Les Mines dans la Deuxième Guerre mondiale
Par Gilles Thomas
« Aux Mineurs de Lutèce, Salut ! »
(incipit
de La Mine noire)
À la mémoire de (Salomon) René Lévy qui fut
Inspecteur général des carrières de 1939 à 1940, mais qui fut obligé de quitter
son poste pour les raisons que l’on imagine *.
On s’accordait pour déclarer, après vives discussions, que le temps n’était plus ce qu’il avait été. Les hivers n’étaient-ils pas moins neigeux, et les étés, plus secs ? À moins que ce ne fût le contraire… Notre mémoire est une passoire qui retient plus d’erreurs que de vérités et qui nous arrange avec complaisance des passés fictifs. Hubert Monteilhet « Sans préméditation » (© éditions de Fallois 2005)
L’idée de ce qui suit m’est venue très précisément le mercredi 4 mai, lors d’une interview avec Anne Weber, alors nouvellement nommée à la tête du fonds ancien de l’École des Mines-Paristech, pour un documentaire en préparation par France 5, sur l’aspect patrimonial des sous-sols parisiens s’étageant des anciennes carrières souterraines jusqu’aux abris de la Seconde Guerre mondiale. Il m’est alors apparu évident, venant de rédiger mon nouveau livre consacré cette fois entièrement aux très nombreux abris de la Défense Passive qui subsistent de nos jours à Paris, que trop de fausses informations étaient encore colportées à ce sujet. Celles-ci relèvent davantage du domaine du fantasme que de la réalité historique, déformée de plus en plus qu’elle est par le temps qui passe inexorablement provoquant à la fois l’usure et la déformation des souvenirs, deux phénomènes inéluctables associés à la disparition des derniers témoins et dont l’effet pernicieux est un délitement dramatique des connaissances quant à cette période pourtant pas si lointaine, car il n’y a même pas soixante-quinze ans !
De quelques précautions oratoires pas forcément inutiles
Posons un principe qui devrait être considéré comme acquis et qui a du mal à pénétrer dans le crâne des plus réfractaires : Non, le réseau des carrières tel qu’on le connaît n’a jamais été indemne de visites clandestines depuis qu’il existe. Ce qui fait accroire cette chose est le monde ultra-médiatisé dans lequel nous vivons aujourd’hui, et qui fait que le moindre battement d’aile de papillon sur une des roses du jardin du Luxembourg peut être suivi en direct et en simultané au fin fonds de la Papouasie Nouvelle-Guinée par les représentants des peuplades les plus reculées pour peu qu’elles soient à la pointe du progrès informatique. Même les faits les plus anodins circulent désormais via les autoroutes de l’information dématérialisées à la vitesse d’un cheval fou lancé au galop et dopé aux anabolisants stéroïdiens. Dans les années 80’s, la fréquentation clandestine des carrières souterraines de la Ville de Paris n’est pas apparue de novo ; c’est tout simplement que cette période correspond aux débuts d’une médiatisation outrancière, et c’est donc en réalité la connaissance par un public autre que ceux qui pratiquaient la chose qui fut ainsi mise en exergue. Pour mémoire, rappelons ce que l’on peut lire aux Archives Nationales, dans une lettre signée par Antoine Dupont [1] le 9 mai 1777 : « Nous avons des gens qui viennent la nuit et les fêtes dans nos carrières. Ils nous débouchent les puits. J’ai le nom de trois et la demeure de deux que je viens de donner à Mr le lieutenant de police [2] ». Ensuite, que ce soit pendant la Révolution et sa période sombre la Terreur, en 1870 pendant la guerre franco-prussienne [3] ou son corollaire de 1871 la Commune de Paris [4]… et même la Seconde Guerre mondiale, il y eut toujours des arpenteurs discrets et de manière épisodique ou régulière de ces sombres arcanes souterrains, ce ne sont pas les Mines qui me démentiront ! Mais il n’est pire aveugle que celui qui ne veut point voir.
Essayer d’évoquer le
monde obscur des carrières de Paris en cette période troublée que fut
l’Occupation c’est également « voir se reconstituer dans la Pompéi de nos
mémoires le temps des versions latines, l’odeur de vieux parchemin des
dictionnaires Gaffiot, les voluptés de l’ablatif
absolu [5] »,
tout un monde qui semble aujourd’hui pas seulement désuet, mais bien disparu.
S’il eût été important de pouvoir recueillir des informations de témoins
directs, il ne faut pas omettre que celles-ci eussent certainement été
entachées d’erreurs et de déformations involontaires, sauf si cette source de
souvenirs a été rassemblée à l’époque des faits dans lequel cas elle en devient
infiniment précieuse. Car comme le fit remarquer Marcel Prévost (X1882 et
accessoirement de l’Académie française) dans « Nos grandes écoles :
Polytechnique » (© 1931) :
« Notre mémoire vit sa vie propre à mesure que
nous avançons en âge. Tandis qu’elle s’exerce sur nos souvenirs du passé, nous
ne la surveillons point ; elle a ses caprices, ses erreurs d’optique, ses
défaillances. Telle trace topographique s’efface totalement ; telle autre se
confond avec une plus récente. Tous les souvenirs écrits des gens célèbres sont
plein de graves erreurs de lieux et de dates, pour la torture et pour la joie
des commentateurs.
Que de fois, bien
que pourvu moi-même d’une mémoire mieux que moyenne, j’ai fait l’épreuve de son
infidélité : trahison serait même le mot, car au lieu d’avouer : “je ne me rappelle pas” notre mémoire nous présente des mirages
avec la même assurance que des réalités. »
Nous allons donc essayer de reconstituer les choses telles qu’elles durent se produire, à l’éclairage des sources documentaires diverses et variées. Et comme Jean-Jacques Rousseau, j’oserai dire que « Je le sais parce que je le sens ». Et n’oublions pas que l’historien est à l’égal de l’archéologue évoqué par Didier Busson de la Commission du Vieux Paris : « Le travail d’archéologue consiste à se raconter une histoire en espérant que c’est la bonne. [6] »
Après ces précautions oratoires et littéraires, venons-en aux faits, sachant qu’« une vérité nouvelle, en sciences, n’arrive jamais à triompher en convainquant ses adversaires et en les amenant à voir la lumière, mais plutôt parce que finalement ces adversaires meurent et qu’une nouvelle génération grandit, à qui cette vérité est familière. [7] »
Divers rappels sur Paris, la Défense Passive et l’Occupation
Nous allons donc traiter d’une période pas si lointaine, pas très glorieuse non plus, et que l’on s’empressa pour cette raison, à défaut de l’occulter dans les manuels d’histoire, de tenter de l’éradiquer effacer de la mémoire collective de différentes manières, bien que de très nombreux vestiges en subsistent encore de nos jours mais que l’on ne veut surtout pas voir.
Il y eut donc une Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle nos voisins allemands prirent à la fois leurs quartiers et leurs aises à Paris. Mais s’il y eut un second conflit, c’est bien parce qu’il y en eut d’abord un premier. Et tout comme la « Der des Ders » ne le fut finalement pas contrairement à ce que l’on pensait, cette seconde guerre mondiale (qualificatif qui indique la fin d’une série) s’est transformée en deuxième puisque une guerre mondiale fait référence à une coalition internationale, et qu’effectivement depuis il y eut le Koweit, l’Afghanistan, l’Irak, ainsi que tout dernièrement Daesch.
La Petite Illustration, numéro spécial de 1939 sur la Défense Passive.
Protection des populations civiles contre les attaques aériennes (collection de
l’auteur).
Le 11 novembre
1918 fut signé l’Armistice, mais au cours de cette première guerre mondiale on
découvrit à la fois le pouvoir (encore limitée il est vrai) de l’aviation, et
on inventa les gaz de combat qui firent leur cohorte de victimes, sans parler
du traumatisme parmi la population civile déplorant des morts parmi leurs
proches ou ayant eu à côtoyer des blessés. On
estime a minima à 130 000
le nombre d’intoxiqués et 6300 décès par gaz pour la France (1 à 7
millions de victimes dans l’ensemble des nations, avec 17 000 à
27 000 morts). De plus dès le 30 août 1914, Paris avait déjà eu à
connaître des bombardements par avions, puis par la suite aussi par ballons et
par canons, causant la perte d’au moins 527 personnes (plus 1261 blessés). Dès
1923, on prit conscience que les conditions de l’armistice que l’on avait
imposée aux Allemands étaient tellement draconiennes et pénalisantes, tant d’un
point de vue financier que sociétal, qu’il semblait totalement exclu et
inimaginable que ceux-ci ne veuillent pas se venger un jour ou l’autre. On en a déduit en toute logique que la
même chose risquait de se reproduire, mais avec un potentiel meurtrier accru de
manière exponentielle, car en très peu d’années l’aviation avait fait un bond
prodigieux, et les chimistes jouant aux apprentis sorciers ne cessèrent de
développer de nouvelles substances toxiques. Aussi, en ce début des années
20’s, on commença par légiférer dans l’hypothèse d’une telle revanche, et à
réfléchir à comment mettre la population à l’abri de telles nouvelles exactions
auxquelles seraient soumis non plus les militaires mais bien la population
civile. Le ministre de la Guerre André Maginot (l’homme de la ligne de
fortifications éponyme imaginée à la même période) publia alors une instruction
provisoire sur la Défense Passive. Le processus législatif étant enclenché,
cela ne cessa alors plus et de 1922 au
1er septembre 1939, le
gouvernement français fut à l’origine de « deux lois, quatre décrets-lois, 34 décrets,
109 circulaires, 29 instructions, 18 arrêtés ministériels et onze notices
relatifs à la Défense Passive » [8].
Puis, à partir de l’entrée en guerre du pays jusqu’à la débâcle de juin 1940,
vinrent s’y ajouter « quatre
nouveaux décrets-lois, ainsi que treize décrets, neuf
circulaires et deux instructions. » [9]
Mais la législation concernant la Défense
Passive modifia régulièrement ses ordonnances d’application pour s’adapter
continûment aux événements liés à l’Occupation du territoire (comme par exemple
des bombardements de plus en plus redoutés à cause d’usines travaillant pour
l’ennemi, ou ciblant des nœuds ferroviaires pour désorganiser les déplacements
allemands en préparation du Débarquement tant attendu), ainsi que pour répondre
aux exigences imposées par des décisions émanant de Berlin.
Au milieu des années 30’s, on prit conscience que, l’aviation ayant fait un tel bond technologique, plus aucun point du territoire français n’était à l’abri. Les avions pouvaient en effet désormais arriver depuis Berlin sans escale et atteindre n’importe quelle ville, de plus les charges qu’ils pouvaient transporter étaient désormais considérables. Il fut alors créé une Commission Supérieure de Défense Passive, dépendant du ministère de l’Intérieur, réorganisée par décret du 2 avril 1939, qui fut appelée à procéder à l’étude et la coordination des plans d’ensemble de la Défense Passive. En exécution de la loi du 8 avril 1935 et du décret du 20 décembre 1935, son rôle était de faire procéder au recensement des caves et sous-sols d’immeubles pouvant être utilisés en l’état ou après des travaux confortatifs nécessaires, et évaluer leur contenance. Pendant le premier conflit, qui resta aux portes de Paris, la population avait alors naturellement pris l’habitude de chercher refuge dans les caves et les stations de métro, pour ceux qui ne regardaient pas depuis leurs fenêtres ou allant se poster sur les points hauts de la capitale comme au spectacle, habitude qui sera reprise au moment de bombardements spectaculaires lors du conflit suivant.
Aux caves et autres sous-sols pressentis, il convint d’ajouter les constructions de bâtiments nouveaux pour lesquels un abri pouvait être créé de novo, et les grosses transformations d’immeubles publics et privés facilitant dans ce cas l’intégration d’un abri. L’aménagement d’abris n’était alors obligatoire que pour les immeubles des Services publics, les sociétés concessionnaires, les industries classées dans la première catégorie au titre de la DP, les établissements industriels et commerciaux. Cette commission devait aussi faire recenser les espaces libres, généralement dans les parcs, jardins et espaces verts de la Ville de Paris, en ce qui concerne la capitale, où des tranchées-abris pourraient être creusées [10], mais la banlieue ainsi que tous les centres urbains étaient bien évidemment soumis à cette même obligation. La France était d’ailleurs en retard par rapport aux autres pays, Angleterre, Italie, Allemagne par exemple et prenait en référence ce qui avait déjà été réalisé ailleurs. L’intérêt des caves est principalement qu’elles constituent un abri de proximité, ce qui réduit la durée de cheminement pour y accéder, et leur multiplication assure le fractionnement et la dispersion de la population, ce qui est aussi un gage de sécurité en cas d’atteinte du site par une bombe, le nombre de personnes potentiellement atteintes étant alors limité. En revanche, il est plus difficile de les équiper pour les rendre étanches aux gaz, de là la possession d’un masque à gaz (ce symbole définitivement associé avec raison à la Défense Passive) qui devint obligatoire, ainsi que le devoir de se déplacer en toutes circonstances avec [11].
Les publicités de l’époque
(qui étaient des réclames),
n’oublient pas d’inclure dans la plupart de leurs visuels les fameux étuis
montrant ainsi que jamais on ne devait s’en séparer.
À droite, extrait du catalogue
du Bon Marché de février 1940,
montrant que le masque à gaz est désormais inclus dans la mode du printemps-été
de cette année-là.
Au milieu des années 30’s se développèrent des cours théoriques donnés à la population sur la Défense Passive (quels sont les risques encourus lors d’un bombardement ? que faire en cas d’alerte ? etc.), enseignement bientôt suivi par des exercices pratiques, d’abord en salle, puis à grande échelle affectant alors toute la population aux jours / soirs et heures donnés. Par chance les Allemands n’eurent pas besoin de bombarder Paris car après une période baptisée de « Drôle de Guerre [12] » par Roland Dorgelès dans un article rédigé en octobre 1939 lors de son retour des avant-postes de Lorraine, ils entrèrent à Paris déclarée ville ouverte le 14 juin 1940. Au final, en simplifiant mais en étant relativement proche de la réalité vécue par les habitants, les abris ne servirent que très peu, principalement au cours des premières alertes [13] qui suivirent la déclaration de l’entrée en guerre de la France le 3 septembre 1939, puis les alertes firent partie intégrante de la vie quotidienne, jusqu’à la néfaste nuit du 3 au 4 mars 1942 lorsque furent bombardées les usines Renault de Boulogne qui travaillaient alors pour l’industrie militaire allemande. Ensuite, à partir du début de l’année 1944, de nouveaux textes furent diffusés pour rappeler à la population l’importance de gagner les abris en cas d’alerte ; il faut dire qu’en préparation du futur débarquement, il était prévu de désorganiser au maximum les Allemands dans leur logistique et leurs déplacements en bombardant principalement les sites majeurs qu’ils occupaient ou qui collaboraient à leur industrie, ainsi que les faisceaux ferrés qu’ils auraient pu être amenés à emprunter.
De cette Occupation il nous subsiste une foultitude de lois, recensées par Cécile Desprairies [14], dont deux concernent particulièrement les amateurs des sous-sols anthropiques que sont certains élèves passés, présents et espérons futurs des Mines de Paris : la Petite Ceinture (pour une raison que je rappellerai pas ici, mais liée plus particulièrement aux anciennes carrières souterraines des 13e, 14e et 15e arrondissements) et le métro parisien. Mais ce sont ces abris de Défense Passive qui constituent la partie immergée de l’iceberg des vestiges que nous ont légués les préparatifs de la Deuxième Guerre mondiale et l’occupation de la France qui s’ensuivit ; toutefois, comme ils sont par nature sous terre, personne n’en a conscience, ne les voit ou ne veut les voir. En effet, outre « quelques » kilomètres de tranchées-abris, il fut créé à cette occasion plusieurs dizaines de Postes de Secours Sanitaires [15] (des hôpitaux souterrains dit Z comme tout ce qui touchait alors à la guerre des gaz, et avec lesquels la salle dite Z sous le Val-de-Grâce n’a rien à voir), mais surtout plus de 40 000 abris civils rien que pour Paris, et près de 50 000 en banlieue… une broutille quoi !
Ci-dessus, une affiche
d’époque découverte lors du décarrossage de la
station Trinité en 2016.
Pour qui prend le temps de
lire la législation affichée sur les quais du métro, rien n’avait vraiment changé" !
Mais les voyageurs du
métro ne sont plus, depuis très peu, soumis à cette
loi Vichyste… car seulement depuis le mois de mai 2016. En effet, le décret du 22 mars
1942 a été abrogé et remplacé par un nouveau décret pris le 3 mai 2016,
et publié au Journal officiel du 5 mai.
Pendant ce temps-là à l’École nationale supérieure des Mines
Il fut bien
évidemment envisagé, comme pour toute institution, la création d’un abri, dont
on trouve trace dans le fonds archivistique de l’école. Et comme celle-ci se
trouve construite au-dessus d’anciennes carrières, ce qui permit la création et
le développement un siècle auparavant [16]
des exercices de travaux pratique in situ associés au cours de
topographie souterraine, il fut logique d’envisager l’emploi des galeries de
carrières comme abri profond. Par rapport au projet initial qui envisageait deux escaliers, un droit (accès principal) et
un circulaire (plutôt sortie de secours), c’est au final un escalier en
colimaçon qui fut creusé, à proximité et à la place de l’escalier droit
envisagé.
Ci-dessous, plan issu des archives de l’école
montrant :
- en bas à gauche l’escalier
en colimaçon qu’il était prévu de créer pour accéder aux carrières (point mauve
rond sur la planche à droite numérotée 26-47 de l’Inspection des carrières
– édition 1981)
- à droite l’escalier droit
(rectangle mauve et trait linéaire) pour aboutir dans la même galerie.
Concernant le fonctionnement de l’École des Mines, certains renseignements nous sont fournis par la publication des élèves en cette période. « La Mine noire » (acronymisé en LMN dans ce qui suit), qui succéda à celle s’intitulant « Le puits qui parle (qui exista entre 1880 et 1912), parut entre 1942 et 1968.
Tous les ans se déroulait un « banquet de la Sainte-Barbe », organisé par l’Association amicale de l’ENSMP dont le but était d’alimenter la Caisse de Secours. En plus de ce « Dîner de la Sainte-Barbe » (à Paris et dans le Nord), se déroulait déjà la Revue de la Sainte-Barbe, dite aussi Petite Revue, qui accompagne le baptême de la nouvelle promotion.
Notons les recommandations
sur la couverture et la première page de l’Annuaire des Mines de 1940 :
« Se taire et travailler, c’est bien
servir », « L’ennemi ment…
restez sourd ! L’ennemi écoute… soyez muet ! Il vous épie…
veillez !... » (Collection de l’auteur).
La promotion 42 a vu son entrée à l’École retardée, alors que certains élèves reçus en 1939 n’ont toujours pas intégré (LMN n°3 de la 2e année, daté de juillet 1943). Les études permettent d’oublier le temps des cours, cette période noire comme la mine : « Mais n’as-tu donc pas suivi, oh ! mineur dont la constante assiduité aux amphis a rempli les feuilles d’appel du Mandant » (LMN n°4 de la 2e année – août 43)
En 1943, on eut l’idée d’effectuer pour la première fois ce baptême en présence de la promotion antérieure de vingt ans sur les bancs de l’École, alors qu’il semblerait que pour cette même année il n’y ait pas eu de véritable marraine vedette (l’organisateur en aurait été François Budin), tandis que la Petite Revue de cette année est attribuée au tandem Péan / Deniau. D’autres cérémonies traditionnelles avaient alors lieu : la Cérémonie de la Flamme, la Messe annuelle pour les Camarades morts dans l’année, la Messe pascale commune aux trois Écoles des Mines.
Il était prévu que les élèves reçus aux Mines de Paris à l’été 1943 aillent faire leur Service du Travail Obligatoire (avec l’alibi de remplacer des prisonniers de guerre libérés en compensation, selon un procédé désigné par le vocable de la « relève ») avant la première année d’étude de l’école. Cependant, le directeur adjoint de l’École des Mines, M. Friedel, avait obtenu que le STO soit effectué dans une mine en France, ce qui satisfaisait l’Allemagne car elle pouvait ainsi espérer obtenir davantage de charbon puisqu’une main-d’œuvre spécialisée était utilisée à bon escient. Mais pour trouver des postes libres, il fallait l’entregent et la complicité active de Michel Duhameaux, Ingénieur en chef des Mines du Nord-Pas-de-Calais, car il était seul habilité pour signer les embauches. Il recrutait ainsi non seulement les élèves des écoles des Mines, mais également des jeunes étudiants particulièrement exposés, dont une partie non négligeable était de confession juive. [17]
En 1943, les amphis reprirent en septembre, et la Sainte-Barbe célébrée fut le 1er décembre (LMN n°1 de la 3e année, datable probablement du mois de novembre). On y apprend également concernant les « T.P. de topo : 20 gniasz qui, par un froid à fendre l’âme, pleurent d’émotion devant des appareils ultra-sensibles. Quant au mandant, il a abandonné les études graphologiques qu’il avait entreprises au début de l’année ».
Mine
de rien…
Cela s’est fait sans bruit ; on n’en a point
parlé,
La radio n’a rien dit ; mais la chose est certaine :
Dans Paris qui n’a plus sans ticket que la Seine,
Depuis bientôt un mois, les Mineurs sont rentrés.
Lorsque la Faculté n’était pas encor
prête,
Leur foule a réveillé le vieux Quartier Latin ;
À huit heures vingt-cinq, on voit chaque matin
Le Boul’Mich se peupler
d’hâtives silhouettes.
Déjà dans les amphis, le Mandant, chaque jour,
Vient compter des dormeurs le nombre
hypothétique ;
Mais avant que pour le contre-app’
il ne rapplique
Les mineurs sont partis palabrer dans la cour.
Vignal aime toujours la thermodynamique ;
Dans l’Ardêche, dit-on, il
l’alla promener
Et Bouligand a profité de ce
congé
Pour pondre un nouveau fascicule… bordélique
Chez le Nablat, Courbis est toujours maître-queux
Le menu bien souvent comporte des carottes…
Le charbon fait défaut, c’est dire qu’on grelotte,
Mas on prétend qu’il va nous arriver sous peu.
En somme, je n’ai plus grand
chose à vous apprendre,
Les absents ne sont pas oubliés, j’en réponds :
Et, à moins d’imprévu, tous nous les attendons
Pour un méga-boulal, vers le
premier décembre.
P… (2e année)
Le 2 février 1944, les jeunes taupins qui avaient intégré quatre années et cinq mois auparavant, en sont à leur dernier examen. (LMN n°7 de décembre 1943).
Ce numéro comprend le compte-rendu intégral et détaillé de la journée du mercredi 1er décembre (où l’on célèbre alors la Sainte-Barbe). L’après-midi les parodies eurent lieu à l’Amphi X, et le soir se déroula à la salle d’Iéna. Lors du Baptême proprement dit de la promotion représentée par Pecqueur et Noé, Perroy inaugura une nouvelle formule de double parrainage, par la promotion de vingt ans plus âgée et celle de l’année précédente. La P23, représentée par Jean Caillot, remet à la nouvelle promo la lampe, symbole de la voie tracée, et la barrette protectrice, tandis que la P42, représentée par Lombard et Brall, leur transmet sa science sous la forme d’un résumé du cours de Chimie et d’un cours Friedel. C’est en quelque sorte une passation de pouvoir par le trisaïeul, et un engagement d’accompagnement sur le chemin des études par le parrain.
En janvier 1944 sortit un n°7bis de LMN dans lequel est reproduit le texte de la chanson du méga-boulal :
Quand tu reverras ton École
Quand tu reverras tes Amphis
Son Mandant, ses contr’apps, tu diras « ma parole !
On est tout de même mieux ici ! »
Quand tu reverras l’escalier,
Ses petites tables en haut
Les lavabos de chimie, la Biblio, l’Atelier
Les p’tites bêtes, les légumes, les cristaux
Plus besoins de lampe à pétrole
Il fera soleil à Paris
Quand tu reverras ton École
Quand tu reverras tes Amphis
La maison ce jour-là prendra ses airs de fête,
Son visage rieur d’autre fois
Et la nuit et le jour un orchestre musette
Chantera ton retour et ta joie
Mes amis diras-tu, répétons tous en chœur
Vive la Mine
et vive les Mineurs !
Le n°8 de LMN (daté de janvier 1944), nous apprend qu’en octobre 43 une centaine de Mineurs ont pu réintégrer l’école. La Revue était prévue le 30 avril (LMN n°9 de février 1944), date anniversaire de la découverte du corps de Philibert Aspairt dans une galerie de carrière quasiment à l’aplomb de l’école cent-quarante années auparavant, mais est-ce qu’il était envisagé de l’évoquer d’une manière ou d’une autre dans cette revue ? En juin 44 parait le numéro 13 de la revue ; il est presque exclusivement consacré à la Revue qui eut lieu finalement un mois auparavant, le 7 mai à 17h30 et qui fut suivie d’un bal. Il y a un dessin caricaturé de Bézard. Accessoirement un débarquement vient de se dérouler !
Photo de gauche, l’inscription
qui était la plus remarquable de toutes celles que l’on pouvait lire dans
l’abri sous le lycée Montaigne : « Paris, le 14 juillet 1944 »
surmontant deux drapeaux entrecroisés, un français et un anglais. Le
débarquement a eu lieu, c’est la fête nationale, l’espoir renaît !
Espérons que ce sera bien le dernier 14 juillet d’Occupation ?
De très nombreuses autres
dates d’alerte entouraient celle-ci, malheureusement elles ont toutes été
recouvertes d’un immense badigeon noir et blanc réalisé par un cataclaste. Toutes ces dates d’alertes étaient notifiés sur
ces murs en français, car il ne faut pas oublier que pour toutes sortes de
travaux, les Allemands faisaient intervenir des entreprises françaises, aussi
lorsque la sirène d’alerte retentissait, tout le monde descendait dans l’abri,
les Occupants, le personnel travaillant pour eux, tout comme les ouvriers qui
étaient sur place à ce moment-là.
La rentrée 1944 se fit au mois de novembre (LMN nouvelle série – 3e année, n°1 daté de novembre). Le parrainage par la promotion de vingt années antérieure se fait en bloc et est surtout effectif à la sortie de l’école. Le parrainage par la promotion immédiatement précédente est au contraire individuel. « En entrant à l’École, vous faites partie d’une communauté, qui a pour devise “Sans faille”. […] Chacun de vous aura bientôt un père » qu’il choisit parmi les élèves de deuxième année pour le guider et le former dans l’esprit des traditions de l’École, déclare le Délégué général lors de la cérémonie d’intronisation. Les mineurs de deuxième année ont presque tous un filleul « pour une influence intellectuelle et une aide matérielle. Influence intellectuelle pour lui inculquer les principes bien compris de l’esprit de l’École, une aide matérielle pour appuyer notre influence. »
Le n°2 de LMN (de décembre 1944), nous fournit un exemple concret de cursus interrompu « pour fait de guerre ». Edmond Baratchart (1921-1944), fut reçu à la Mine en 1942, fit d’abord une année aux chantiers, avant d’être mineur à Graissessac, et ce n’est qu’en décembre 1943 qu’il entrait à l’École.
Mais les habitudes reprennent vite car voici à nouveau un baptême souterrain dans les Catacombes, une véritable renaissance :
« BAPTÊME DE LA PROMO 44
Nous sommes
à peine rentrés depuis huit jours que nos anciens parlent de notre baptême
(peut-être sera-t-il pour eux l’occasion d’un divertissement) et dès le lundi
11, à 20 heures, anciens et bizuths sont réunis dans la Bibliothèque.
“Tiens, ce
sympathique chamal [18]
serait-il notre marraine ?”
Mlle Denise
vient en effet d’arriver et nous voilà partis en file indienne pour la visite
des catacombes : “Initiation de fond”. Après une descente de 30 m. par une
bouche d’égout, nous sommes vite, après l’aspersion baptismale au milieu des
crânes et des tibias, les yeux fixés sur des visions tragiques, les oreilles à
l’écoute des bruits “tout a fait insolites”… Puis c’est un magnan et des
chants, et malheureusement trop tôt, le retour à la surface. Nous n’insisterons
pas sur la nuit qui devait nous procurer le repos nécessaire pour la cérémonie
officielle du baptême du lendemain…..
Après un
splendide magnan signé Courbis, nous nous réunissons
à 3h½ à l’amphi X sous la Présidence de monsieur Friedel [pour écouter
plusieurs discours : du Délégué Général, du secrétaire de l’Association
des Anciens Élèves, de deux représentants de la promotion 24, marraine de la
nouvelle promal qui présentent ce qu’est la vie à la
Mine, et les rapports qui lient les élèves, anciens et actuels, tant à l’École
qu’à la sortie]. Après la présentation des commissaires Hasse (42) et
Espinasse (44), c’est le baptême de la promotion, suivi d’une magnifique revue
organisée par les gnass de 2ème année, et
dont le but ne pouvait être que de mettre en évidence les talents de nos
Maîtres distingués.
Enfin un apéral géné confirmera la note de
sympathie qui a plané sur toutes les cérémonies.
CHIC à la Mine-sans-Faille
A. Espinasse »
En 1944, c’est la fille de la libraire de l’École des Mines qui fut retenue comme marraine, et qui épousa d’ailleurs également un élève de la P44. Lise Topart intervint lors du baptême qui eut lieu pour la revue de l’année 1947, avec les élèves de la Promotion 44 assimilés au retour de leur mobilisation. Puis en 1945, ce fut Jacqueline Duc, qui entra à la Comédie Française l’année suivante, qui fut la marraine. Il se produisit alors un fait cette année-là, dont le Landerneau des carrières bruisse encore et que les cataphiles n’imaginent même pas : Jean Rives, alors délégué général de la P45, eut l’idée de laisser une trace de ce baptême sur les parois de la rue Saint-Jacques, au nord de ce qui sera beaucoup plus tard connu sous la désignation de « galerie des promos » ; cette matérialisation fut réalisée sous la forme d’un simple encadré accompagné du nom de la marraine associé à celui des organisateurs. Cet emplacement fut certainement choisi à cause du Cabinet minéralogique dans lequel se retrouvaient les élèves lors de réunions souvent nocturnes.
Entre-temps, dans le jardin du Luxembourg et ses dépendances
Lors de l’Occupation, le jardin du Luxembourg devint le Haut Quartier Général de la 3e flotte aérienne allemande (= Luftwaffe). Le jardin fut totalement interdit au public quelque temps car réservé à l’artillerie allemande, étant converti en parking pour y garer des véhicules. Deux blockhaus furent alors construits dans le jardin de part et d’autre du Palais, qui vinrent en complément des abris construits auparavant en préparation de la guerre.
Dès 1934, le Sénat avait commencé à envisager sérieusement la réalisation d’abris pour protéger les parlementaires et son pléthorique personnel, sans omettre dans ses études la possibilité d’aménager les carrières dans les sous-sols du jardin du Luxembourg. Si quatre abris furent initialement prévus, un seul fut finalement réalisé dans le jardin de la Présidence à partir de 1937, la livraison ayant eu lieu en 1939 après des essais techniques effectués au printemps. Comme le préconisaient les études de la Défense Passive, ce fut une véritable construction de béton étanche au gaz qui avait été érigée sur deux étages, le tout intégralement foncé dans le sous-sol du jardin. En parallèle, deux tranchées-abris furent établies dans le jardin en 1939 (une, allée de l’Odéon ; la seconde, allée des Platanes, devenue depuis Delacroix), dans lesquelles le public devait être dirigé par les jardiniers en cas d’alerte de jour. Ces « tranchées de circonstance » furent en réalité désaffectées en janvier 1941 et alors en partie comblées ; ce fut l’abri en carrières sous la rue de Tournon qui devait s’y substituer. Ce nouvel abri, accessible à partir de la caserne des Gardes républicains, mais également en ouvrant une trappe depuis la voie publique face à l’entrée du Sénat, était restreint à une simple galerie confortée pour cet usage et considérée comme ne pouvant recevoir au maximum que 150 personnes.
Ci-dessous, dans le cercle
vert rue de Vaugirard, l’entrée de l’abri rue de Tournon face au Sénat, via une trappe à ouvrir donnant sur un
escalier en colimaçon.
Dans l’ovale vert,
l’escalier de secours (mais pouvant aussi servir d’accès) dans les caves de la
caserne des Gardes républicains.
(Plan schématique des
carrières dessiné par Robert Chardon http://www.lutecia.fr/ et amélioré par Laurent
Antoine http://www.lemog.fr/)
Bien que les Allemands fussent maintenant attributaires de l’abri du Sénat, mais aussi de la partie des tranchées-abris qui n’avait pas été comblées, le « surplus étant réservé par l’autorité occupante », ils exigent de nouvelles structures renforcées pour s’abriter en cas d’alerte. Fin 1943 est ainsi décidée la construction d’un abri souterrain à 14 mètres de profondeur, sous le jardin au niveau de la façade est du bâtiment du Sénat. Constitué d’une galerie axiale orientée nord-sud devant desservir 10 galeries perpendiculaires, lorsque la construction fut stoppée pour les raisons que l’on sait le 18 août 1944, seulement sept de ces galeries étaient achevées. En outre, en avril 1944 il avait même été envisagé un nouvel abri du côté du musée restreint à trois galeries en surélévation, mais protégé par une dalle en béton armé de deux mètres d’épaisseur.
Blockhaus construit à la
demande des Allemands, occupants alors du lieu (© site Internet du Sénat)
En face, dès le 23 septembre 1940, le lycée Montaigne avait été réquisitionné par les autorités d’occupation essentiellement pour y loger les soldats de la Luftwaffe [19], qui se trouvaient ainsi à deux pas du QG que le Maréchal Goering avait établi au Sénat. Le jardin du Luxembourg, d’abord interdit, finit par être partiellement ouvert au public, ce que rappelle Marc Augé [20] : « Enfant, j’allais souvent au Luxembourg. Je pourrais récapituler mon existence en ne parlant que de ce jardin et des images qu’il m’évoque. Images de la guerre : des secteurs entiers réservés aux Allemands, et les éclats d’obus de la D.C.A. que nous ramassions avec les marrons d’Inde dans les allées parce qu’ils faisaient d’excellents aimants ; hivers de guerre, forteresses neigeuses, parcours plus réguliers après la guerre ou parfois plus haletants, les matins où j’étais en retard et me hâtais vers le lycée Montaigne que les Allemands n’occupaient plus (quand ils étaient encore là ils donnaient des concerts sous le kiosque et j’entendais dire : “ Quand même ils sont bon musiciens... ”). »
Les élèves du lycée sont alors transférés dans l’école communale de la rue des Feuillantines pour les petites classes et les sixièmes [21], ainsi qu’à l’Alliance française (101, boulevard Raspail). Au début 1944, en prévision d’événements que l’Occupant sentait néfastes pour son avenir, les locaux de la rue des Feuillantines sont à leur tour réquisitionnés par le gouvernement qui souhaite faire convertir l’abri sous l’école en un abri gouvernemental pour 60 personnes. Les élèves de ce qui était devenu le « Petit lycée Montaigne » doivent à nouveau déménager pour gagner l’école de la rue de l’Arbalète. Afin d’assurer la protection de la population civile qui avait le droit d’accéder à l’abri sous l’école, un nouveau site dédié va alors être construit sous la maison de la Géologie (77, rue Claude Bernard), espace de carrières qui va être vidé des remblais au sol, entièrement voûté et que l’on connait aujourd’hui sous le nom de salle Z [22].
La légende des fléchages des
trois sorties de secours. Ailleurs, dans cet abri sont uniquement reproduites
ces flèches sur toutes les encoignures, et parfois en plusieurs exemplaires au
même carrefour. Elles sont alors identifiées à la fois par leur couleur et leur
numéro. La très grande majorité de ce fléchage est maintenant recouvert de
tags, y compris celles-ci matérialisant le point de départ, car à la base de
l’escalier d’accès.
Tandis que, si sur cette
porte étanche isolant le poste de secours pour soigner les intoxiqués par les gaz
de combats, l’inscription pochée en allemand a aujourd’hui totalement disparu,
cela est dû uniquement à la propagation inexorable de la rouille. (Deux photos
prises par Bruno Lapeyre en avril 1985.)
Le lycée Montaigne, devenu suite à un nouveau nom de baptême davantage germanique Florian Geyer Burg, subit de nombreux travaux pour sa nouvelle affectation : « dans les sous-sols un stand d’exercice de tir ; les cuisines avaient été équipées pour fabriquer des conserves destinées à l’armée ; rue d’Assas, à proximité du lycée, avait été aménagé un garage pour les camions militaires et dans les derniers mois de l’occupation, toute une salle se trouvait remplie de grenades. Les Allemands avaient aussi organisé une prison avec plusieurs cellules. Toutefois, la distraction des troupes n’était pas oubliée, puisque les occupants avaient reconstitué une taverne bavaroise, avaient établi dans le préau de la cour de droite une salle de cinéma (qui fut conservée jusqu’en 1979), remplacé la chapelle par une salle de théâtre bien équipée, qui fut totalement démontée à la Libération [23] ». Tandis qu’au niveau des carrières [24] existe un abri anti-aérien qui porte encore aujourd’hui les stigmates de cette occupation militaire, ayant été aménagé en 1940-1943 par les Allemands avec tout un système de fléchage menant vers quatre sorties de secours.
Mais cet abri étant devenu stratégique de par l’importance de la force d’Occupation qui avait établi ses quartiers au-dessus, cela induisit pour des raisons de sécurité, un isolement infranchissable de pratiquement tout le secteur nord de l’actuel « Grand Réseau Sud ». Pourtant il côtoie l’abri civil sous la faculté de Pharmacie car situé dans les carrières immédiatement mitoyennes. La séparation entre les deux était matérialisée par une porte blindée à volant identifiée par l’inscription « Notausgang 4 », alors que les flèches pochées pour s’orienter dans l’abri ne désignent que les sorties de secours 1 à 3, la troisième étant double car menant soit vers la servitude de la rue Notre-Dame des Champs, soit vers celle de la rue Bonaparte.
Traduction du document
archivistique présenté ci-dessous :
Instructions / Mode d’emploi
Tout d’abord repousser la plaque de béton. Puis sortir par le trou de
la grille. Ensuite soulever tous les éléments de béton, relever la grille et la
fixer avec les barres transversales.
Cet escalier fut désormais
interdit aux seules personnes auparavant autorisées… à savoir le personnel de
l’Inspection !
Malheureusement, la plupart des marquages allemands ont désormais disparu sous les injures du temps et les récentes dégradations de visiteurs irrespectueux et sans connaissances historiques, parmi ceux qui fréquentent les carrières souterraines de la capitale. Si l’on peut effectivement atteindre cet abri à partir des carrières / catacombes de Paris, ce que firent en leur temps de relevés les docteurs Suttel et Talairach [25], les Allemands étaient parfaitement conscients de cette perméabilité générant une faiblesse intrinsèque. Aussi le cheminement des trois sorties de secours (73 rue Notre-Dame-des-Champs, face au 92 rue Bonaparte, et 86 boulevard Saint-Michel) depuis les portes de l’abri, avait été isolé du réseau général des galeries par des fermetures à l’aide de panneaux fixes en bois ou mobiles. Ce que nous confirme un rapport du 23 février 1942 rédigé par l’ingénieur en chef des bureaux « à la suite de tournées de surveillance des anciennes carrières existant sous certaines voies publiques du VIe arrondissement », qui établit à ce sujet un compte rendu détaillé et nous donne les précisions suivantes : les deux accès aux carrières du lycée Montaigne (par la rue d’Assas et par la rue Auguste-Comte) sont désormais fermés par des portes mobiles avec serrure, alors que la serrure fermant la trappe de l’escalier du 64 boulevard Saint-Michel a été changée et ne peut plus être utilisée avec les clefs du Service des Carrières. Au pied de cet escalier, fut d’ailleurs trouvée une inscription allemande qui expliquait comment ouvrir depuis l’intérieur cette trappe de sortie (et dont la transcription est donnée ci-dessus).
Si ce mode d’emploi en allemand se trouvait apposé à la base de l’escalier, c’est bien que désormais les seuls utilisateurs possibles ne pouvaient être que les Allemands pour lesquels tout le secteur du Luxembourg, aussi bien en surface qu’en dessous (délimité par le quadrilatère rue de Vaugirard, rue d’Assas, rue Michelet et l’école des Mines) avait été sanctuarisé. Mais combien parmi les rares représentants de l’armée d’Occupation qui eurent le privilège de s’y déplacer (ne serait-ce que pour vérifier l’emplacement des travaux de cloisonnement décidés à partir de l’étude des plans de l’Inspection, ou superviser les dits travaux) remarquèrent que les marches de l’escalier du boulevard Saint-Michel, construit peu de temps auparavant, avaient été coffrées en utilisant des journaux dont l’encre avait été absorbée par le ciment, rendant le texte toujours visible sur les contre-marches lorsque l’on lève la tête ? Notons que cette sanctuarisation du secteur ménageait par là-même un accès à partir du garage des officiers au 86, de la rue d’Assas.
Exemple d’une publicité pour
la Quintonine, une boisson fortifiante à base de
quinquina alors en vogue à l’époque, qui « excite l’appétit et combat la fatigue ». Parue dans un
journal, elle se retrouve aujourd’hui transférée sur le dessous d’une marche
par migration de l’encre lors de sa préfabrication.
On ne peut que constater que le « plan des communications souterraines allemandes autour du jardin du Luxembourg trouvé à l’école des Mines après le combat du 25 août 1944 » et déposé à l’école des Mines le 26 août 44 (et s’y trouvant heureusement toujours), a été réalisé par les Allemands à partir des plans de l’Inspection des carrières, ce qui était le plus simple. Ce plan, réalisé sur calque, se superpose d’ailleurs parfaitement avec le plan du Service des Carrières, à l’exception il est vrai de la galerie menant depuis la rue d’Assas jusqu’à la sortie de secours 73, rue Notre-Dame-des-Champs, qui réutilise un escalier de service de l’Inspection datant du XVIIIe siècle car créé sous Charles-Axel Guillaumot, le premier Inspecteur des carrières [26]. Alors que dans la réalité ce parcours fait les trois cotés d’un parallélépipède, sur le plan il a été schématisé en une simple ligne droite, ondulant légèrement ; c’est là le seul cas où le plan de l’Inspection n’a pas été respecté.
Sur le plan allemand récupéré en 1944, ceux-ci n’y ont
fait figurer que les galeries de servitude établies au niveau des anciennes
carrières, en faisant abstraction de la galerie technique PTT à l’aplomb du
boulevard Saint-Michel indiquée sur le plan Suttel
première version comme « couloir
câbles téléphoniques / relais Paris-Bordeaux ».
Cela aurait pu paraître une lacune rendant éventuellement perméable leur
système de galeries de repli dans le cas où ils auraient dû s’échapper du
Luxembourg au sens général par les sous-sols. Mais, même si cette galerie ne
transparaît pas sur leur plan, ils en avaient bien conscience et avait sécurisé
le lieu en conséquence, en y installant des fils de fer barbelés comme le
montrent les deux versions du plan du docteur Suttel.
Soulignés en marron, les
fils de fer barbelés signalés sur leur plan par les docteurs Suttel et Talairach.
Soulignés de vert : la
« porte blindée avec grille et mouchard électrique » séparant
l’abri civil de la faculté de Pharmacie de l’abri allemand, ainsi que la
« porte de fer de sûreté » empêchant d’entrer par la sortie de
secours sur la rue Notre-Dame-des-Champs (indiqué sur le plan de construction
« vers la galerie municipale ») de l’abri aménagé par la société Botte au 115 de cette rue (aujourd’hui Faculté Libre de
Droit, d’Économie et de Gestion).
Sur le plan ci-dessous, levé
par le docteur Suttel, les pastilles rouges,
positionnées dans l’abri de la faculté de Pharmacie, représentaient trois
sorties potentielles par escalier, lesquelles lors de la création de cet abri étaient des accès séparés réservés :
A : aux
militaires ;
B : aux étudiants
conduits par leurs chefs de travaux, et aux civils surpris par une
alerte ;
C : aux enfants du
lycée sous la conduite de leurs professeurs.
Une quatrième sortie (D) fut
au final agréée, bien que par puits à échelons.
Deux dates sur
ce pilier à encorbellements au bas de l’escalier de secours Bonaparte,
avec cette précision Occupation par les Allemands : janvier 1941
– 2 février 1944.
Quant aux quelques dates d’alerte ci-après
(30 décembre 43 2 fois ; 31 décembre 43 midi ; 21 janvier 44 ; 2
février 44), ce ne sont que quelques-unes parmi les très nombreuses qui vont se
succéder et qui sont liées aux premiers préparatifs du futur Débarquement.
Le rôle des sous-sols lors du dernier des 5 jours de l’Insurrection
Les Allemands avaient une telle connaissance des galeries de carrières au voisinage des abris du lycée Montaigne et du Sénat, qu’ils avaient donc installé des fils de fers barbelés dans la galerie technique, mais il aurait fallu les surveiller pour que les « cataphiles de l’époque [27] » ne les franchissent pas comme purent le faire Suttel et consort.
Cette connaissance des carrières par les Allemands n’était pas limitée à Paris et éventuellement la proche région parisienne, mais au contraire à toute la France. Le service géologique de la Wehrmacht procéda en effet à partir de 1942 à un inventaire sur tout le territoire français de ces sous-sols artificiels, avec l’objectif éventuel d’y installer des usines ou d’autres structures qu’il fallait abriter de bombardements redoutés, étude effectuée à partir de documents possédés en différents ministères et autres administrations[28].
Le 25 août 1944 fut signé la reddition des Allemands par le général von Choltitz en début d’après-midi [29], mais le secteur du jardin du Luxembourg va se transformer en bastion retranché, les Allemands qui occupent le Sénat refusant de se rendre. Depuis la semaine précédente, l’état-major de la Luftwaffe avait quitté le Palais du Luxembourg, remplacé par les 600 hommes du colonel von Berg qui était cantonnés au lycée Montaigne, garnison renforcée par une colonne de SS de retour du front de Normandie et une compagnie de Schutzpolizei (une police de protection particulièrement virulente). L’École des Mines, de par sa localisation, n’échappe pas au siège tenu par les derniers combattants allemands ; ils s’y barricadent également, mettant à la porte le personnel encore présent, à l’exception du concierge [30]. Les soldats se mettent alors à miner le site du Luxembourg en entreposant d’importantes quantités de cheddite dans les abris du Sénat. Le colonel Crépin de la 2e DB entre alors dans la cour d’honneur pour y entreprendre, avec son homologue von Berg, des négociations qui vont s’éterniser jusqu’à 18h45. Les résistants avaient bien envisagé d’essayer d’investir les lieux par les sous-sols, mais ne passèrent pas à la pratique réalisant que la sortie dans ce camp retranché se serait effectuée un par un, formant ainsi des cibles idéales et vouant leur tentative quasiment à l’échec. Pourtant, « une attaque par les carrières immédiatement envisagée s’était avérée impossible bien que l’accès par les abris souterrains n’ait plus présenté de difficulté. L’armement était [aussi] insuffisant pour une attaque surprise [31] » nous signale le docteur Suttel qui a parcouru les carrières souterraines pendant toute la guerre. Bien que le cheminement par les carrières n’aurait effectivement alors pas posé de difficulté, suite au plan qu’avaient établi les deux docteurs de Sainte-Anne, Suttel et Talairach, à la suite de nombreuses nuits blanches passées à arpenter les centaines de kilomètres souterrains, il ne fut donc pas question d’attaquer cette troupe par les sous-sols.
La 2e DB appelée en conséquence à la rescousse, se positionna place Louis-Marin afin de prendre l’école en enfilade, bâtiment qui en porte encore des traces (mêlées à celles de bombardements que subit l’école pendant la Première Guerre mondiale). D’autres impacts de ces combats sont encore parfaitement visibles sur le bâtiment des serres côté rue Auguste-Comte. C’est en forçant l’entrée donnant sur cette rue, aujourd’hui place André-Honnorat, que les chars de Leclerc pénétrèrent dans le jardin du Luxembourg, ce qui mit un terme définitif à l’Occupation de Paris.
Plan extrait de « La 2e DB dans la
libération de Paris et de sa région » par Laurent Fournier et Alain Eymard ;
La carte des combats à
droite est extraite de « La libération de Paris » d’Édith Thomas
(voir : http://liberation-de-paris.gilles-primout.fr/la-prise-du-senat).
Ce ne fut que le 31 août que les pompiers [32], associés à des soldats du Génie de la Division Leclerc, évacuèrent le stock de cheddite accumulé dans le central téléphonique construit sous les pelouses du Sénat, plusieurs centaines de caisses semble-t-il. Deux des participants à la neutralisation de ce dernier piège tendu par l’Occupant eurent une surprise totalement inattendue, mais qui peut s’expliquer avec le recul et à la lueur de ce document inédit et insoupçonné : le plan allemand découvert en août 1944 et trouvé dans le fonds cartographique ancien de l’École des Mines. Occupés à leur travail qui demande une attention soutenue et des mouvements parfaitement maîtrisés et contrôlés, ils entendirent tout à coup « Kamerad, Kamerad ! Sortant de l’ombre, deux soldats allemands s’avancent vers [eux], hirsutes, faméliques, ne tenant plus debout !... ». En se rendant après avoir jeté leurs fusils à terre, ils expliquèrent avoir erré depuis huit jours en s’enfuyant par les « égouts [33] », mais n’ayant pas trouvé de voies de sortie les ramenant à la surface, épuisés ils auraient décidé de faire demi-tour pour revenir à leur point de départ. En cette date tardive, ces deux prisonniers peuvent de fait être considérés comme les deux derniers Allemands ayant occupé Paris.
Dès octobre 1944, après des réaménagements rendus nécessaires par quatre années d’occupation par une troupe militaire, le lycée Montaigne put accueillir de nouveau les élèves. Il est à noter qu’au sein de ce lycée, un tableau électrique porta jusqu’aux années 80’s des indications en allemand, et que lors de la réfection du gymnase réapparut cette inscription fléchée : Zum Luftschutzraum… mais d’autres lycées portent encore des telles indications !
Deux photos issues du Musée
de Sainte-Anne, montrant des prisonniers allemands après leur reddition.
L’anecdote peu
connue évoquée ci-dessus peut être rapprochée de celle racontée par le docteur Suttel dans son livre consacré aux carrières et catacombes
de Paris. Quelques jours après la Libération de Paris, Suttel
et Talairach découvrirent au pied de l’escalier de
sortie de la rue Bonaparte (une des sorties de secours que s’étaient donc
ménagées les Allemands à partir du lycée Montaigne, l’une des deux numérotées 3
et fléchées de noir dans l’abri)… un petit tas d’uniformes SS. On peut supposer
des soldats sortis par cet accès après avoir revêtu des habits civils, profitant
de la confusion générale régnant alors autour du jardin du Luxembourg ; ce
dernier bastion luttant contre les libérateurs attirait sa foultitude de
curieux au détriment des plus élémentaires règles de sécurité auxquelles il
aurait mieux valu se tenir. Ce n’était pas la première fois qu’il avait été
envisagé de passer par les galeries de carrières pour surprendre les Allemands
dans un de leurs derniers retranchements. Une autre opération d’envergure fut
imaginée quelque temps auparavant pendant l’Insurrection : prendre
d’assaut la prison de la Santé pour y faire évader les prisonniers, ce qui
aurait pu être réalisé sans peine, un court puits à échelons débouchant à
l’intérieur du large périmètre de sécurité déployé tout autour du lieu de
rétention, mais cela ne dépassa pas non plus le stade de la réflexion car
l’étroitesse des galeries et l’exiguïté de la sortie rendaient les actions de
sortie et d’évacuation irréalisables sans pertes considérables. Les Résistants
avaient déjà finalement admis alors que « les carrières sont
utilisables uniquement comme refuge clandestin, dépôts d’armes et de matériel
ou moyens de communication pour de petits groupes ou des individus isolés ».
Le plan de circulation des carrières en possession des Résistants
Si les Résistants avaient envisagé un temps d’investir le nid allemand du Luxembourg c’est parce que grâce aux docteurs Suttel et Talairach ils étaient en possession d’un plan levé à la main de l’ensemble des carrières qui ne s’appelait pas encore le Grand Réseau Sud, démarré à partir de l’hôpital Sainte-Anne où ils étaient affectés durant l’Occupation. Ils en dressèrent un plan à double trait de 1943 à 1945, en espérant qu’il pourrait servir à la Résistance. Ils avaient fait l’abstraction des plans de l’Inspection qui existaient et qu’ils auraient pu calquer (autre méthode possible), mais il aurait néanmoins fallu compléter le travail en allant sur le terrain pour y apporter des informations pratiques absentes de la cartographie officielle.
Ce plan connu depuis sous ce simple nom « Suttel » n’est pas très juste au niveau représentation des galeries, surtout dans certains secteurs (par exemple sous le cimetière Montparnasse), mais il est strictement isomorphe c’est-à-dire que les nœuds du réseau sont parfaitement corrects. Cela tient aux conditions et à la méthode de relevé, commencé à partir d’« une grille chère à [leurs] souvenirs… », celle isolant du réseau général les carrières sous le groupe hospitalier Sainte-Anne. De toute manière, il répondait avant tout à un usage pressenti et donc une nécessité : « la possibilité pour un lecteur de se diriger facilement dans le réseau des carrières, de se rendre d’une issue à une autre sans s’égarer en connaissant les modes et les facilités éventuels de sortie ». D’où aussi le report sur ce plan d’inscriptions gravées dues à l’Inspection (informations absentes des planches officielles car leur usage n’est pas le même), ou d’autres repères visuels telles que des graffitis. Mais il comporte aussi des indications telles que : « Puits de sortie par échelle et trappe circulaire devant la Laiterie parisienne 42 bd Pasteur », avec indication du nombre de marches pour les escaliers. « Ce travail, fait dans la clandestinité pendant de longues nuits, ayant pour but essentiel le passage aisé et rapide d’un point à un autre, avait exclu volontairement tout rapport avec l’administration des carrières », ce qui est la « norme » pour tous les plans « clandestins » des carrières de Paris jusqu’à nos jours.
Sur la première version de
son plan, qu’il remit au colonel Rol-Tanguy, le
pourtour de l’abri allemand du lycée Montaigne n’est pas encore dessiné, mais
les deux grilles en fer en donnant accès sont représentées, l’une indiquée avec
un « signal électrique ». Tandis qu’au niveau de ce qui va être
transformé en abri pour le gouvernement Laval, il est écrit qu’il y a une
« porte de fer », qui a donc momentanément empêché de pénétrer dans
le site, puisque sur la version finale le pourtour de l’abri est figuré avec
deux pastilles figurant les deux escaliers d’accès et donc de sorties
potentielles.
Sur le « Suttel », les dissimilitudes les plus grandes, par rapport aux plans (filaires ou non) calqués viennent du mode de repérage topographique : « Le tracé de chaque galerie a été réalisé en comptant les distances en nombre de pas, chaque changement important d’orientation ayant été noté à la boussole. Le repérage en surface n’a été possible qu’en utilisant, soit des escaliers, soit des puits à crampons par lesquels nous accédions aux trappons circulaires en fonte [par en dessous], traçant à la peinture une marque, chaque fois différente, dans l’épaisseur de l’orifice médian. Le contrôle en surface se faisait ensuite de jour, en se déplaçant à bicyclette », restrictions de guerre obligent ! Par l’intermédiaire d’un réseau de résistance de la Presse, Suttel et son comparse rencontrèrent un beau jour un groupe intéressé par l’utilisation des carrières. Ensuite, ils furent mis en relation avec le colonel Rol-Tanguy sans savoir que c’était lui, car il se présenta sous l’alias [34] de Morel. Ils firent une reconnaissance ensemble sous Paris, visite clandestine comme il se devait, mais qui leur laissa un souvenir spécial car elle fut marquée par un incident particulier : « à un carrefour, sous la rue Humboldt, une lampe lointaine brillait dans les ténèbres. Après un instant d’immobilisation, notre fanal et celui de l’inconnu s’éloignèrent d’un commun accord tacite, chacun ignorant qui pouvait être l’autre. Morel, malgré tout satisfait, nous demanda de lui confier notre plan. »
Nous pouvons affirmer qu’il est quasiment exclu que cet autre visiteur de l’ombre ait été un Allemand. Il n’aurait certainement pas été seul sous terre, encore moins dans ce secteur, mais de plus il est avéré que d’autres personnes à cette époque connaissaient et parcouraient illégalement ces galeries sous Paris, et parmi eux certains noms nous sont parvenus par des membres actuels de leur famille : par exemple le sapeur-pompier René Legruiec [35], ou Pol le Cœur. Mais une telle activité illicite, et a fortiori devant rester secrète dans le cas d’un résistant cherchant à repérer un lieu, fait que la plus élémentaire prudence recommandait de ne pas vouloir savoir à tout prix qui pouvait être en face. De plus, les Allemands avaient sanctuarisé le secteur autour du jardin du Luxembourg, donc les rares endroits où ils durent circuler sont dans ces parages, ainsi que dans l’Ossuaire qu’ils pouvaient se faire ouvrir à volonté, étant chez eux en France et donc à Paris, bien que ce site touristique fût officiellement fermé [36].
Ci-dessous à droite,
inscription manuscrite allemande de 1942 dans l’ossuaire. Ci-dessous autres
inscriptions de 1940 à 1943 dans l’abri du lycée Montaigne dont un dénommé Rudi
qui laissa son prénom en 1940, en 1941-42, et pour la dernière fois en 1943.
Que lui arriva-t-il en 1944 : retour en Allemagne, départ zur Normandie front ?
Une autre anecdote similaire nous est rapportée par le docteur Suttel concernant le secteur de l’abri allemand. « Les investigations autour des abris allemands, pour en définir les contours et les issues, ne s’effectuaient évidemment pas sans tension. Mais rien de fâcheux ne se produisit. Une seule fois cependant lors de l’exploration nocturne d’un abri en construction, toutes les ampoules s’allumèrent soudainement. Bien qu’armés, nous étions peut-être pris au piège. Après une longue attente, cachés dans un recoin, tout s’éteignit. Était-ce une erreur d’interrupteur, un garde prudent ? »
Une version initiale de ce plan fut remise à Rol-Tanguy, et il était jusqu’à récemment encore en possession de Cécile Rol-Tanguy sa veuve, avant qu’elle ne le remette au Musée de la Libération de Paris. La progression dans le relevé du plan souterrain de Paris est manifeste en plusieurs endroit : par exemple sous le Val-de-Grâce où apparaissent davantage de détails, mais aussi et surtout au niveau de l’abri allemand du lycée Montaigne. On y voit également apparaître l’abri dit Laval, qui est alors seulement en construction sur la version finale du plan Suttel qui nous est parvenu. Cela veut également dire qu’il ne semble pas que le docteur Suttel ait pénétré dans cet abri lorsqu’il n’était qu’un abri destiné aux élèves de l’école sise au-dessus. Ce n’est qu’à partir de février 1944, suite à une réunion entre le Secrétaire général du Gouvernement, le Préfet de la Seine, le directeur de la Défense Passive, des représentants ministériels et de services techniques de la Ville de Paris qu’il fut décidé la conversion de l’abri scolaire en un abri gouvernemental pour 60 membres de l’équipe de Pierre Laval, abri qui ne sera finalement jamais terminé. Il est par ailleurs intéressant de noter qu’après la Libération de Paris, Rol-Tanguy prendra possession des locaux de la rue des Feuillantines pour s’y établir dès le 28 août, n’ayant plus aucune raison de se cacher.
Si auparavant il dirigea l’Insurrection à partir de l’abri de la place Denfert-Rochereau, dont la construction avait été envisagée et diffusée dans la presse dès 1936 dans un article de la revue La Nature [37], c’est pour plusieurs raisons. Le site avait été indiqué à Rol par l’ingénieur Tavès, chef du Bureau des projets de la Ville et Résistant depuis fin 1942, et mis à sa disposition par le général Bloch-Dassault qui était alors au Comité directeur du Front national. Cet abri était relativement bien positionné sur la route que les alliés étaient susceptibles d’emprunter pour entrer dans Paris, mais surtout il possédait son propre central téléphonique relié au réseau des égouts, ce qui le rendait indépendant et permettait de doubler le standard de surface des PTT. De plus, grâce à un ingénieur du métro, le capitaine Réa, ce standard téléphonique souterrain fut également relié au réseau métropolitain, le mettant en communication avec 250 postes dans Paris et la région parisienne, dont la Préfecture de Police. Avantage non négligeable, son positionnement au niveau des carrières (et donc en liaison avec l’ossuaire des Catacombes… mais après seulement plusieurs centaines de mètres de marche souterraine [38]) faisait qu’il était tout le contraire d’une nasse car il offrait un certain nombre de voies de repli et d’innombrables sorties de secours. Cet abri étant primitivement dévolu aux Services techniques de la Ville de Paris (service du Métropolitain, de l’éclairage, du nettoiement, de l’eau, de l’assainissement, etc.), lors de la présence de Rol et ses hommes il continuait de fonctionner en parallèle pour les besoins de la ville [39].
Lorsque l’on compare les trois années successives de la planche 25-50 (ex.281) de l’Inspection des carrières, en 1896 l’emplacement précis du futur abri est encore à l’état d’anciennes carrières par hagues et bourrages, tandis que la ligne de Sceaux y est bien représentée (son terminus à l’époque est la gare du Luxembourg depuis à peine une année [40]). Puis sur la version provisoire de 1937, les consolidations du métro L4 et L6 ont fait leur apparition, mais il n’y a toujours rien au niveau de l’abri. Il faut attendre la version de 1943 pour voir cet abri enfin dessiné très précisément. Les Allemands ne pouvaient a fortiori pas ne pas être au courant de son existence. D’ailleurs Rol-Tanguy, le déclare lui même dans ses mémoires : « Le lieu était connu de la Kommandantur allemande, mais le contrôle était limité à un coup de téléphone quotidien au gardien de service, qui appartenait à l’équipe de Tavès. Il se tenait toujours à proximité du standard. Il répondait chaque matin – c’était toujours vers dix heures – au major allemand chargé de la surveillance, Otto Dummler, par un laconique « RAS » – rien à signaler. C’était l’habitude. Mais à ma connaissance, cette surveillance, de toute façon lointaine, n’a pas continué au-delà du 23 août. Cela n’empêchait pas de prendre toutes précautions pour être à l’abri. L’entrée principale par le laboratoire d’essais était gardée par les hommes de l’ingénieur Tavès. Son accès était limité au strict nécessaire – c’est par là qu’arrivait Massiet, le chef d’état-major de Lizé, ou que le général de gendarmerie Hary est passé le 22 août, lorsque Chaban l’a mis sous mes ordres. Il fallait donner un mot de passe qui changeait tous les jours. Mon chauffeur et mes gardes du corps ne descendaient pas dans le PC. Les agents de liaison non plus : comme je l’ai dit, ils entraient par la gare de Sceaux. Leurs messages étaient transmis au PC par les soins d’un officier du 3e bureau qui faisait la navette, puis ils ressortaient par la cour de la rue Schœlcher. »
Le cheminement inverse fut effectué par Rol le 20 août pour venir s’y installer depuis l’immeuble de la rue Schœlcher où il était arrivé la veille : descendant l’escalier il n’eut qu’à suivre non seulement une galerie clairement reconnaissable par la présence d’un câble téléphonique, mais surtout celle-ci était éclairée. Ceci nous est également confirmé par la soumission du 7 août 1939 pour les travaux d’électricité [41], qui stipule que les globes lumineux devaient être commandés « à l’aide de 9 boutons-poussoirs répartis tout le long de la galerie », interrupteurs dont sont encore parfaitement identifiables les emplacements ainsi que ceux des globes lumineux. Mais tout ce matériel, de même que toutes les gaines et les fils électriques, ont disparu, très certainement au cours des réemplois qui ont cannibalisé de très nombreux sites de cette nature suite à leur désaffectation après-guerre, quand le pays était encore en manque de tout et soumis aux restrictions (rappelons que les tickets de rationnement perdurèrent pendant quelques années après la Libération).
En guise de non-conclusion… complètement ouverte :
Signalons que parmi les premiers explorateurs « clandestins » après-guerre du site souterrain allemand du lycée Montaigne, autrement dit qui sont passés par les carrières, on compte dès janvier 1945 bien évidemment des élèves des Mines. Parmi eux, François Budin, Henri Carpentier et Jean Fumet, tous trois de la promotion P43, ce que le deuxième me raconta après que je lui eus envoyé la photo ci-dessous à droite.
À gauche, une des traces les
plus emblématiques des combats de la Libération, près du porche d’entrée de
l’école. Mais tous les éclats ici ne sont pas de cette époque car ils sont
mêlés aux traces du bombardement de Paris le 20 janvier 1918. C’est par exemple
le cas de la grosse traînée horizontale au ras du sol qui est une des
cicatrices de la Première Guerre mondiale toujours visible à Paris (voir les
photos de ce mur juste après, en 1918, sur le site Gallica
de la BNF, en particulier : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53003932s)
Photo prise dans le
cheminement souterrain permettant de passer de l’abri de la faculté de
Pharmacie à l’escalier de sortie boulevard Saint-Michel, donc à proximité de
l’école. Le Nablat, dont il est fait référence à
droite des noms des trois élèves de la promotion 43, en lui demandant de se
dévêtir, était le cuisinier dans l’argot de l’École des Mines. Il est également
cité première ligne de l’avant dernier couplet dans la chanson de 1943
reproduite ci-dessus. Malheureusement cette inscription est aujourd’hui
recouverte d’un tag.
Dernière minute : le 3 mai 2016 était signalée (au
moins par Ouest-France dans son
édition du soir) la découverte par les forces kurdes d’étonnants réseaux de
souterrains méconnus de l’État islamique. Ces tunnels étaient utilisés par les
djihadistes pour circuler librement, en toute discrétion, mais surtout se
protéger des raids aériens de la coalition. Ce que les Allemands avaient
eux aussi imaginé au cours de l’Occupation, pouvoir se mettre à l’abri des
bombardements alliés et s’échapper par la même occasion d’une attaque des
Libérateurs en utilisant les galeries souterraines de Paris, d’autres venaient
donc de montrer la pertinence de sa mise en application.
« Chic à la Mine » gilles.thomas@paris.fr
Ci-dessous, extrait
similaire du plan Suttel dans sa version finale.
Bibliographie sommaire… tout
étant encore à écrire :
« Les carrières souterraines
peuvent-elles être aménagées en abris ? », par Pierre Devaux, dans La Nature du 1er avril 1936
n°2974 T1 p.299-307 ;
« Proposition tendant à l’utilisation
des anciennes carrières souterraines pour la protection de la population
parisienne contre les attaques aériennes », déposée en 1936 (sous le
numéro 152) par M. [Ludovic] Calmels, conseiller
municipal [du 13e arrondissement / médecin / PRS] ; sept pages
et trois plans dont deux dépliants (un de situation, celui de l’abri envisagé
place Pinel, et celui des garages-abris souterrains) ;
« La Défense Passive. Protection des
populations civiles contre les attaques aériennes »,
par Robert Chenevier, La petite Illustration, n°927, 15 juillet 1939 ;
« Paris pendant la guerre, (juin 1940
– août 1944) », par Pierre Audiat
(Librairie Hachette, 1946) ;
« Catacombes et Carrières de Paris.
Promenade sous la capitale », par le docteur René Suttel,
préface du docteur Jean Talairach (Sehdacs 1986, puis éditions du Treuil 1993) ;
« Libération de Paris. Les cent documents »,
par le Colonel Rol-Tanguy & Roger Bourderon, avec un avant-propos de Jacques Chaban-Delmas)
(chez Hachette, dans la collection Pluriel, 1994) ;
« Atlas du Paris souterrain »,
sous la direction d’Alain Clément et Gilles Thomas (Parigramme,
2001 ; édition actualisée et complétée en 2016 et récompensée par le prix
Haussmann pour son apport à la connaissance du « Grand Paris
souterrain ») ;
« Rol-Tanguy »,
par Roger Bourderon (chez Tallandier,
2004) ;
« Les catacombes. Histoire du Paris
souterrain », par Gilles Thomas (Le Passage / diffusion Le Seuil,
2015 ; ouvrage ayant reçu en 2016 le prix Ève Delacroix de l’Académie
française, destiné « à l’auteur d’un ouvrage
(essai ou roman) alliant à des qualités littéraires le sens de la dignité de
l’homme et des responsabilités de l’écrivain » ;
« Un monde oublié », par Agnès Canavélis, p.38-41 de Liaisons
(le magazine de la Préfecture de Police) n°113, numéro hors-série « Les
lieux secrets de la Préfecture de Police (chapitre Mystères en sous-sol) » paru en décembre 2015 ;
« L’abri
de Défense Passive du siège de la CPDE (immeuble Vienne-Rocher) », par
Gilles Thomas, p.56-65, dans Liaison-Sehdacs
n°22 (2016) ;
« Abris
souterrains de Paris. Refuges oubliés de la Seconde Guerre mondiale », par
Gilles Thomas (Parigramme, mars 2017) ;
« La Défense Passive et les abris allemands dans le 16e »,
page 5 de
La lettre de XVIe demain (Urbanisme, Environnement et
Qualité de vie), n°162 (juillet 2017) ;
« Tous aux abris », par Gilles Thomas, p.10-12 du Bulletin
d’information de la Seadacc (septembre
2017) ;
« Petite
étude d’inscriptions trouvées dans les sous-sols d’un lycée parisien »,
par Gilles Thomas, p.13-16 du Bulletin d’information de la Seadacc (septembre 2017) ;
« L’abri des Feuillantines… dit de “Laval” (dans les “Catacombes” de Paris) », par Gilles Thomas pour le Blog
du Comité de Quartier Latin (2017).
Sitographie
indicative, pour aller plus loin (en attendant la suite) :
http://www.occupation-de-paris.com/2012/07/la-defense-passive.html
http://quotidien-parisiens-sous-occupation.paris.fr/
http://occupation-paris.blogspot.fr/p/le-paris-allemand.html
http://liberation-de-paris.gilles-primout.fr/
http://ktakafka.free.fr/F_2GM.htm (les photos prises des dates
d’alertes l’ont été sur mes conseils, et bien m’en a pris, car elles n’existent
plus aujourd’hui, le mur ayant été entièrement recouvert de peinture sous un
gigantesque tag)
+ l’incontournable site Internet du Sénat pour l’histoire de
cette institution, dont la période entre 1940 et 1944.
Le dessous de l’escalier de la rue Schœlcher est
tellement sec qu’il n’est pas étonnant d’y retrouver des papiers de coffrage
encore en place. Ici des pages du bulletin municipal du 6 octobre 1935, faisant
la publicité pour un camion Latil, ou annonçant la
future exposition internationale de 1937.
Remerciements :
Pierre-Alain Tilliette, conservateur en chef à la Bibliothèque de l’Hôtel de Ville pour son soutien, ses conseils et son amitié ;
Jean-Michel Wahart pour m’avoir fait part de l’existence du plan allemand de 1944 ;
Philippe Chauvin et Patrick Sougne du Sénat pour les échanges d’informations et Pierre Toury pour m’avoir mis en contact avec eux ;
Philippe Walliser, directeur de gare à Paris Est, pour une visite amicale de « son » abri possédant également des inscriptions en allemand, et qu’il va ouvrir au public ;
Guilhem Touratier pour sa connaissance du « dossier » Seconde Guerre mondiale ;
Sans oublier
Anne « Kaito » pour des traductions lors de
« cours du soir », et Albert Meige [42]
pour une cartographie de qualité devenue indispensable.
… et Bienvenue à
Clarisse Pradel (responsable de la bibliothèque de Paris de l’École des Mines-Paristech,
politique documentaire, acquisitions) et à Sylvie Zaidman
(Conservateur du Patrimoine, Directrice du « musée du général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris – musée
Jean Moulin ») dans leurs nouvelles affectations !
Ci-dessous :
Plan allemand des carrières aux alentours de
l’école, document exceptionnel trouvé après le combat du 25 août 1944 (Collection de l’école des Mines-ParisTech).
=== Unterirdische Gänge (galeries souterraines)
X : murage (Abmauerung)
=== Kabelkanäle (galerie technique) I : porte
blindée (Eisengittertür)
----- Umzäunung des Luxembourg Gartens (grille
du jardin du Luxembourg) I : porte (Tür)
O :
Accès de l’abri
anti-aérien (Zugang
zum Luftschutzkeller)
1 : logement de la troupe (Stabsunterkunft)
2 : garage du Quartier Général (Garagen des Stabsquart[iers])
3 : caserne des gardes républicains (Franz[ösisch]-Polizeikaserne)
B : bassin du Luxembourg Garten M : École des
Mines P :
Palais du Sénat
O : Théâtre de l’Odéon
A : accès (Einstieg)
A’ : autre accès pour l’abri en carrières de la
rue de Tournon, non positionné sur le plan.
E : entrée par escalier en colimaçon (Eingang Wendeltreppe)
S2, S3a, S3b, S4 : Sortie par escalier (Treppe Ausgang)
Ss : Sortie de secours par trappe (Notausstieg)
LSR43 :
abri allemand construit en 1943
Quelques photos en supplément :
Photo de droite, entouré de
bleu un support de lampe, souligné de vert le D (couleur brune) du fléchage
vers NDdC, tandis que les quatre cercles rouges
montrent les fixations encore en place pour clore de manière pérenne la galerie
en face.
Les parcours menant aux
sorties de secours sont encore fléchés d’ocre (photo Jean-François Weiss). On
peut donc y voir aussi des insertions régulières de morceaux de bois pour y
fixer des supports d’éclairage (ci-dessous à gauche), et y lire par endroit des
noms manuscrits d’origine allemande. Les emplacements où se trouvaient les
cloisonnements pour isoler le secteur afin de s’assurer que n’y circulent que
les Allemands sont aussi toujours identifiables à différents carrefours de
galeries.
Carte postale publicitaire
de 1935, faisant une parfaite synthèse des deux illustrations de cette époque
visibles sur le dessous des marches des deux escaliers en béton préfabriqué qui
sont évoqués précédemment. C’est la même « nouvelle camionnette Latil » de 1200 kg, qui de plus porte une publicité pour la Quintonine !
* Aucune information sur ce que cet Inspecteur général des carrières était devenu pendant l’Occupation ne nous était parvenue, aussi cela pouvait-il nous laisser augurer le pire, jusqu’à ce que l’on reconstitue une partie de son parcours grâce aux Archives de l’École Polytechnique et à celles de l’École des Mines. Né le 24 juillet 1892 à Paris, il fut reçu Élève Ingénieur le 1er octobre 1915, et fut nommé à la tête de l’Inspection en 1939, d’où il fut écarté en 1940 à cause de ses origines malvenues en ces temps troubles. Sa situation professionnelle sera régularisée au sortir des hostilités par l’arrêté du 9 avril 1945 avec effet rétroactif. Il décéda le 13 avril 1966 dans le 17e arrondissement. Mais comment traversa-t-il exactement la guerre et l’Occupation ? Nous ne le savons pour l’instant pas encore.
[1] Qui n’est pas un simple quidam, malgré son nom assez commun, car ce Dupont « maître de mathématiques », et donc capable de tracer des plans car enseignant aussi la géométrie, avait été chargé l’année précédente d’étudier le problème causé par les carrières souterraines du point de vue de la sécurité publique.
[2] « Recueil de
pièces manuscrites relatives à l’histoire des carrières de Paris aux XVIIe
et XVIIIe siècles », par le Groupe Parisien de Recherche sur
les Souterrains Paris (© GPRS 1986).
[3] Voir ce que raconte Pierre-Léonce Imbert dans ses deux opus : Les catacombes de Paris, paru en 1867, et Paris souterrain, chapitre XI dans À travers Paris inconnu (publié en 1876). Cela étant corroboré par une lettre du même, dans le fonds manuscrit de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris et datée de fin 1870 début 1871.
[4] La Commune, par Paul et Victor Margueritte (fils du général de division de cavalerie Margueritte), écrit entre Vétheuil et Paris (1903-1904), et dont la dédicace est : Aux vainqueurs et aux vaincus de la Commune dont la bataille sacrilège acheva sous les yeux de l’étranger de déchirer la France. À ces frères ennemis pacifiés dans la mort et l’oubli nous dédions ces pages en horreur et en haine de la plus odieuse des guerres.
[5] « L’ami du Latium », par Marc Lambron, publié le 11/10/1997 dans Le Point http://www.lepoint.fr/actualites-litterature/2007-01-25/l-ami-du-latium/1038/0/86041.
[6] Aphorisme lors d’un entretien avec Marie-Douce Albert pour le Figaro du 24 octobre 2002.
[7] Max Planck, physicien, prix Nobel de physique en 1918, dans Autobiographie scientifique, Albin Michel - 1960, p.84
[8] Voir http://blogs.reading.ac.uk/france-under-allied-air-attack/?page_id=392 : France under Allied Air Attack, 1940-1945. Preparing for Bombing : France 1922-1940.
[9] Ibidem (La “légiférite” aiguë n’est pas une maladie gouvernementale récente !)
[10] En janvier 1939, déjà 23 km de tranchées-abris avaient été creusées dans Paris intra-muros.
[11] Notons que parmi la population prioritaire lors des premières distributions de cet impedimenta, se trouvaient les boulangers.
[12] Phoney war (pour guerre bidon, et non funny war !) ou sitzkrieg (= guerre assise).
[13] La population ayant finalement été formatée pour une telle réaction car parfaitement conditionnée avec tous ces cours, exercices et travaux pratiques.
[14] L'héritage de Vichy - Ces 100 mesures toujours en vigueur, préface d’Emmanuel Le Roy Ladurie (Armand Colin, 2012).
[15] En janvier 1939 c’était 28 tels PSS qui avaient été construits, dans lesquels les malades devaient être isolés et soignés en fonction du type de gaz qui aurait été utilisé et donc des atteintes dont ils souffriraient (asphyxiés, suffoqués, vésiqués / ypérités), en attendant leurs transferts après le retour au calme dans des hôpitaux dédiés en fonction de la localisation du PSS.
[16]
Voir dans la bibliothèque de l’école : « Contribution à l’inventaire
des inscriptions d’intérêt historique relevées dans les anciennes carrières
sous Paris. De la fréquentation des carrières de Paris par les élèves de
l’École des Mines lors de la seconde moitié du XIXe siècle »,
rapport rédigé en 1994 par Jean-Luc Largier, Jean Laurent et Gilles Thomas (50
pages). Les dessous de Paris « Cartes sur table », par
Gilles Thomas, 1re partie dans « XYZ », n°107 (2e
trimestre 2006 / rubrique histoire), p.57-63 ; 2e
partie dans le n°108 (3e trimestre 2006 / rubrique
histoire), p.55-62 ; Quand les carrières de la Région parisienne
avaient (déjà) une vocation pédagogique, par Gilles Thomas dans
« SAGA information » (bulletin de la Société Amicale des Géologues
Amateurs), n°282, décembre 2008, p.9-24.
[17]
« Témoignage sur la vie de Georges Lipietz aux
mines d’Anzin et le rôle de l’Ingénieur en chef Michel Duhameaux »
http://lipietz.net/IMG/doc/Te_moignage_sur_la_vie_de_Georges_Lipietz.doc par Alain Lipietz, Député européen (honoraire),
[18] Un chamal est, comme chacun sait, le singulier de cet animal à deux bosses que sont les chameaux !
[19] Il a peut-être aussi été utilisé comme hôpital et semble avoir accueil des services d’intendance.
[20] « La Traversée du Luxembourg. Ethnoroman d’une journée française considérée sous l’angle des mœurs, de la théorie et du bonheur », par Marc Augé (Hachette, 1985).
[21] À cette époque un lycée comprenait également les classes qui sont de nos jours regroupées dans ce que l’on appelle un collège.
[22] Il est à noter que cette initiale n’a définitivement rien à voir avec le service Z mis en place à la veille de la Seconde Guerre mondiale, identifiant tout ce qui était en rapport avec le péril aérochimique.
[23]
« Lycée Montaigne 1885-1985 », plaquette de 32 pages réalisée sous
la direction de Michel Hano pour le centenaire de
l’établissement.
[24] Ces anciennes carrières souterraines sont fameuses par leurs premiers occupants, les Chartreux, et ce dès qu’on leur attribua le site à partir de 1257.
[25] Dans ses mémoires, Suttel signale que si pendant l’Occupation la progression vers le Sénat et ses abris était parfois stoppée par une porte blindée agrémentée d’un signal d’alarme, dans les années 80’s les abris des sénateurs sont devenus impossibles, mieux sécurisés que ne l’étaient ceux de l’État-Major allemand. « À cette époque, le franchissement de la porte d’acier provoquait en nous la stimulation angoissante due au danger. » C’est Gaston Monnerville, président du Sénat, qui fit installer au début des années 60’s, devant la tournure des « événements algériens », de nouvelles portes blindées plus efficaces et doublées par des rondes, tandis que le ministre de l’intérieur, Roger Frey, fit murer certains passages et supprimer divers accès.
[26] Notons que l’usage de cet escalier a été de nos jours à nouveau privatisé, en dépossédant l’Inspection des carrières.
[27] D’avant le nom et surtout d’avant la mode !
[28] « Inventaire des souterrains et carrières souterraines de France (Quartier général régional de l’air de l’Ouest français / Commissariat BIII 12b, établi par l’armée allemande (Service de géologie de la Wehrmacht) 1942-1944 », traduction par Jean-Paul Delacruz (Recueil par ville et par région. Traduction de documents d’archives allemandes).
[29] Vers 15h45 à la Préfecture de Police.
[30] Souvenirs narrés par Jacques Friedel, fils du sous-directeur de l’école en cette période troublée, dans « Graine de Mandarin » (Odile Jacob – 1994).
[31] « Catacombes et carrières de Paris. Promenade sous la Capitale », par le docteur René Suttel, avec une préface de Jean Talairach (éditions SEHDACS 1986 ; puis éditions du Treuil 1993).
[32] La brigade de Paris, par Gérard Gauroy (éditions Fernand Lanore 1981).
[33] C’est le terme transcrit par l’auteur, mais il s’agit certainement d’autres sous-sols, et plus précisément des galeries de carrières sous-minant le secteur.
[34] L’usage de pseudonymes est un point commun que partagent beaucoup de cataphiles, séparant ainsi leur vie civile de surfacien de leur vie souterraine. Il est intéressant à ce sujet de remarquer que Résistance en anglais peut aussi se traduire par Underground !
[35] Sapeur-pompier de Paris de la 14e Compagnie, il fut arrêté par la Gestapo à Veretz le 9 novembre 1943 pour ses activités de Résistance utilisant les sous-sols de Paris ; il aurait fait passer des personnes par les réseaux souterrains parisiens (égouts et carrières). Déporté en Allemagne en janvier 1944, il y mourut le 26 décembre 1944, exécuté dans le camp de concentration de Flossenbürg.
[36] Le Bottin mondain de 1942 nous donne cet avertissement succinct concernant le musée des Catacombes : « Visites provisoirement suspendues ».
[37] « Les carrières souterraines peuvent-elles être aménagées en abris ? », par Pierre Devaux, dans La Nature du 1er avril 1936 n°2974 T1 p.299-307.
[38] Le raccourci habituel fait que certains parlent de l’abri utilisé par Rol-Tanguy comme étant dans les Catacombes, ce qui fait qu’on pourrait l’imaginer comme étant effectivement au milieu des ossements… ce qui se retrouve aussi dans des souvenirs de personnes y étant descendus pendant l’Insurrection, comme quoi !
[39] Communication personnelle de l’ingénieur du Service des eaux Émile Martin, ce qui donna l’idée de son interview et naissance à un documentaire dans le cadre du Festival du Jeune Reporter en 1994, manifestation parrainée par la Mairie de Paris / sous la double direction des Affaires culturelles et de celle de la Jeunesse et des Sports. Ce documentaire (http://www.youtube.com/watch?v=Y_gvOgyKxqc) fut titré « De dessous la Liberté ».
[40] Lorsque cette ligne de chemin de fer fut ouverte en 1846, son terminus initial était l’embarcadère de Denfert, future gare du RER de Denfert-Rochereau.. Elle fut étendue de deux stations supplémentaires en 1895, jusqu’à Luxembourg donc, mais les travaux eurent des incidences climatiques en carrières jusqu’à l’Observatoire plus au nord, à cause du percement de puits pour les travaux confortatifs nécessités par les changements dans la voie (cf. le « Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris » pour l’année 1892 (paru en 1893), rubrique Météorologie, Astronomie physique, Service de l’heure, par Wolf (chef du service), p.18-20.
[41] Tandis que pour la fourniture des portes étanches la soumission est datée du 2 juin 1938, et pour les portes anti-souffles et étanches elle est du 6 juillet 1938. Ces trois archives sont conservées dans les fonds manuscrits de la Bibliothèque de l’Hôtel de Ville.
[42] Fondateur et DG de Presans, il est aussi directeur de l’Executive MBA « Leading Innovation in a Digital World » de Télécom Ecole de Management (Institut Mines-Télécom). Détenteur d’un MBA d’HEC et d’un PhD en Physique de l’Australian National University, il a remporté le Prix de l’Innovation de l’École Polytechnique en 2008. Passionné de magie, il résout le Rubik’s Cube en 50 secondes… et est fan des carrières et Catacombes de Paris.