉACHE avait, en même temps qu'une grande simplicité et une extrême bienveillance, un très haut souci de sa dignité personnelle et on peut lui appliquer une fière devise française : plus d'honneur que d'honneurs. Aussi inspirait-il, à qui le connaissait, non seulement de l'affection, mais encore le respect mérité par tout homme qui met, en toutes circonstances, sa vie en conformité avec ses principes. Jusqu'à ses derniers jours, en face de la mort, il garda ce souci de soi-même; jusqu'à ses derniers jours restèrent intactes ses facultés morales et intellectuelles. Et si la mort apparaît particulièrement troublante, c'est bien lorsqu'une longue maladie a pu détruire lentement tous les ressorts physiques en respectant jusqu'au bout un grand esprit et un grand coeur.

L. GRENET.