Alfred CAPUS (1857-1922)

Ancien élève de l'Ecole des Mines de Paris, Alfred CAPUS n'obtint pas le diplôme d'ingénieur civil des mines.

Il avait été recu a l'Ecole des mines en 1876, classé 16eme sur 22 admis dans le programme des ingénieurs civils.
Au concours d'entrée, il obtint les notes suivantes : physique: 14, algebre: 9, geometrie: 12, dessin: 8, composition francaise: 16. Visiblement, il était davantage doué pour la littérature.

Il entre en 1914 a l'Académie Française. Sa biographie est disponible sur le site web de l'Académie Française.


Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, octobre-décembre 1922 :

M. Alfred Capus est mort, le 1er novembre, dans une maison de santé de Neuilly, où l'on avait dû le transporter, des suites d'une fièvre typhoïde, dont le caractère de gravité ne laissait plus d'espoir à ses amis depuis quelques jours.

Il était né à Aix-en-Provence ; il avait quitté sa ville natale pour venir terminer ses études à Paris, au lycée Condorcet. Après avoir quitté l'Ecole des Mines, il suivit son penchant pour la carrière des lettres. Après sa collaboration à l'Echo de Paris et à d'autres journaux, il débuta en maître dans le roman avec Qui perd gagne. Il publia ensuite, avec un succès croissant, Faux départ, Monsieur veut rire, Années d'aventure, etc. Ses dernières Scènes de la vie difficile vont paraître en librairie dans quelques jours. Au théâtre, où se révéla sa véritable maîtrise, il a donné de nombreuses pièces qui sont restées célèbres : Brignol et sa fille, les Maris de Léontine, M. Piégeois, la Veine et les deux écoles, qui comptèrent parmi ses plus grands succès ; Notre jeunesse, et il n'y a pas si longtemps, la Traversée, qui fut sa dernière pièce.

A côté de ce labeur énorme, il continuait son œuvre de journaliste. Il a écrit au Gaulois, et au Figaro, dont il était, en dernier lieu, le directeur des chroniques et des articles politiques.

Alfred Capus était, depuis 1914, membre de l'Académie française, où il ne fut officiellement reçu qu'après la guerre. Dernièrement, il avait été fait commandeur de la Légion d'honneur. Il a présidé la Société des auteurs dramatiques et, hier encore, il était président de la Maison des journalistes.


Alfred Capus (1858-1922) de l'Académie française.

par Jean Lair (P 19)
Fondateur du « Puits-qui-parle ».

Ce texte a été publié en 1964 dans le numéro du Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, à l'occasion du centenaire de la création de l'Association :

La disparition prématurée de M. Pierre BRISSON nous prive des pages qu'il avait accepté de consacrer ici à notre ancien camarade qui fut l'un de ses prédécesseurs à la Direction littéraire du « Figaro », de 1914 à 1922.
Nous avons emprunté a un numéro de 1923 du « Puits qui Parle », édité par les Elèves à l'Ecole, ce témoignage vivant du Délégué de la promotion 1919, Jean LAIR, sur la fidélité d'Alfred Capus à notre Ecole.
R. A.

Alfred Capus est mort le 1er novembre. Tour à tour ou simultanément journaliste, romancier, auteur dramatique, il a brillé au plus haut point dans ces trois genres et d'un éclat bien personnel.

Que n'a-t-on pas dit de son ironie, de son optimisme et de sa bonhomie qui, pour trop d'esprits superficiels, suffisaient, et parfois avec malveillance, à caractériser son oeuvre littéraire ? Pour tous les critiques éclairés, il a été, au contraire, un homme de goût, un esprit supérieur, un des meilleurs écrivains de l'époque, observateur attentif des hommes de ce siècle et de tous les temps, cherchant ses personnages autour de lui et dans un milieu moyen, les peignant tels qu'ils sont, sans apprêt de langage ou de mise en scène, dans un style simple, clair, précis, dans un pur français du XVIIIe siècle traduisant une haute culture latine. Sa fine ironie et son optimisme bienveillant, son scepticisme apparent étaient l'expression d'une indulgence éclairée et d'une profonde philosophie.

Esprit pétillant, d'une malice sans méchanceté, il parsemait ses œuvres de réparties ou de réflexions spirituelles, mais aussi de maximes qui, tout en conservant un tour alerte, pourraient soutenir la comparaison avec celles des meilleurs moralistes. Son style était le vêtement de coupe simple et élégante dont il revêtait une pensée juste et nette.

A. Capus était académicien depuis 1917, ayant succédé à Henri Poincaré ; il avait été promu, en août dernier, Commandeur de la Légion d'Honneur.

Mais je n'ai pas la prétention de juger ici l'écrivain ; mes récentes études scientifiques ne m'ont point préparé à ce rôle de critique littéraire et je ne pourrais que déflorer ce qui a été dit et écrit par l'élite de nos hommes de lettres. Plus simplement, je tiens à rappeler que Capus fut l'un des nôtres, que l'Ecole s'honore de l'avoir compté au nombre de ses élèves, que son nom figure en lettres d'or à l'entrée de la bibliothèque des Mines, sur le grand tableau où sont inscrits nos Anciens, membres de l'Institut ; qu'il conserva enfin, avec de l'amitié pour plusieurs des camarades de son époque, une affection bienveillante pour nous tous, s'intéressant à nos études, à notre vie, et... au Puits qui parle.

A. Capus avait eu une vie heurtée, une jeunesse quelque peu aventureuse faite de contrastes. Se destinant primitivement à l'Ecole navale, il avait échoué à l'Ecole Polytechnique et avait été reçu à l'Ecole des Mines dont il s'échappe au bout d'un an. Dans une charmante causerie, « Cultivons notre jardin », faite par lui, fin 1920, à l'une des soirées du mardi et reproduite dans le premier numéro du Puits qui parle, de janvier 1921, il nous raconte lui-même ses débuts. « Je n'ai fait que passer à l'Ecole, je n'y ai pas terminé mes études, j'en ai été arraché par toutes sortes de hasards que je vous présente comme des excuses »

Il chercha alors sa voie dans le journalisme.

Cet « éclatement de sève qui le lança dans l'aventure » lui valut évidemment quelques difficultés au début, quelques déboires dont il lui resta peut-être un doux scepticisme, une philosophique résignation. Toujours est-il qu'il conserva de sa préparation et de son passage à l'Ecole une haute culture scientifique qu'il ne perdra jamais, et qu'il entretiendra même soigneusement, presque à l'insu de ses amis les plus intimes. Son discours de réception à l'Académie, où il eut à faire l'éloge de son prédécesseur Henri Poincaré, fut, à ce sujet, une révélation ; on ne revenait pas de l'aisance avec laquelle il évoluait au milieu des plus hautes difficultés scientifiques.

Qui sait si cette formation première n'a pas influé sur son talent littéraire, n'a pas contribué à développer en lui ce jugement droit, cette raison pure, cette précision et cette sobriété de langage qui caractérisent ses ouvrages? Toujours est-il qu'il revivait avec plaisir sa jeunesse passée dans l'étude des mathématiques. Sa vieille tante à l'accent méridional qui lui reprochait de les avoir abandonnées, était, nous dit-il, « une femme d'un grand bon sens ».

J'ai eu trois fois l'honneur et le très vif plaisir d'être reçu par lui, après rendez-vous donné à midi, selon la tradition. Le Maître était revêtu de sa robe de chambre non moins traditionnelle. Accueil aimable, simple, sans expansion, mais qui mettait néanmoins à l'aise. Le cabinet de travail, à l'entre-sol, avait ses fenêtres sur les jardins du Champ de Mars et recevait directement le soleil. A. Capus n'avait gardé que quelques traces de l'accent du Midi natal, mais il tenait à ce soleil, source de gaité, qui donne parfois un tour si vif et si primesautier à ceux dont il a éclairé l'enfance.

Au cours de ces entretiens, après quelques paroles bienveillantes sur le Puits qui parle qu'il avait lu, et à l'adresse de son rédacteur en chef, après une courte conversation d'ordre littéraire, après m'avoir notamment bien volontiers promis quelques articles dont le premier devait paraître vers cette date même de notre Revue, A. Capus en vint bien vite à l'Ecole des Mines et me posa un certain nombre de questions sur nos cours, sur nos études, sur les conditions qui nous étaient faites à la sortie, et il me passa la parole, car cet homme intelligent parlait assez peu et savait écouter, et, en écoutant, il observait et il souriait, encourageant son interlocuteur. Après m'avoir laissé ainsi lui décrire les difficultés que rencontraient les jeunes ingénieurs, il me témoigna tout l'intérêt qu'il nous portait, me donnant, avec la plus grande simplicité, les paroles d'encouragement et de réconfort, paraphrases de la douce philosophie exprimée dans ses oeuvres. On aurait dit l'entretien d'un père avec son fils, ou au moins d'un frère aîné avec un cadet qu'il affectionne. On connaît d'ailleurs cette philosophie. C'est la célèbre réplique de la Veine : « Tout homme un peu bien doué, pas trop sot, pas trop timide, a dans la vie son heure de veine, un moment où les autres hommes semblent travailler pour lui, où les fruits viennent se mettre à la portée de sa main pour qu'il les cueille ». Mais ce n'est pas là l'optimisme béat que certains lui ont reproché. N'a-t-il point écrit aussi : « La carrière d'un homme est le produit de son travail par les circonstances ». « La volonté est une arme qu'il faut polir et manier sans cesse pour qu'elle soit prête le jour du combat ». Dans cette charmante allocution au cercle de l'Ecole dont j'ai parlé plus haut, il nous disait : « la vie est un perpétuel héritage de soi-même ;... il faut chercher sans cesse à féconder ce qui en reste. Or, jusqu'à la mort, il reste toujours quelque chose à faire, si peu que ce soit, et la vie doit être considérée comme inépuisable ». Ou encore « le supréme recours contre les chances de la vie reste toujours l'intelligence, le courage, le bon sens ».

Tel était le Maître que j'ai vu et entendu dans l'intimité de son cabinet de travail, intelligence consacrée à la méditation, travailleur connaissant la nécessité de l'effort, non pas l'homme du « tout s'arrange » au sens qu'on a voulu lui attribuer, estimant seulement que le mérite et le talent finissent par triompher, mais non sans éviter les duretés de l'existence, sans travail, sans heurts passagers.

Cet homme aimable était aussi notre ami à tous ; sa gloire rejaillit sur notre Ecole ! Le Puits qui parle, auquel il avait daigné s'intéresser, les élèves et anciens élèves de l'Ecole des Mines, dont il était resté l'affectueux Camarade, gardent pieusement son souvenir.

Jean LAIR (P 1919).