Fernand Albert Jean BLONDEL (1894-1968)

Ancien élève de l'Ecole Polytechnique (promotion 1913 ; sorti classé 13) et de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1919-1921 ; entré classé 9 et sorti classé 6). Corps des mines (à titre colonial).

Né le 12/9/1894 à Paris. Décédé le 21/8/1968.

Au sujet du rôle de F. Blondel dans la réalisation de la Carte géologique du Monde, voir : La genèse de la Commission de la Carte géologique du Monde, par Philippe Bouysse, Travaux du COFRHIGEO.


Bull. Soc. géol. de France, (7),XII, 1970, no 5, pp. 733-747.

Fernand BLONDEL
par Eugène RAGUIN et Jean MARÇAIS

C'est au nom de M. Raguin et au mien que je viens rendre hommage à celui qui fut notre Président en 1937, et dont le dévouement à la Société géologique de France fut constant, tout au long d'une vie bien remplie.

Né en 1894 dans une famille parisienne de souche, Fernand Blondel, après des études brillantes au lycée Charlemagne, fut reçu en 1913 dans les premiers à l'École polytechnique. Une jeune et légitime ambition d'élève brillant lui faisait même envisager de démissionner pour entrer major à l'X. Les conseils de son père et de ses professeurs lui firent renoncer à ce projet, heureusement, car après un an d'école il partait à la guerre comme sous-lieutenant d'artillerie en 1914. Combattant valeureux, gravement blessé aux Eparges en 1916, il finissait la guerre avec les croix de guerre française et belge et la Légion d'honneur. Puis, ayant après la guerre achevé le cycle de ses études à Polytechnique et à l'École des Mines, fortement marqué par l'enseignement de maîtres illustres, il partit sur les conseils de Pierre Termier à Saint-Étienne.

Ainsi commençait la première partie de la vie de F. Blondel que l'un d'entre nous (E. R.) dans la partie de la notice qu'il a préparée appelle la période stéphanoise de notre ancien Président.

1. - TRAVAUX DE LA PÉRIODE STÉPHANOISE (début de la carrière de F. Blondel).

Professeur à l'Ecole des Mines de Saint-Étienne et assurant en même temps les fonctions administratives du Service des Mines, il trouva naturellement un point d'application de choix à son goût pour la géologie. Suivant la tradition, plusieurs jeunes ingénieurs du Corps des Mines s'étaient adonnés à cette science et avaient commencé à Saint-Étienne de brillantes carrières géologiques. Dans la région, Pierre Termier et G. Friedel avaient soulevé, quinze ans auparavant, d'immenses problèmes avec leur hypothèse de grandes nappes de charriage de style alpin au sein des terrains métamorphiques.

Trois années consécutives, encouragé par P. Termier, Blondel poursuivit la préparation de la seconde édition de la feuille Saint-Étienne au 1/80 000 pour le Service de la Carte géologique de la France, avec la mission d'étudier l'application éventuelle des nouvelles théories. Avec A. Demay ils se partageaient ce domaine. L'affaire se révélait complexe. Successivement G. Friedel et P. Termier, puis F. Grandjean et G. Friedel avaient ébauché des synthèses tectoniques différentes de 1906 à 1909. Un pays de nappes doit comporter de grandes surfaces de contact anormal, que l'on pensait devoir être nécessairement mylonitiques. Or si les « gneiss granulitiques » - on dirait plutôt « gneiss leptynitiques » aujourd'hui - semblaient flotter sur granite et gneiss autochtones, il n'y avait pas de mylonites partout dans le contact, tant s'en faut. Des passages continus d'un complexe à l'autre paraissaient s'affirmer ici ou là. La même remarque pouvait être faite pour le complexe des micaschistes, considéré tantôt comme indépendant, tantôt comme lié aux gneiss.

Les comptes rendus de Blondel révèlent un travail minutieux et objectif, libre d'idées préconçues et libre aussi à l'égard des vues ou hypothèses des patrons. Il relève et énumère de nombreux affleurements qui sont tantôt pour, tantôt contre l'idée du contact anormal. Finalement, à la suite d'une étude de détail très remarquée des mylonites granitiques de la tranchée du chemin de fer de Montluçon à Néris, étude qui lui avait été suggérée par G. Mouret, cet excellent connaisseur de l'Ouest du Massif central, Blondel met en évidence la discontinuité intrinsèque des structures d'écrasement dans toutes les zones mylonitiques. Il se trouve alors plus à l'aise pour apprécier comme anormal le contact de base des « gneiss granulitiques » de la feuille de Saint-Étienne. Toutefois, soulignant l'importance du fait, il se refuse cependant à conclure sur le plan général de la grande tectonique, estimant prématuré de le faire. Avec le recul du temps, on est frappé de cette sagesse et de cette intuition. A-t-il pressenti que les mylonites s'avéreraient après quelques décennies d'un intérêt très relatif, étant souvent postérieurs aux mouvements principaux ; que des notions nouvelles, zonéographie, recristalisations syntectoniques, émergeraient, apportant des éléments d'appréciation autrement puissants pour la grande tectonique ?

En même temps il s'intéressait au bassin houiller stéphanois et se voyait confier une étude de synthèse par plusieurs compagnies. Ce travail était destiné à mettre au point et prolonger dans l'Ouest du bassin les synthèses de Gruner et de Coste. Blondel donna une minutieuse et exhaustive analyse critique des données recueillies dans les travaux miniers, qui resta inédite, et une conclusion sur l'histoire géologique complexe du bassin, qui fut publiée à la Revue de l'Industrie minérale. L'hypothèse de grands lambeaux de Houiller déplacés par mouvements tangentiels subhorizontaux n'a toutefois pas été retenue dans la suite et la structure du bassin semble s'interpréter par failles normales.

II. - LA PÉRIODE INDOCHINOISE.

Le cadre stéphanois était étroit pour le jeune professeur qui, tout en cherchant sa voie, rêvait déjà d'une activité internationale. J'imagine qu'il accepta avec une vive satisfaction le poste de chef du Service géologique d'Indochine qu'il occupa de 1926 à 1928. Charles Jacob, quelques années auparavant, avait réorganisé ce service et lui avait donné une belle impulsion. Mais ce brillant maître de la géologie était revenu en métropole appelé à d'autres tâches, et il était à craindre que la géologie de la lointaine « colonie » retombât au régime ralenti assez caractéristique à l'époque de maints territoires d'Outre-Mer en ce qui concerne leur développement géologique et minier.

Blondel se mit avec ardeur à l'oeuvre, et il paya largement de sa personne pour entraîner les jeunes géologues et encourager les anciens. On n'avait pas à l'époque les facilités qui devinrent vingt ans plus tard d'un usage courant, jeeps, avions, infrastructure. Constatant que la partie méridionale du pays dès le Sud de Tourane (Cho-Han) était pratiquement inconnue en ce qui concerne sa structure géologique et ses ressources minérales potentielles, il consacra le plus possible de son temps à la parcourir et à l'étudier.

En 1927, au cours d'un grand périple asiatique, A. Lacroix consacra deux mois à visiter l'Indochine, et Blondel eut la joie de le guider constamment sur les lieux. On imagine le bénéfice qu'une telle rencontre avec ce grand savant, sur les lieux mêmes de leurs observations géologiques, apporta au jeune chef du Service géologique. Ce devait être d'ailleurs l'origine du culte déférent et de l'amitié que Blondel voua constamment à l'illustre pétrographe.

Au cours de son séjour en Indochine et ensuite, Blondel publia dans une série de communications à l'Académie des Sciences de substantielles observations sur cette partie du pays. Après une note (en collaboration avec Lacroix) sur les pépérites, ce furent des notes sur le volcanisme récent, sur les volcans basaltiques, sur l'altération des terres rouges, sur les phénomènes karstiques, sur la métallogénie du gisement de zinc de Cho-Dien au Tonkin. Il publia aussi plusieurs articles ou notes synthétiques sur la nature géologique, la structure d'ensemble du Sud-Est de l'Indochine, et plus généralement sur les mouvements tectoniques dans cette partie du globe. Une carte géologique de l'Indochine au 4 millionième parut en 1927. Enfin au Congrès géologique international de Pretoria une magistrale mise au point fut donnée par Blondel, intitulée « Etat de nos connaissances en 1929 sur la géologie de l'Indochine française ».

Ayant remplacé à la tête du Service des Mines et de la Carte géologique M. Lochard, en 1928, il donna à l'activité minière une impulsion nouvelle et après avoir mené à bien de difficiles négociations avec le Japon et la Chine il réorganisa les Charbonnages du Tonkin.

En même temps l'aspect économique n'était pas négligé. En 1928 il présenta le premier inventaire des sources thermales d'Indochine et, les années suivantes, plusieurs conférences et articles sur les charbons de ce pays et sur son développement minier en général.

En 1929, ayant transmis la direction du Service géologique à J. Fromaget, il revient en Europe chargé d'une mission de reconnaissance par la France ; il visite Java, l'Afrique du Sud, où il prend une part active au Congrès géologique de Pretoria, faisant attribuer à la France le secrétariat général de la Carte géologique internationale de l'Afrique, puis il visite enfin les pays de la côte occidentale d'Afrique.

Rentré en France en 1929 après ce long périple, il a 36 ans. Il fait alors le point de tout ce que cette large information lui a apporté, sentant d'une part l'incroyable retard des études géologiques et minières dans les territoires administrés par la France et d'autre part l'insuffisance du développement des recherches et de la production minière.

III. - RÔLE DE F. BLONDEL POUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA GÉOLOGIE DE LA FRANCE D'OUTRE-MER.

Il attire l'attention du Gouvernement français et des sociétés minières sur ces problèmes de la géologie et de la recherche minière dans ce qui était alors l'Empire colonial et les territoires d'Outre-Mer.

Dès son retour en France, après Pretoria, il se voue au redressement de cette situation et domine d'emblée le problème. Celui-ci avait plusieurs aspects : nécessité d'établir une documentation de base constamment tenue à jour, formation de géologues adaptés aux recherches géologiques et minières d'Outre-Mer, intéressement des milieux industriels peu sensibilisés jusqu'alors aux possibilités de nos territoires, et, au-dessus, nécessité de promouvoir compréhension et efficience de la haute administration coloniale à Paris et dans les Territoires. Sur tous ces plans il se manifeste aussitôt un animateur extraordinaire, mettant en oeuvre sa compétence personnelle hors ligne, fruit d'une expérience vécue, sa connaissance des hommes et ses relations dans les milieux appropriés les plus divers, scientifiques, universitaires, industriels, économiques, administratifs. Son dynamisme, sa foi, son optimisme cristallisent et orientent les bonnes volontés et les actives collaborations.

Il s'adresse aussitôt aux industriels, auprès desquels il trouve une compréhension qui ne s'est jamais démentie dans la suite de sa carrière. Sous les auspices et avec le financement du Comité des Houillères, du Comité des Forges et de la Chambre syndicale des Mines métalliques, est créé le Comité d'études minières coloniales, dont Blondel est nommé directeur, avec pour premier objectif le rassemblement d'une documentation. Rapidement le Comité se substitue une fondation, le Bureau d'études géologiques et minières coloniales, sans but lucratif, doté d'un capital dont les revenus devaient assurer le financement. Blondel sut se servir de cet outil pour réaliser une oeuvre d'intérêt général, alors qu'il aurait pu n'être qu'un service de renseignements pour le patronat. L'administration en fut bien consciente, puisque par la suite les fédérations (AOF, AEF notamment) attribuèrent des subventions annuelles au Bureau. Dans le fonctionnement de cet organisme Blondel trouva un appui précieux dans la collaboration de G. Daumain jusqu'à la mort de celui-ci, puis dans celle de J. Lombard à partir de 1955.

Dès sa fondation le Bureau d'études géologiques et minières coloniales entreprend en 1932 la publication mensuelle de la Chronique des Mines coloniales. Cette publication s'est poursuivie jusqu'à présent sous la direction de J. Lombard, gérant du journal depuis 1955 et ensuite directeur, et elle a paru jusqu'en 1970 sous le titre modifié de Chronique des Mines et de la Recherche minière pour être finalement reprise par le Bulletin du BRGM sous forme de fascicules distincts dans le cadre de ce périodique. Couvrant un éventail étendu qui porte sur l'actualité géologique et minière, sous l'angle tant scientifique qu'économique, technique, administratif, bibliographique, et offrant au fur et à mesure maints articles originaux de haute tenue et des mises au point synthétiques de grande valeur, la Chronique a eu dès l'origine un rôle capital, non seulement pour documenter et instruire un large cercle de lecteurs, mais plus généralement pour accorder ou même réconcilier le mineur et le géologue, jadis enclins à s'ignorer au grand dam de l'un et de l'autre.

A partir de l'hiver 1931-32, Blondel organise un cycle de conférences au Muséum sous le patronage du professeur A. Lacroix. Des spécialistes soigneusement choisis viennent y exposer les thèmes qu'il a tracés. Ces conférences réunies sont publiées sous la forme d'une belle série de Mémoires par le Bureau d'Etudes. Lui-même paye largement de sa personne et donne des conférences sur les terrains sédimentaires de Madagascar, sur le charbon d'Indochine et Madagascar, sur le fer, sur divers métaux connexes, sur l'étain et le tungstène, le zinc, le plomb, etc.

L'importance des Mémoires du Bureau d'études géologiques et minières coloniales et l'étendue des matières traitées ressortent de l'énumération suivante. Le premier, « La géologie et les mines de la France d'Outre-Mer », donne une idée d'ensemble, en guise de mise au point. Le suivant, « Introduction aux études minières coloniales », expose les problèmes des diverses branches concernées par l'étude géologique et minière des territoires d'Outre-Mer. Ensuite viennent une série de Mémoires sur les substances donnant, ou pouvant donner, une production minière dans ces territoires : I. Le charbon ; II. Le fer ; III. Le plomb et le zinc, l'argent et des substances d'importance secondaire ; IV. Les phosphates; V. Le pétrole. Dans la même collection il publie en 1936 son mémoire fondamental :

« La géologie et les mines des vieilles plates-formes », dont l'influence sera considérable. Il met en évidence ce qu'on peut attendre des régions de ce type, auquel appartiennent la majorité des territoires français de l'Afrique (mis à part le Maghreb), ainsi que la Guyane, Madagascar, le Sud-Est de l'Indochine. Il y témoigne d'une remarquable justesse d'appréciation et d'une érudition étendue à l'ensemble du globe. Les notions, maintenant classiques, de métallogénie de socle et de métallogénie de couverture y sont définies.

La formation des jeunes géologues pour la vaste tâche qui s'impose à notre pays est un impératif majeur. Blondel pousse à la création de « stages précoloniaux », assortis de bourses d'études et fournissant un complément de formation géologique appropriée à de jeunes ingénieurs ou licenciés sortant respectivement des Écoles supérieures et de l'Université. Cette formule heureuse se poursuivra jusqu'à présent à l'École des Mines de Paris, bien que les objectifs aient nécessairement évolué. Pendant toute cette période, il fait plusieurs longues missions en Afrique et fait profiter de son expérience les jeunes services des mines et de la géologie qui essayaient de commencer un travail d'ensemble avec des moyens bien modestes.

Après la coupure de la guerre, passée en grande partie dans des fonctions officielles de répartition des minerais et métaux, il se trouve, par le hasard des circonstances, à Alger où lui furent confiées pendant un court temps d'importantes fonctions.

Revenu en France, il reprend, avec l'aide matérielle et à la demande du ministère de la France d'Outre-Mer, l'activité du Bureau d'Études et l'édition de la Carte géologique d'Afrique dont la dernière feuille fut présentée au Congrès géologique d'Alger en 1952. En même temps il s'efforce d'aider au développement industriel de l'Outre-Mer. Si ses efforts pour la mise en valeur des phosphates de Lao Kay n'aboutirent pas en raison du développement de la situation politique en Indochine, c'est à lui qu'appartint d'établir le volumineux rapport qui permit le lancement de l'exploration du gisement de fer de Conakry. Chargé de la présidence du Bureau minier guyanais, il essaie de créer une réelle activité minière dans ce département éloigné, notamment pour la bauxite et l'or. Simultanément, il participe avec son ami Brisset à l'organisation des Charbonnages du Canada. Son activité de mineur directement liée à l'exploitation ne fut pas moindre que son rôle scientifique.

Il reste que fut réalisée, dès la période de guerre et jusqu'à la décolonisation, une exploration géologique qui aboutit en une vingtaine d'années à une connaissance avancée d'immenses espaces auparavant terra incognito, à cet égard. Les personnes averties savent quel capital représente une telle oeuvre. On écrira peut-être un jour cette véritable épopée. Si l'essentiel est à mettre au crédit des exécutants dont le dévouement et l'enthousiasme méritent généralement l'admiration, l'impulsion donnée par Blondel y est néanmoins pour beaucoup : par sa Chronique, par ses conférences dans les milieux dirigeants, par des missions dans les Territoires, non seulement dans les capitales mais aussi dans la brousse.

Son souci de mettre à la disposition de tous une bibliographie aussi complète que possible des territoires d'Outre-Mer lui avait permis de donner une première édition en 1941, complétée par une seconde édition en 1952. Cette oeuvre, à laquelle C. Daumain avait très efficacement contribué, joue aujourd'hui encore un rôle considérable dans notre information.

L'activité de F. Blondel sur tous les plans, fut à la fois classique et novatrice. S'il a assuré et dirigé des recherches de géologie au sens le plus complet des mots, il a très vite senti la nécessité d'élargir les méthodes classiques et de déborder le cadre des disciplines traditionnelles. Il suffit de se référer à la liste de ses publications pour se rendre compte de la variété de ces recherches et de l'intérêt qu'il a porté aussi bien aux applications minières qu'à la mise en oeuvre de conceptions plus larges orientées vers la statistique, la documentation, la bibliographie, la répartition géographique, la recherche opérationnelle et l'économie d'une manière générale.

Au début, les rapports du Bureau d'études géologiques et minières coloniales avec le ministère des Colonies furent difficiles, en partie à cause du caractère privé de la fondation, et surtout à cause d'une certaine méfiance à l'égard d'un jeune ingénieur qui bousculait les errements traditionnels. D'ailleurs la section des Mines de l'Inspection générale des Travaux publics dans ce ministère était confiée à des agents subalternes coiffés par des ingénieurs des Ponts et Chaussées peu qualifiés dans ce domaine. L'autonomie des Services des Mines coloniaux, puis la création du corps des Géologues de la France d'Outre-Mer avec hiérarchie centralisée à Paris en dépit des habitudes consacrant l'autonomie des gouverneurs des colonies, permirent un retournement de la situation ; et l'on peut penser que le mouvement d'idées créé par Blondel y contribua fortement.

Dans cette laborieuse période initiale, son action fut surtout de persuasion et de mise à disposition de documentation. Il trouvait écho auprès des éléments jeunes et actifs de l'Administration et il les soutint de ses conseils. Il effectua plusieurs longues tournées africaines, convaincu que la meilleure argumentation s'instaure sur les lieux. Quand le ministère confia aux Services de Mines et de la Géologie des territoires d'Outre-Mer la mission de l'exploration géologique et du lever de la carte géologique d'ensemble, Blondel dut certainement ressentir l'événement comme une victoire personnelle, d'ailleurs toute désintéressée.

Il continuait son rôle d'animateur. Conseiller écouté des chefs de services, il était en même temps pour les plus jeunes, comme dit P. Legoux : « à la fois l'ancien que l'on respecte, le patron que l'on consulte, sans cesser d'être, en dépit des différences d'âge, l'ami à qui on se confie, et, au cours des longues et pénibles tournées africaines, le camarade plein d'humour qui s'amuse des incidents de route et de l'inconfort des étapes. » Les travaux, les résultats, les rapports annuels étaient mis en valeur dans la Chronique, véritable lien pour les géologues de l'Administration ou des sociétés privées, entre eux et avec la métropole.

IV. - L'IMPULSION NOVATRICE DE F. BLONDEL POUR LA GÉOLOGIE ÉCONOMIQUE.

Blondel a donné une impulsion fondamentale à la métallogénie en y introduisant les méthodes statistiques. Il a été un pionnier à une époque où l'on n'envisageait pas encore d'utiliser à cette fin les calculatrices électroniques ; et le développement croissant observé actuellement en ce domaine témoigne de la fécondité de ses idées. Cet aspect fondamental de son apport à la géologie minière mériterait de longs développements, car c'est une véritable méthodologie qu'il a su élaborer. Il fut en fait un des premiers à introduire dans les sciences de la Terre, et en géologie minière, en économie, l'emploi des mathématiques et de la recherche opérationnelle. Nul doute qu'il n'aurait apporté au développement de l'informatique dans nos disciplines une contribution importante. Ses derniers travaux en témoignent.

Il s'agit, pourrait-on dire, de « métallogénie quantitative ». Mais il n'aurait pas aimé ce terme, car la métallogénie était à ses yeux marquée traditionnellement par l'empirisme qui avait présidé jusqu'alors aux recherches métallogéniques classiques. Il préférait le terme de « Géologie minière », en hésitant à employer celui de « Géologie économique » usité à l'étranger. Mais la géologie minière a pris ces dernières années une acception restreinte convergeant avec la Gîtologie ; de sorte qu'il semble bien préférable de parler actuellement de « Géologie économique ».

Si les sciences naturelles, parmi lesquelles compte la métallogénie, présentent beaucoup d'aspects insaisissables par des mesures chiffrées, l'introduction du quantitatif là où il est possible, notamment par l'usage des méthodes statistiques, est un gage certain de progrès. On ne saurait trop souligner l'importance de son oeuvre à cet égard. Il y est revenu dans un grand nombre de publications tout du long de sa carrière.

A l'inverse de maints théoriciens, il a su garder le contact avec le concret et étayer ses vues sur les données de l'exploration géologique et de l'exploitation minière. Son grand mémoire : « La géologie et les mines des vieilles plates-formes » (1936), dont nous avons déjà dit le rayonnement considérable, en témoigne.

C'est à la fois pour la définition des gisements minéraux et pour la mise en évidence de leur répartition géographique que Blondel a préconisé les méthodes statistiques. En même temps, par une conséquence logique, il s'est penché, du côté naturaliste, sur le problème de la classification métallogénique, et du côté économique, sur la valeur de la production minérale.

Un point l'avait frappé dans la définition alors classique des gisements métallifères : les gisements sont des accumulations de minerai, c'est-à-dire de matériaux exploitables avec profit dans les conditions économiques du moment. Donner une définition aussi relative, et pourrait-on dire subjective, d'un phénomène naturel, lui paraissait choquant. Dès 1933 il se penchait sur les tableaux de production minière de cuivre des États-Unis et y constatait certaines permanences des teneurs d'exploitation dans de nombreux gisements indépendamment des conditions économiques. Il émettait l'hypothèse qu'à chaque type métallogénique correspond une teneur moyenne autour de laquelle se trouvent les plus forts tonnages de ce type de gisement. Une analyse plus fine le conduisait bientôt à nuancer ce point de vue. Les teneurs caractéristiques fixes des gisements d'une substance déterminée portent, semble-t-il, sur de grands ensembles de gisements dont la plupart sont d'un niveau d'importance comparable. Blondel témoignait en effet, dans une série de notes successives, de son adhésion totale aux vues de S. G. Lasky sur la relation entre la teneur et le tonnage des gisements dans le cas des porphyry coppers, et sur les prévisions des réserves. Il donnait notamment dans la Chronique en 1951 une traduction de l'important article de Lasky sur ce thème.

La loi de répartition des teneurs dans un gisement permet une évaluation des réserves bien plus rigoureuse que la méthode empirique alors classique. Blondel en fut très vite conscient ; Lasky l'exprima fortement dans son article de 1950. Leur identité de vues fut sanctionnée dans une note publiée en commun dans Economic Geology en 1956 sur la notion de réserves : ils y distinguent les réserves « démontrées » et « inférées », où il va sans dire que les premières s'établiront d'autant mieux que la méthode statistique pourra être appliquée. Le développement récent de la Géostatistique de G. Matheron devait apporter dans la suite des bases solides et précises pour de telles évaluations. Notons toutefois qu'à la fin de 1957, à l'occasion d'un colloque à Berlin, Blondel montra que l'évolution du financement des entreprises minières enlevait tout intérêt à la distinction entre réserves certaines, probables et possibles d'un gisement, le problème étant désormais de démontrer une quantité suffisante de minerai pour justifier les investissements.

Un second axe de recherches porte sur la répartition géographique des gisements minéraux. Sa préoccupation d'une politique minière de la France d'Outre-Mer dès le début de sa carrière comportait évidemment celle de la recherche minière dans de vastes territoires géologiquement bien peu explorés à l'époque. Les régions favorables et les chances de succès pouvaient se discuter à son avis à l'aide des méthodes de la statistique.

Les principes en sont établis dans son mémoire de 1942 : La recherche scientifique des gisements minéraux. Il pose tout d'abord un postulat qui doit se vérifier par l'expérience et qui, en fait, semble réellement se vérifier : « On peut classer les gisements minéraux en espèces. Dans chacune les seules différences sont la position géographique et l'importance des gisements. A l'intérieur d'une même espèce ces deux propriétés sont régies par les lois du hasard. » Parmi les causes qui président à l'existence des gisements, il y a des causes peu nombreuses mais importantes qui conditionnent l'espèce du gisement et qui se rattachent aux terrains encaissants (nature pétrographique, âge, allure tectonique), aux roches éruptives, c'est-à-dire aux différents facteurs de l'histoire géologique. Mais il y a aussi de très nombreuses petites causes ignorées ou mal définies que l'on peut considérer comme soumises au hasard, et ce sont elles qui règlent la position géographique et la taille des gisements. Il étudie alors la densité géographique des gisements de divers métaux, suivant les zones orogéniques et le matériel tectonique. Les gisements se groupent en constellations autour d'une série de maximums très écartés. C'est alors qu'il découvre la notion très importante de l'échelle géographique, car les maximums sont de plusieurs ordres : il distingue les gisements groupés en districts, eux-mêmes groupés en « régions minéralisées ». Pour chacun de ces ordres de grandeur une certaine périodicité de distance géographique de ces maximums apparaît. Autour des maximums dans les districts, les gisements s'éparpillent suivant les lois du hasard. La notion de cette périodicité semble maintenant bien vérifiée par les travaux de P. Leymarie (1968). Blondel esquisse, à l'aide des tableaux de production, des exemples de telles répartitions pour diverses substances. Il en tire des conséquences pratiques, notamment sur la définition des trois étapes de la recherche minière : exploration, ou échelle du géologue ; reconnaissance, ou échelle du prospecteur ; recherche minière, ou échelle du mineur. Ces étapes doivent être adaptées respectivement aux régions minéralisées, aux districts, aux gisements.

Il reviendra avec force sur ces notions dans des articles de la Chronique et surtout aux Annales des Mines en 1950, pour orienter les activités de recherche minière des Services géologiques d'Outre-Mer.

Mais dès l'abord, en 1942, il avait posé l'intérêt capital de l'établissement des « fiches de gisement », qui devraient être établies systématiquement par les géologues et prospecteurs afin de consigner les données indispensables pour l'établissement de populations statistiques homogènes. On sait le développement que l'établissement systématique de telles fiches a pris récemment, en particulier au Bureau de recherches géologiques et minières et à la Commission économique des Nations unies pour l'Asie et l'Extrême-Orient. Il faut souligner aussi les grandes enquêtes entreprises sur de telles bases sous l'impulsion de la Direction générale de la recherche scientifique et technique. Celle de H. Pélissonnier sur la dimension des gisements de cuivre dans le monde est précisément sur la ligne de recherches initiée par Blondel, mais avec l'acquisition d'une documentation systématique qui manquait à l'époque et avec des moyens de calcul statistique alors inexistants.

La fécondité de l'oeuvre de Blondel tient pour une large part à ce qu'il restait attaché au concret grâce à sa compétence de géologue. Cette préoccupation l'a amené à discuter la classification des gisements minéraux, en notant que les classifications génétiques en usage sont trop contestables pour aider efficacement à la recherche minière. Il a préconisé une classification par « types régionaux établis par la pratique et constituant des groupes naturels ». Il en donne une application pratique détaillée, avec beaucoup de remarques critiques très pertinentes, pour les gisements de fer. Il y adjoint une suggestive discussion comparative des classifications classiques où les discordances mutuelles sont très frappantes : en fait ce sont des classifications de processus génétiques et non des classifications de gisements. La notion des « types » de gisements a trouvé un accord à peu près unanime et est constamment utilisée maintenant. P. Routhier en a établi un catalogue exhaustif dans son grand traité des « Gisements métallifères ».

La valeur de la production minérale et sa répartition dans le monde devaient aussi intéresser l'économiste qui, chez Fernand Blondel, doublait le géologue et le mineur. Deux études magistrales aux Annales des Mines en 1954 et 1956, en collaboration avec son jeune camarade E. Ventura, font apparaître une série de résultats importants, et tout d'abord l'opposition frappante entre l'importance qualitative de la production minière dans notre civilisation industrielle et sa faible valeur relative dans la production globale de richesses (moins de 5 %). Comme le remarque André Siegfried dans sa préface au second de ces articles, cela s'explique par la valeur ajoutée due à l'élaboration industrielle des matériaux bruts, valeur en rapport avec le développement technique des pays de vieille civilisation. Un autre résultat essentiel est la disproportion entre les combustibles qui surclassent largement en valeur toutes les autres productions minières. Les auteurs mettent aussi en évidence par des graphiques suggestifs le degré de concentration géographique des gisements, très différent pour les divers métaux. Ils poussent l'analyse État par État ; ils réfèrent à la surface géographique des États, à leur population, soulevant chemin faisant maintes particularités qui sont probablement des « pierres d'attente » pour des développements ultérieurs de nouvelles recherches d'économie minière et de prospective. Ce travail est maintenant régulièrement mis à jour de cinq ans en cinq ans par le Bureau de Documentation minière.

L'ensemble de l'expérience acquise dans ces divers domaines devait conduire Blondel à rédiger un traité de l'Exploration minérale. Ce fut son dernier projet, qui devait, être réalisé avec son ami et collaborateur Jean Lombard. La maladie malheureusement interrompit ce projet dont la rédaction se limita à quelques chapitres qui furent publiés dans la Chronique en 1961.

Mais cette activité intellectuelle n'est pas le seul trait dominant de la carrière de F. Blondel. Pour ceux qui l'ont vu à l'oeuvre, il semble que son rôle d'animateur, d'entraîneur, d'organisateur, son sens de la gestion au plus haut échelon, sa vue d'ensemble des problèmes les plus vastes, sa vivacité intellectuelle, aient été au moins dans la seconde partie de sa vie le trait dominant de son existence. Son rôle dans le développement de la géologie en dehors des territoires métropolitains, sa vision claire de collaboration internationale, en particulier de l'aide aux pays en voie de développement, avant même que ce terme ne fut employé, ont été dans les milieux français et internationaux d'une importance fondamentale et en avance sur son temps. Comme la chose arrive souvent, une fois que les notions nouvelles ont vieilli, sont acquises, sont entrées dans les esprits, on oublie ceux qui en ont été les précurseurs et qui les ont répandues.

Activité de F. Blondel sur le plan international.

Il est impossible de séparer l'action de F. Blondel dans les organismes internationaux de son activité personnelle depuis 1929. En fait, avant même de prendre des fonctions officielles, le type même de ses activités, les relations qu'il avait établies à l'étranger et le renouvellement permanent de son oeuvre l'avaient imposé à l'opinion internationale aussi bien pour la géologie que pour l'exploitation et l'économie minières, que pour ce qu'on pourrait appeler la politique générale géologique et minière.

Son long périple en Asie avec A. Lacroix dès 1927, sa participation aux Congrès internationaux, en particulier à Pretoria en 1929, ses voyages en Amérique, en Asie, en Afrique, sa participation à des réunions d'études minières à Berlin et à Washington, l'avaient amené à prendre contact avec la plupart des géologues et mineurs étrangers. En 1936 à Moscou au Congrès international il est nommé vice-président de la Commission de la Carte géologique du Monde et dans des conditions politiques difficiles il assure la présidence des réunions restreintes de cette commission.

En 1937, à la demande de M. Lombard, il assure le Secrétariat général de l'Association des Services géologiques africains que ce dernier avait créée. On sait combien la collaboration entre les deux hommes devait se révéler fructueuse et efficace et le rôle que J. Lombard a su assumer et assume encore dans cette organisation internationale originale à travers les vicissitudes de la décolonisation. En 1953 paraît la carte géologique d'Afrique, oeuvre internationale confiée à la France à Pretoria en 1929, dont il a assuré avec Emmanuel de Margerie la direction, et peu après la carte tectonique dont R. Furon et Daumain assurent la coordination. Vice-président de la commission de la carte géologique du Monde avant-guerre, très prudemment, mais non point sans vision de l'avenir, Blondel se limite à assurer la permanence de cette organisation lorsqu'il se trouve être, en 1948 au Congrès géologique, à Londres, le seul représentant, de l'ancien bureau. En 1952 à Alger, il prend complètement les choses en mains et devient Président de la Commission internationale de la Carte géologique du Monde. En 1956 à Mexico, il organise la sous-commission de la Carte tectonique avec Schatzky et Bogdanoff et de la Carte métallogénique avec W. D. Johnston.

Tout ce qu'il a pu longuement mûrir et projeter il en entreprend vigoureusement la réalisation : Atlas géologique du monde, légende internationale, programme des corrélations auquel l'UNESCO vient en 1969 seulement de donner un aspect nouveau ; cartes continentales, géologiques, minières, tectoniques, du charbon, du fer, métallogéniques, hydrogéologiques. Tout le programme de la carte internationale ébauché depuis de longues années, sa vive intelligence, sa large culture et son dynamisme lui permettent d'en préparer la réalisation et d'en animer la préparation.

C'est en fait, en 1958, la première réunion générale au Musée Guimet, où il jette les bases modernes d'une organisation de la Commission de la Carte géologique du Monde qui ne fera que se développer. En 1958 il assiste aux réunions géologiques de la Commission économique pour l'Asie du Sud-Est. En 1960, à Copenhague, il veut bien appeler à collaborer avec lui un des auteurs de cette notice (J. M.) qui considère ces deux trop courtes années comme ayant été pour lui-même pleines d'enseignement et de formation dans la collaboration avec ce « patron ». Hélas en 1961, au retour d'un voyage en Amérique du Sud, où il avait animé et développé le rôle des services géologiques et jeté les bases d'une carte de ce continent, et préparé au titre du BRGM les voies à la coopération française, F. Blondel est frappé du mal qui devait l'emporter sept ans plus tard. Il serait vain de rappeler les titres qu'avait acquis Blondel, Président de Sociétés savantes et techniques, Président de l'Académie des Sciences coloniales, membre d'honneur de Sociétés étrangères, sa renommée en France et à l'étranger justifiaient largement ces honneurs.

Enfin en mars 1971, l'American Institute of Mining, Metallurgical and Petroleum engineers a attribué conjointement à F. Blondel et à S. G. Lasky à titre posthume, sa plus haute distinction sur proposition du conseil économique de cette organisation dans les termes suivants : « En reconnaissance pour leurs nombreuses contributions, individuelles ou en collaboration, étendues pendant quarante ans et sur deux continents et qui, par leurs recherches d'un terrain commun entre les sciences physiques et économiques, ont su largement contribuer à définir les domaines de l'économie minière. »

C'est à son vieil ami W. D. Johnston du Geological Survey des U. S. A. que devait échoir l'honneur de représenter la famille de M. Blondel à la cérémonie de remise du prix, à laquelle assistait comme représentant de la France, M. Callot, Ingénieur en chef des Mines.

Chez F. Blondel l'homme n'était pas moins attachant que le savant, que l'animateur : vivant, direct, amical et vite affectueux, il révélait sous des aspects parfois brusques une âme ardente et généreuse. Sa bonne humeur, sa bonhomie, son enthousiasme entraînaient ceux qui l'approchaient et jouaient dans les rapports internationaux une part importante. Aussi bien en Amérique du Nord qu'en Europe et en Asie et en Amérique du Sud, nous avons pu mesurer la place qu'il a tenue et la façon dont il a servi l'influence française.

Les géologues du monde entier ont, à l'occasion de la réunion plénière de la Commission de la Carte géologique du Monde en 1968, tenu à lui rendre un hommage reconnaissant.

Aujourd'hui, à Mme Blondel, à son fils, à sa belle-fille, à ses deux petites-filles, la Société géologique exprime la vive admiration des géologues français pour F. Blondel et les assure que son souvenir et son exemple seront gardés fidèlement.