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Dolomieu, gentilhomme géologue PRÉSENCE DE L'HISTOIRE (Texte intégral) par Françoise G. Bourrouilh-Le Jan Le nom de Dolomieu reste attaché à un minéral, la dolomite, à une roche, la dolomie, à un cratère volcanique dans lîle de la Réunion et à un massif montagneux italien, les Dolomites, le long de la frontière autrichienne. |
Toujours célèbre deux siècles après sa mort, Dolomieu défraya la chronique et les revues de son temps, en particulier Le Moniteur universel et le Magasin encyclopédique, en 1799 et 1800, années de sa captivité à Tarente en Calabre, puis à Messine en Sicile, aux mains du Royaume des Deux-Siciles et de sa terrible reine, Marie-Caroline dAutriche, sur de la défunte reine Marie-Antoinette. En effet, la prise en otage de Dolomieu à son retour de lexpédition dÉgypte, puis son incarcération, agitèrent le monde politique : le gouvernement français, les rois dEspagne, de Naples, dAngleterre, le tsar Paul 1er. Le monde scientifique Sir Joseph Banks, président de la Société royale de Londres , mais aussi le monde ecclésiastique le Pape intercédèrent pour lui. Dolomieu ne dût sa délivrance quà la victoire militaire de Bonaparte à Marengo, le 14 juin 1800. Marqué par sa captivité, il décéda 17 mois plus tard.
Sa vie fut un roman daventures, passionnant, mais souvent tragique, puisque Dolomieu traversa la Révolution française, lui un gentilhomme, sans le sou, dune famille de dix enfants, mais gentilhomme quand même. Il y perdit tous ses amis : Lavoisier, Condorcet, La Rochefoucauld et combien dautres... et presque toute sa famille. Il ne dut sans doute la vie quà sa grande liberté desprit, et à la science quil aimait par-dessus tout, la géologie encore balbutiante. Cest elle qui lui permit de subsister physiquement et matériellement après la Terreur et, à partir de 1793, grâce à ses nominations successives ; dabord à la nouvelle Académie des sciences, puis à lÉcole des mines et enfin au Muséum dhistoire naturelle de Paris, où il fut nommé professeur de minéralogie.
Tout dabord
Dolomieu est un autodidacte, sa famille est établie au village de Dolomieu
à côté de La Tour-du-Pin, près de Grenoble. Il
est pétri de culture antique et ce nest que vers 18 ans quil
semble recevoir une formation scientifique, de chimiste surtout, à
Nancy, puis de naturaliste dans les salons parisiens du boulevard Saint-Germain.
Son appartenance à lOrdre de Malte, où son père
linscrit à 3 ans et lenrôle à 12, lui fournit
le vivre et le couvert et, surtout, le tourne vers les pays méditerranéens.
Son penchant pour
les sciences naturelles se trouve ensuite renforcé par tous les voyages
quil fait en tant que chevalier de lOrdre de Malte (notamment
au Portugal et aux îles Lipari), puis à travers toute la France
en tant quinspecteur des mines et surtout jusquen Égypte
aux côtés de Bonaparte, lors de lexpédition dÉgypte.
Un précurseur universel
Ses travaux scientifiques
commencent en 1775 par des mesures des variations de la pesanteur dans des
mines, en Bretagne, et par lobservation de la formation du salpêtre
(nitrate de potassium) pour un projet militaire, à Malte ; dès
1778, il publie des observations sur les basaltes du Portugal. À Malte,
il sintéresse à la météorologie et à
lastronomie en créant un observatoire. En 1783, quittant Malte,
il peut observer en Italie les effets du tremblement de terre qui vient de
ravager la Calabre. Dolomieu démontre que lintensité de
la dévastation tellurique est en partie liée à la constitution
du sol, minimale sur les roches anciennes et maximales sur les alluvions.
Son rapport, sur les effets généraux des tremblements de terre,
apparaît comme le seul opuscule géologique jamais traduit et
imprimé presque immédiatement en quatre langues (français,
italien, anglais, allemand)!
La seconde moitié
du XVIIIe siècle voit les naturalistes effectuer une sorte de reconnaissance
générale de tout ce qui les entoure, et surtout trouver une
logique à tous les objets nouveaux quils découvrent. Étudiant
dabord un environnement volcanique, Dolomieu sintéresse
au classement des édifices volcaniques actuels (strombolien, vulcanien,
etc.) et de leurs roches, en sattaquant dabord aux produits rejetés
par le volcan Etna (1788 et 1794). Plus tard, il publiera sur la chaleur des
laves et sur la distribution méthodique des matières volcaniques.
Dolomieu est le premier à supposer lexistence de masses ignées
profondes à lorigine des volcans et le refroidissement de la
croûte terrestre à la surface du Globe.
Voyages et collectes
lui posent deux difficultés, toujours dactualité pour
les géologues : le stockage des échantillons et la découverte
de nouveaux minéraux et de nouvelles roches. De par son esprit logique,
la très grande qualité de ses observations naturalistes et sa
formation de chimiste, Dolomieu peut déceler de nouveaux minéraux
parmi ceux quil analyse ou fait immédiatement analyser par ses
amis chimistes. En 1791, le chimiste et naturaliste Nicolas de Saussure lui dédie le carbonate double de calcium et magnésium, la dolomie, devenue dolomite suivant les normes de la classification internationale. Dans les laves des îles Cyclope, Dolomieu découvre l'analcime (silicate hydraté de sodium), ainsi nommé par Haüy en 1820 ; dans la mine de Romanèche, près de Mâcon, il découvre un composé de manganèse et de baryum, le psilomélane (oxyde de manganèse et de baryum hydraté), baptisé par
Haidinger en 1827. Dolomieu décrit le béryl (silicate dalumine
et de béryllium), lémeraude (variété verte
du béryl), découvre la «strontiane sulfatée»,
dénommée ensuite célestite par Werner, en 1798 : cest
effectivement du sulfate de strontium. Il découvre lanthracite,
en 1797, sintéresse aux «pierres figurées de Florence»,
aux roches et pierres composées, à lhuile de pétrole,
aux fluides élastiques tirés du quartz.
Pendant les heures dangereuses de la Révolution, il publie 17 nouveaux
mémoires dont les principaux concernent la leucite, le péridot,
le shorl volcanique ou pyroxène ; il insiste sur la nécessité
dunir les connaissances chimiques à celles du minéralogiste,
sur la couleur regardée à tort comme caractère des pierres,
sur les limites de la minéralogie, de la chimie minérale, de
la géologie et de lart du mineur.
La protection du patrimoine
À Rome déjà,
en 1786, il monte une collection de roches utilisées dans les monuments
antiques, et démontre aussi que le marbre de lApollon du Belvédère
provenait dune carrière qui navait été ouverte
que sous lEmpereur Auguste (Ier siècle de notre ère) et
ne pouvait donc être de la période grecque classique (Ve siècle
avant notre ère). Plus tard, en 1796, prenant conscience des ravages
causés par la Révolution sur les monuments, en particulier sur
les cathédrales, Dolomieu essaie, mais en vain, de faire récupérer,
par la municipalité de Metz, le sarcophage de marbre grec du fils de
Charlemagne, Louis le Débonnaire, encore appelé Louis Ier le
Pieux, Empereur dOccident et Roi des Francs, mort en 840.
Cette volonté
de protection du patrimoine lithique et monumental sexprime aussi lors
de lexpédition dÉgypte avec son Enquête sur
les précautions à envisager pour le choix, la conservation et
le déplacement des monuments antiques et son Étude du mécanisme
de laltération des monuments antiques sous linfluence des
agents atmosphériques.
LExpédition
dÉgypte
Les géologues
pionniers, souvent qualifiés de géologues voyageurs, furent
surtout des explorateurs. À ce titre, Dolomieu rédige, en 1791,
des notes pour «MM. les Naturalistes qui font le voyage de la Mer du
Sud et des contrées voisines du Pôle austral», notes remises
aux navigateurs partis à la recherche de la Pérouse, dont on
ne retrouvera les restes de lexpédition que deux siècles
plus tard sur les récifs de Vanikoro, dans le Pacifique.
Lui-même explore
des terres peu connues et les chaînes de montagnes qui, à cette
époque, sont considérées comme des endroits maléfiques
et dangereux : Portugal, îles Éoliennes, volcans éteints
du Vivarais et du Velay, Vosges, Pyrénées, Dauphiné,
Alpes. Il introduit dans ces textes les mentions de montagnes primitives et
de montagnes secondaires, qui annoncent les termes stratigraphiques futurs
de Primaire et de Secondaire.
Dolomieu est recruté
par le chimiste Berthollet le 4 janvier 1798 pour participer à lexpédition
dÉgypte. Dès son débarquement sur le sol égyptien,
il entreprend la vérification des données géographiques
quil avait lues dans les auteurs anciens, grecs et latins. En même
temps, suite à son expérience à Malte, il fait installer
et surveille moulins, meules, engrenages, farines et fours pour la fabrication
des pains de larmée dOrient du général Bonaparte.
Pressé par son ami Sucy, ordonnateur en chef de larmée
dOrient, de rentrer en France avec lui, Dolomieu refuse, car deux mois
supplémentaires de séjour en Égypte lui sont nécessaires
pour létude du delta du Nil. Il échappe ainsi au massacre
des marins et passagers du bateau de Sucy perpétré le 20 janvier
1799 par la population lors de l'escale sanitaire du navire à Augusta,
en Sicile, pour quarantaine. S'il évite ainsi les pièges de
Charybde, ce sera pour mieux tomber en Sylla après mars 1799, quand
il sera capturé à son tour en Calabre par la reine des Deux-Siciles.
Dépouillé de ses collections et de ses manuscrits, il survit
très péniblement dans un cachot presque sans lumière
avec quelques livres quil a réussi à cacher. Cet emprisonnement,
comme criminel dÉtat dans un sombre cachot de Messine en Sicile,
durera 21 mois.
En accord avec son
temps, Dolomieu généralise, au Nil et à la mer Rouge,
la notion géologique à la mode alors, celle des affaissements.
Par ailleurs, lexploration des hauts sommets pyrénéens,
puis alpins, loblige à sinterroger sur leur hauteur et
sur la formation même des chaînes de montagnes, questions déjà
débattues par nombre de géologues. Il hésite entre le
soulèvement de la chaîne et labaissement des terrains avoisinants.
En 1794, il suppose des «vagues géantes» de plusieurs centaines
de «toises» (1 toise = 1,949 mètre) pour expliquer les
«montagnes secondaires».
Les
échanges internationaux
À partir de
1794, Dolomieu réunit autour de lui, à Paris, un groupe détudiants
dont il soccupe activement, car ce sont les enfants de ses amis suisses,
qui suivent les cours des grandes écoles parisiennes. En 1796, est
organisé le Corps des mines : il est nommé Inspecteur des mines
et il professe dès cette année. Pendant lété,
il inspecte les mines des Alpes, et enseigne pendant lhiver. Toutefois,
se plaignant de labsence déchantillons pour illustrer ses
cours, il demande au gouvernement le transfert de son cabinet de Malte à
Paris.
Au XVIIIe siècle,
les échantillons sont conservés dans des pièces ou dans
des meubles de la maison dhabitation, nommés «cabinets»
et qui sont le souci principal de Dolomieu. Ses collections se trouvent à
Malte, alimentées par des courses minéralogiques ou par des
échanges. LOrdre de Malte veut les vendre à lUniversité
de Palerme. Dolomieu veut les offrir à lAcadémie de Lyon
ou à la ville de Grenoble ; enfin, il pense en faire don au Congrès
des États-Unis dAmérique. Finalement, elles iront dabord
à son beau-frère, puis au Muséum et à lÉcole
des mines.
Dolomie, dolomite et Dolomites
Dolomieu doit la
pérennité de son nom au minéral et à la roche
quil a découverts. Son article paraît en juillet 1791,
dans le Journal de physique, sous la mention Sur un genre de pierres calcaires
très peu effervescentes avec les acides, et phosphorescentes par la
collision. Dolomieu, qui se qualifie lui-même de «lithologiste»,
constate lexistence dun marbre connu des statuaires, comme marmo
graeco duro qui résiste à laction des acides faibles ;
il obtient à la calcination, dans son «laboratoire», de
«la chaux avec à peu près la même facilité
que la pierre calcaire ordinaire». Après le Tyrol, il localise
dautres affleurements entre Bolzano et Trente, en Italie, appartenant
à des «montagnes secondaires à couches horizontales, dont
le grain est fin et la cassure conchoïdale blanchâtre ; elles ont
de nombreuses cavités garnies de cristallisations en petits rhombes
[...] et qui se dissolvent lentement et sans ébullition».
Le 31 octobre 1791,
Dolomieu envoie à Nicolas de Saussure, à Genève, quatre
échantillons pour analyse. «Votre question sur le nom à
donner ... membarrasse. Je vous dirai dabord que le baptême
vous appartient.» La création du mot «dolomie» est
donc due à Nicolas de Saussure en mars 1792.
Le nom de Dolomieu
reste aussi attaché à un cratère de la Réunion,
dans locéan Indien, qui lui a été attribué
en 1802 par Bory de Saint-Vincent. Lappellation «Montagnes des
Dolomites» est plus tardive et napparaîtra que vers 1876.
En 1921, A. Lacroix, son premier biographe, a souligné les mérites
de Dolomieu, mérites dautant plus grands quà son
époque, lames minces de roches et microscope polarisant nexistaient
pas encore et ne pouvaient aider les géologues à lidentification
exacte des minéraux dans une roche. La chimie était balbutiante
et la géochimie nexistait pas encore ; pourtant, Dolomieu a identifié
et décrit nombre de minéraux et roches. Il privilégiait
avant tout lobservation naturaliste et les déductions logiques.
Ainsi, écrivait-il à son élève Cordier, juste
avant sa mort : «Jai senti plus fortement encore la nécessité
dêtre très circonspect à avancer des opinions quelconques
et à introduire des théories quand on ne veut pas être
contredit par la nature.»
Françoise G. Bourrouilh-Le
Jan est géologue au Laboratoire cibamar, à Talence.
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