Augustin LAURENT (1807-1853)

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Né le Epoux de Anne Françoise Césarine Thérèse SCHROBILGEN (1821-1914). Père de Paul Mathieu Hermann LAURENT (1841-1908, X 1860), docteur ès sciences, officier du génie, répétiteur puis examinateur d'admission à l'Ecole polytechnique (1972-1901), officier de la Légion d'honneur.

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1826). Ingénieur civil des mines.

Assistant de J.B. Dumas au début de sa carrière. Il devient par la suite professeur de chimie à l'Université, membre correspondant de l'Académie des Sciences.


Augustin Laurent, créateur de la chimie organique

par André Ellefsen (EMP promotion 1922),
Vice-Président-Délégué général de la Société de Chimie Industrielle.

Augustin Laurent, né au début du siècle dernier, en 1807, appartient à cette illustre phalange de chimistes dont les travaux, en Angleterre, en Allemagne, en France et en Italie, entre 1800 et 1860, aboutirent à la création de la doctrine et de la notation atomiques.

Bien qu'il se soit intéressé également à la chimie minérale, ses recherches ont surtout porté sur la chimie organique, en particulier sur le naphtalène et ses dérivés, les constituants du goudron de houille, l'indigo.

Tout en découvrant de nombreux corps nouveaux et en cherchant à déterminer leur formule, Laurent gardait comme préoccupation essentielle l'établissement d'une classification rationnelle des substances organiques, utilisant la double notion de substitution et d'homologie.

Par l'énorme labeur qu'il réalisa ainsi, avec son ami Gerhardt, il mérite bien le titre de créateur de la Chimie organique.

Cette œuvre, il ne disposa pour l'accomplir que d'un nombre restreint d'années, puisqu'il mourut à 45 ans, en avril 1853.

Il était né à Langres, dans une modeste famille de négociants. Un de ses oncles, maître de forges, remarquant sa vive intelligence, subvint aux frais de ses études. C'est ainsi qu'il entra en 1826 à l'Ecole des Mines de Paris. Lorsqu'il en sortit ingénieur en 1830, il préféra la science pure à l'industie ou aux carrières de l'Etat et fut nommé, en 1831, répétiteur du cours de Jean-Baptiste Dumas, à l'Ecole Centrale.

Dès 1832 il publiait, en collaboration avec Dumas, son premier mémoire sur la naphtaline qu'il avait isolée du goudron de houille.

Les mésintelligences qui survinrent rapidement entre Dumas et lui amenèrent Laurent à quitter le laboratoire de l'Ecole Centrale pour entrer à la Manufacture de Sèvres ; il fonda ensuite un petit laboratoire privé, puis il travailla chez un parfumeur parisien, Laugier.

En 1837, il soutint sa thèse de doctorat avec les sujets suivants : Recherches diverses de chimie organique ; densité des argiles mixtes ; considérations générales sur les propriétés physiques des atomes et sur leur forme.

L'année d'après il épousait une Luxembourgeoise, Anne-Françoise Schrobilgen, fille d'un conseiller à la Cour supérieure de Justice. Il dirigeait, en effet, depuis 1836, les laboratoires d'une faïencerie à Eich, près de Luxembourg.

Celle-ci ayant périclité à la fin de 1838, Laurent alla se fixer à Bordeaux, où il venait d'être nommé professeur de chimie à la Faculté des Sciences.

Pendant les sept années que dura son séjour à Bordeaux, Augustin Laurent fit les plus belles découvertes de sa carrière, malgré la modicité de ses ressources et les difficultés de tous ordres qui l'assaillaient.

L'année 1842 marqua le début de ses relations avec son collègue Charles Gerhardt, élève de Liebig, et, à cette époque, professeur de Chimie à Montpellier. Entre ces deux hommes, de tempéraments également fougueux, une vive polémique s'était d'abord engagée, par écrit, à propos de nouveaux acides et de leurs formules, mais lorsqu'ils se connurent ils se comprirent et s'apprécièrent rapidement et de leur amitié naquit une collaboration féconde et si étroite qu'il est parfois difficile de distinguer dans leur œuvre commune l'apport de chacun. De 1848 à 1852, ils travaillèrent ensemble à Paris.

Laurent était revenu à Paris avec sa famille en 1845 ; il n'occupa aucune situation officielle jusqu'en 1848 où il fut nommé essayeur à la Monnaie, en remplacement de Péligot, devenu Directeur.

Entre 1845 et 1847, Laurent et Gerhardt furent aux prises avec Liebig au sujet de formules des composés melloniques et Liebig donna à cette diatribe un ton étonnamment violent et discourtois.

Son opposition aux théories de Dumas et à celles de Liebig porta grand préjudice à Laurent. C'est ainsi que lorsqu'il posa sa candidature à la chaire de Chimie du Collège de France, il fut évincé au profit de Balard. Sa santé déjà ébranlée s'altéra de plus en plus. Atteint de phtisie, il passa une grande partie de ses deux dernières années à Luxembourg, chez ses beaux-parents, et à Hyères.

Pendant sa maladie, il acheva la rédaction de sa « Méthode de Chimie » qui fut publiée après sa mort, en 1854, par les soins du physicien Biot.

Son ami Gerhardt mourut trois ans plus tard, en 1856, très jeune lui aussi, à 40 ans.

En 1845, Laurent avait été nommé Chevalier de la Légion d'Honneur ; la même année, l'Académie des Sciences l'avait élu membre correspondant, en remplacement de Faraday, promu membre étranger. Depuis 1849, il faisait partie de la Chemical Society de Londres.

Telle fut, dans ses traits essentiels, la vie souvent tourmentée d'Augustin Laurent, ce pionnier de la doctrine atomique.

Toute la première moitié du 19e siècle fut marquée, dans le domaine de la chimie, par la lutte entre partisans et adversaires de la théorie atomique, en même temps qu'on assistait à un essor prodigieux de cette jeune science, par suite de la découverte continuelle de nouveaux composés et de la naissance de la synthèse chimique.

Laurent et Gerhardt furent les premiers à établir une nette distinction entre l'atome et la molécule et à donner une définition exacte du poids moléculaire. Ils entrevirent même la notion de valence.

Les travaux de Laurent sur les constituants du goudron de houille lui firent découvrir tant de corps : naphtalène et ses dérivés nitrés, chlorés, sulfonés, anthracène, anthraquinone, benzile, anhydride phtalique, phtalimide, chrysène, pyrène, acide phénique, nitrophénols, stilbène, diphényle, etc., qu'il peut être considéré comme l'un des maîtres de la chimie des hydrocarbures aromatiques.

Outre sa découverte de l'isatine, qui devait conduire plus tard à la synthèse de l'indigo, Augustin Laurent a étudié les alcaloïdes de l'opium, les sucres, le camphre, l'urée et l'acide urique, les cyanures, les mellonures, etc.

Dans la préface de sa « Méthode de Chimie », Laurent se demandait, devant la multitude des composés organiques déjà connus, comment on parviendrait dans l'avenir à établir une classification pratique.

C'est pourquoi il proposait, avec Gerhardt, d'établir des familles à nombre croissant d'atomes de carbone, et dans chacune d'elles d'opérer un classement d'après la nature des substituants, méthode encore utilisée de nos jours.

Laurent recherchait pour les composés organiques des formules mettant en évidence leurs propriétés chimiques ; ainsi il établissait les premières formules de constitution.

Si la portée de l'œuvre de Laurent a longtemps été méconnue, on reconnaît aujourd'hui que ce savant, doué d'une rare puissance de travail et expérimentateur extrêmement habile, a ouvert à la chimie organique des voies nouvelles.