TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XVI (2002)
André COMBAZ
Les premières découvertes de pétrole au Sahara dans les années 1950 :
le témoignage d’un acteur

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 19 juin 2002)

« Le désert renvoie leur image aux hommes qu’il tente : il est riche de leur âme ». Dicton arabe.

Résumé.

C’est grâce à l’audace de quelques géologues français que l’exploration pétrolière du Sahara a commencé en 1952, dans une incrédulité quasi-générale. Deux sociétés se sont d’abord engagées : la SN Repal[1] (BRP[2]) et la Compagnie française des pétroles, suivies de peu par la CREPS[3] (Régie autonome des pétroles) et la CPA[4] (Shell).

Les premières découvertes (1952-1955) ne concernent que des accumulations de gaz sec, alors regardé comme un objectif mineur. Les découvertes d’huile ne se produisent qu’au début de l’année 1956, d’abord dans la bordure méridionale du bassin avec Edjeleh, puis Tiguentourine, par la CREPS. En juin, un indice d’huile est découvert dans le nord, par la CFP(A)[5], près de Ouargla ; enfin survient en juillet 1956 la découverte du champ géant de Hassi Messaoud à Md1 (SN Repal), confirmé un an plus tard par Om1 (CFP(A)). Entre temps, la SN Repal découvrait un autre géant, de gaz humide celui-ci, à Hassi R’Mel. Ces découvertes valent une visite du général de Gaulle sur le chantier de Hassi Messaoud en mars 1957.

Hassi Messaoud pour le pétrole, et Hassi R’Mel pour le gaz, qui figurent, depuis 1967,  parmi les plus grands gisements du monde, représentent encore 80% des réserves d’hydrocarbures de l’Algérie.

 

Mots clés : souvenirs - exploration - gaz - pétrole - Algérie - XXe siècle.

 

 

Abstract.
Thanks to some French geologists’ audacity, petroleum exploration in the Sahara began in 1952, in an almost general incredulity. Two oil companies were first engaged : the SN Repal (BRP) and the CFP, followed by the CREPS (RAP) and CPA (SHELL).

The first discoveries (1952-1955) just concern dry gas accumulations which were considered of a very limited interest. Oil discoveries only happened at the beginning of 1956, first in the southern edge of the sedimentary basin with Edjeleh, then Tiguentourine, by the CREPS. In June, an oil seepage is observed in the northern region, near Ouargla, then happen in July 1956 the discovery of the major field of Hassi Messaoud at Md1 (SN Repal), confirmed one year later by Om1 (CFP (A)). By the way, SN Repal discovered another giant of wet gas : Hassi R’Mel. These discoveries won us in March 1957, a general de Gaulle’s visit at Hassi Messaoud.

Since 1967, Hassi Messaoud for oil, Hassi R’Mel for gas, are among the greatest fields in the world. They represent 80% of the hydrocarbon reserves of Algeria.

 

Key-words : memories - exploration - gas - oil - Algeria - XXth century.

 

 

 

Tout avait commencé, il y a cinquante ans, avec la mission de reconnaissance géologique au Sahara à l’initiative de Michel Tenaille, géologue, et directeur de la société algérienne SN Repal, créée en 1946 par le Bureau de recherches pétrolières[6]. Depuis ses débuts, prospectant dans le nord du pays, et n’ayant fait que de petites découvertes telles qu’à Sidi Aïssa, près d’Aumale, sur les Hauts Plateaux, dans la région de l’Oued Gueterini, et enfin dans le Chélif, près de Relizane, elle plaçait désormais son rêve dans le Grand Sud. Le Sahara de l’époque était encore le vaste désert mythique, inspirant la crainte et le respect. Jalousement célébré par Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944)[7], il avait déjà été étudié par divers pionniers tels que le naturaliste Théodore Monod (1902-2000)[8], le géographe Robert Capot-Rey (1897-1977)[9], les géologues Nicolas Menchikoff († 1992), Maurice Lelubre et surtout Conrad Kilian (1898-1950), qui ajoutait à la singularité de sa stature d’explorateur et de sa vie romanesque, une vision d’ensemble de la géologie saharienne assortie de la conviction[10], qui se heurtait aux railleries, que, quelque part sous les sables, devaient exister des gisements de pétrole[11]. Les milieux officiels recevaient ses avis avec suspicion, tandis que quelques confrères amis lui gardaient leur estime et le soutenaient dans ses épreuves et sa maladie[12].

 

 

Quand les choses commencent à se nouer

 

Pour sa mission en novembre 1948, s’il n’avait pas Kilian à ses côtés, Tenaille avait obtenu la participation de deux géologues universitaires : Nicolas Menchikoff de Paris, et Robert Laffitte d’Alger, outre Armand Colot et J. Follot. Il pria en outre Willy Bruderer, géologue de la Compagnie française des pétroles de se joindre à eux. Mieux valait s’assurer un solide partenaire pour jouer une aussi vaste partie.

 

La CFP, après la première guerre mondiale, s’était vue confier la part du pétrole de l’Irak Petroleum Company qui revenait à la France. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le président Victor de Metz, qui assumait la lourde charge de gérer ce pactole, devait d’abord, avec sa compagnie de statut privé, assurer les approvisionnements pétroliers de notre pays depuis la production, le transport et le raffinage, jusqu’à la distribution. Aux yeux de Michel Tenaille et de son directeur général Armand Colot, il représentait l’associé idéal. Il fallait donc d’abord convaincre, sur le terrain, le conseiller écouté du président de la grande société parisienne. Les arguments en faveur de l’exploration pétrolière du Sahara ne manquaient pas, mais la prudence s’imposait à celui-ci, malgré l’insistance officielle qui le poussait à participer à cette vaste entreprise en « zone franc ». Encore fallait-il que les chances de succès ne soient pas nulles ; or, hormis Kilian, jugé peu crédible, il existait très peu de gens qui croyaient au pétrole du Sahara[13]. Entre autres Menchikoff était des plus sceptique. Il fallait donc aller juger sur le terrain, autant que faire se peut.

 

La fameuse mission parcourut en quelques mois les affleurements du Paléozoïque de la ceinture tassilienne au nord du Hoggar et put vérifier le bien fondé de la vision d’ensemble du bassin sédimentaire de toute la partie orientale du Sahara septentrional proposée par Kilian. Bruderer en fut rapidement convaincu, et son expérience acquise au Maroc et surtout au Moyen-Orient, rendait son jugement des plus crédible. Sans doute les sceptiques fondaient-ils leurs doutes essentiellement sur l’absence d’indices de surface. Au Sahara, il est vrai, il n’existe pas de feux éternels, pas de suintements, pas de sources alimentant des mares de pétroles... comme on peut en voir en Irak dans les parages de Kirkouk, que Bruderer connaissait bien. Mais enfin, si les indications d’évidence étaient aussi impératives comme préalable à l’exploration, à quoi serviraient les géologues ? Ici un vaste et épais recouvrement mésozoïque et tertiaire était venu occulter l’ensemble des séries supposées pétrolifères d’un immense bassin sédimentaire. Depuis le massif du Hoggar, les séries paléozoïques structurées par un éventail de failles majeures de direction méridienne, font alterner, d’ouest en est, dorsales et fossés dont l’ensemble forme une sorte de main gigantesque qui s’enfonce vers le nord, ménageant ainsi en profondeur des zones propices à la genèse de pétrole, voisinant avec d’autres zones, surélevées, capables de le piéger. Ces conclusions de la mission de 1948 furent assez convaincantes pour le président de Metz, d’autant plus, avait pu glisser Bruderer, que ce Sahara réputé sans indices, venait de révéler des traces d’huile dans le Carbonifère, à 250 m de profondeur, au fond d’un puits d’eau de la région d’In Salah ![14]. La grande aventure allait pouvoir commencer.

 


 

Figure 1. Le domaine minier au Sahara algérien et en Tunisie en 1956.

(d’après A. Morange, A. Perrodon et F. Héritier).


Un acte de foi partagé

 

C’est en juin 1949, que la CFP s’engagea au Sahara aux côtés de la SN Repal, selon des modalités qu’il restait à définir. Le principe fut celui de la joint venture, déjà en usage dans le monde anglo-saxon, c’est-à-dire à risques partagés : frais et profits pour moitié dans chacun des permis qui leur étaient alloués. Chaque partenaire gardait dans ceux-ci une complète indépendance financière et technique, assortie d’une collaboration entre les services géologiques des deux sociétés. Après de longues discussions entre les principaux interlocuteurs : Armand Colot (SN Repal-BRP) et Jacques Bénézit (CFP), l’accord fut signé le 28 juin 1951. Quatorze permis furent ainsi demandés pour cinq ans, entre le 30e et le 34e parallèle ; par tirage au sort, les numéros impairs revenant à la CFP et les numéros pairs à la SN Repal. Leur superficie totale était voisine de 250 000 km2, la moitié des surfaces devant être restituée à l’issue de cette première période. Très satisfait de cet accord, le Gouvernement général de l’Algérie en espérait un développement décisif du pays car, quelle que soit l’issue de cette vaste entreprise, il en resterait l’acquis de nouveaux puits d’eau, assez nombreux pour permettre un bel essor agricole des oasis. Quant aux partenaires, ils s’étaient piqués au jeu, et commençaient à croire à ce pétrole saharien. Ils n’étaient pas les seuls, car des émules s’étaient manifestés (Fig. 1).

 

Un peu plus tard, en février 1952, une « zone sud », au delà du 30e parallèle fut demandée par une autre association, la Compagnie de recherches et d’exploitation des pétroles au Sahara (CREPS), et la Compagnie des pétroles d’Algérie (CPA). Celle-ci était une filiale de la Shell, tandis que la première était encore une émanation du pétrole national français. Cette fois la règle de partage était de 65/35%, avec des permis en deux bandes parallèles : CPA au nord, sur 190 000 km2 ; CREPS au sud sur 250 000 km2. Dans ces régions, certes plus éloignées de la côte, les objectifs étaient plus faciles à définir et à forer, étant moins profonds et, à partir des observations géologiques de surface, il était possible d’implanter des sondages. Concernant la « zone nord » en revanche, si la côte était plus proche, ainsi que la base d’Alger, comment décider de l’implantation des sondages ? Rien en surface ne laissait soupçonner l’existence, ici plutôt que là, d’éventuelles structures susceptibles d’accumuler du pétrole dans les tréfonds de ce désert désespérément vaste et plat. De plus ces éventuels gisements seraient profonds – au delà de 3000m –, exigeant ainsi des appareils de forage puissants, c’est-à-dire plus chers, plus encombrants et plus lourds, donc de transport difficile en terrains sablonneux. Le financement de ces recherches relevait des fonds publics en ce qui concerne la SN Repal, mais la CFP étant une société privée[15] ne pouvait compter que sur ses revenus propres[16]. Par chance ils devenaient importants justement en 1951-1952, grâce à ses 23,75% de l’Irak Petroleum Company qui venait opportunément d’accroître sa production de façon importante. Cela était rendu possible par la mise en service, obtenue de haute lutte par la CFP, de l’oléoduc de Kirkouk à Banias sur la côte syrienne. La part de pétrole brut de la compagnie s’élevait alors à 5 millions de tonnes par an, qu’il fallait donc transporter en France, puis raffiner et distribuer.

En janvier 1953 fut constituée la Compagnie française des pétroles (Algérie), filiale de la CFP, au capital de 2 milliards de francs, ayant son siège à Alger, qui se substituait dès lors à la maison mère comme opérateur au Sahara et comme associé de la SN Repal. Tout étant prêt, leurs permis, déposés conjointement le 15 octobre 1952, faisaient l’objet d’un arrêté signé dès le lendemain de ce jour. Jacques Bénézit devenait président de la CFP(A), Henri Vautrin, directeur général et directeur de l’exploration, remplacés plus tard dans ces fonctions respectivement par Pierre Germes et Claude de Lapparent. Il restait à recruter le personnel nécessaire à la mise en œuvre des opérations de recherche : géologues pour étudier la série sédimentaire, géophysiciens pour reconnaître la morphologie profonde, topographes... etc.

 

 

Témoin et acteur

 

Quant à moi, durant tout le temps de ces prémices, je terminais mes études de géologie à Paris, bien décidé, après une année de service militaire, à les couronner par un doctorat ès sciences au laboratoire du professeur Pierre Pruvost qui remplaçait depuis peu Charles Jacob à la Sorbonne. Mais le destin en avait décidé tout autrement. Je voulais en effet me marier dès mon retour à la vie civile. Celui qui devait être mon directeur de thèse comprit parfaitement mon désir d’entrer directement dans la vie professionnelle et me parla de la Compagnie française des pétroles qui recherchait un jeune géologue pour le Sahara. Mon entretien avec Henri de Cizancourt, directeur du service géologique de la CFP fut concluant. Ainsi, ayant quitté la veille mon uniforme de sous-lieutenant de chasseurs alpins, je signais mon contrat d’embauche le 13 février 1953 à Paris. Mariés en juillet, à mon retour d’un stage au Moyen-Orient sous la houlette de Louis Dubertret, nous étions à Alger au début du mois de septembre. Deux mois plus tard nous circulions en jeep, sur les pistes du sud, dans les Confins algéro-marocains. André Poueyto conduisait la mission. Il s’agissait de reconnaître, de mesurer et d’échantillonner les formations du Paléozoïque qui affleuraient dans ces régions. C’était la première d’une série de quatre grandes missions qui nous permirent d’étudier ensuite avec Dominique Massa et Pierre-Félix Burollet, la bordure nord du Hoggar du Tidikelt à l’ouest, de l’Ahnet et du Mouydir jusqu’au bassin de Fort-Polignac à l’est ; outre la région de Colomb-Béchar : la Zousfana, la Saoura et l’Ougarta. Depuis l’automne 1953, ces missions occupèrent, à raison de deux à trois mois chacune, toute l’année 1954 et jusqu’au début de 1955, quand je fus mobilisé au titre du maintien de l’ordre, comme chef de section dans les gorges de la Chiffah, sur la route de Médéa. Mais au bout de quelques mois, mon activité professionnelle étant considérée comme « indispensable à la vie économique du pays », j’étais libéré et, toujours « affecté sud », je me retrouvais géologue résident sur un chantier de forage saharien.

 
 
Du gaz dans l’eau...

 

Les sondages avaient en effet commencé, bien que la géophysique n’ait encore apporté qu’une image structurale bien sommaire de nos immenses permis. Le coup d’envoi avait été donné par la SN Repal, en octobre 1952, sur la fameuse dorsale du M’zab, un trait structural majeur défini par Nicolas Menchikoff. C’était à proximité de Berriane, un village mozabite situé à 40 km au nord de Ghardaïa. Le sondage y révéla d’abord une épaisseur réduite de Jurassique, puis quelques centaines de mètres de sel massif du Trias ; enfin, vers 2300 m, le géologue Jean-Marc Aymé observa des marnes noires intercalées de grès asphaltiques. Le test qui suivit fut éruptif, débitant de l’eau salée fortement émulsionnée de gaz de pétrole. Il y avait là un bel indice qui fit grand bruit[17]. La formation sous-jacente n’était autre que la série des grès grossiers plus ou moins quartzitiques du Cambro-ordovicien mais, malgré son faciès, elle fut d’abord considérée comme triasique, plutôt que d’admettre l’érosion totale de la série supérieure du Paléozoïque, ce qui changeait complètement l’interprétation géologique de la région. On voulut alors comprendre, et au lieu d’aller vers le sommet de la dorsale vers le nord-ouest de Berriane, au risque de découvrir un vaste gisement de gaz, on fora délibérément vers le sud-est un puits stratigraphique à El Goléa, au sud de Ghardaïa, à la recherche de la série perdue. Cette fois – entre deux « doigts » (cf. p. 97) – le Paléozoïque était bien présent, et l’on crut pouvoir trouver en position structurale intéressante, sur la frange sud de l’Erg occidental, les réservoirs gréseux du Dévonien imprégnés d’huile, et non de gaz[18]. Cet espoir obstiné valut bon nombre de puits stériles.

 

Pendant ce temps, que se passait-il chez nos collègues du sud ? Partis en dernier, ils étaient en avance sur les voisins du nord, étant avantagés dans l’étude géologique de leur région par l’absence ou l’extension très limitée de la couverture mésozoïque et tertiaire, qui leur permettait de reconnaître les structures anticlinales sur cartes photogéologiques, puis d’en faire sur le terrain un levé précis. Dès 1952, dans le bassin d’Illizi[19], une première mission des géologues de l’IFP : Trümpy, Guillemot et Michel, pour le compte du BRP, avait révélé l’existence du dôme d’Edjelé, près de la frontière libyenne avec, au coeur de l’anticlinal faillé, des indices d’huile en surface dans le Carbonifère inférieur.

 

L’association à 65/35% entre la CPA, filiale de la Shell, et la CREPS, issue des instances pétrolières nationales, reçut ses permis[20] en mai 1953, seulement quelques mois après leurs devanciers du nord. Puis, pendant que ceux-ci foraient à El Goléa, la CREPS découvrait en mars 1954, à quelque 80 km au sud-ouest d’In Salah et à 1450 m de profondeur, le premier véritable gisement d’hydrocarbures du Sahara : le champ de gaz sec (méthane) du Djebel Berga. Le réservoir du Dévonien inférieur débitait 600 000 m3/jour aux essais. Ainsi, tandis que les sondages se multipliaient, le Sahara commençait à apparaître comme une province à gaz, car divers sondages dans l’Ahnet, voire l’Azzel Matti vinrent ensuite le confirmer ; cependant il fallait bien admettre aussi l’existence d’indices d’hydrocarbures liquides.

 

 

Toute une série de puits secs !

 

D’ailleurs, l’existence de bonnes roches mères de pétrole, et celle de réservoirs gréseux, avait été reconnue depuis longtemps, notamment par Kilian. Les récentes missions de terrain les avaient en outre repérées, mesurées, cartographiées et dûment décrites dans leurs caractéristiques lithologiques et paléontologiques. La série du Paléozoïque, avec une belle constance sur l’ensemble du bassin, pouvait dès lors se résumer ainsi :

 

Sur le substratum granitique et la série infracambrienne, dite des « Grès de l’Ahnet », sont installés les « Grès inférieurs » d’âge cambro-ordovicien, épais de 700 à 1000 m. Hormis quelques passées argilo-gréseuses à leur sommet, il s’agit d’une puissante formation de grès grossiers, généralement quartzitiques. L‘ensemble, médiocrement poreux et perméable, étant de plus en position stratigraphique défavorable, était alors considéré comme « le socle pétrolier », c’est-à-dire « hors jeu » dans la recherche de gisements. Sur le terrain, ils constituent la première enceinte tassilienne autour du Hoggar.

 

Les argiles à graptolites qui forment ensuite le Silurien (ou Gothlandien), représentant en moyenne 200 à 300 m d’épaisseur, définissent, à l’affleurement, ce que Conrad Kilian à baptisé la « dépression intra-tassilienne », constituant une large vallée autour du Hoggar. Ces argiles noires, facilement érodées, chargées de fossiles et de matière organique furent tout de suite considérées comme d’excellentes roches mères du pétrole par Kilian qui justifiait ainsi sa foi dans le pétrole saharien.

 

La formation postérieure est une nouvelle assise gréseuse puissante : « les Grès supérieurs » formant le Tassili externe, d’une épaisseur de 500 m en moyenne. Certains niveaux gréseux présentent de bonnes caractéristiques de réservoir. Ils étaient l’objet de tous les espoirs des campagnes de forages, car c’est par eux, pensait-on généralement, que l’on pouvait espérer la découverte d’un gros gisement. L’époque de leur dépôt est le Dévonien inférieur.

 

Le Dévonien moyen qui vient ensuite est beaucoup moins épais et constitue un épisode calcaire et argileux, avec d’abondants fossiles marins, notamment des Goniatites.

 

Le Dévonien supérieur, épaisse série argileuse de 500 à 600 m de puissance, est une réplique du Gothlandien, avec d’abondants fossiles et microfossiles variés, et une teneur importante en matière organique lui conférant aussi un potentiel pétrolier certain, pourvu que des réservoirs convenables, en position structurale favorable, soient à même d’en recevoir le « distillat ».

 

Au dessus, le Carbonifère est en mesure de jouer ce rôle, au moins dans les régions où il n’est pas érodé. Ayant en effet, été à plusieurs reprises émergé et tectonisé, notamment à l’époque hercynienne, le Sahara a subi de très sévères ablations de sa couverture sédimentaire, avant que les mers du Mésozoïque ne viennent submerger les reliefs résiduels par des dépôts, demeurés ensuite tabulaires, de sel et autres évaporites, de calcaires, de marnes et de sables, morts-terrains venus, par milliers ou au moins centaines de mètres d’épaisseur, recouvrir un paysage paléozoïque fossilisé, masquant ses richesses pétrolières et les protégeant ainsi d’une trop facile convoitise.

 

S’étant forgé le jugement par l’observation des roches de surface, s’étant appliqué à en distinguer les différents faciès, et leur précieux contenu en fossiles, le géologue est ensuite mis à l’épreuve des chantiers de forage. Par bonheur, il dispose parfois de carottes, mais quand il faut arracher celles-ci à deux ou trois kilomètres de profondeur, il doit y regarder à deux fois car l’opération est longue et onéreuse. Au quotidien il lui faut se contenter de ces maigres déblais de roches concassées par les dents du trépan – les « cuttings » – et remontés en surface dans le circuit de boue du forage. Après quelques mois de stage au Maroc sur des chantiers du Rharb, l’usage de la loupe binoculaire, de la lampe de Wood[21], et l’élaboration du log lithologique des terrains traversés en sondage m’étaient devenus familiers. Les essais des couches-réservoirs, consistant à leur faire débiter en surface le fluide qu’elles contiennent, ne l’étaient pas moins... ayant eu le privilège, pendant la durée de mon stage, de contrôler tous les tests de nuit des chantiers de la région de Petitjean !

 

Mais comment nos états-majors décidaient-ils de l’implantation des sondages dans cette partie nord du Sahara au sous-sol énigmatique, sans indications de surface ? Seules les méthodes géophysiques pouvaient leur apporter une aide, et l’on avait d’ailleurs pris de l’avance avec une campagne de gravimétrie[22] lancée dès 1948. Son bilan, d’un flou impressionnant, conduit alors à essayer encore divers profils de sismique réflexion, mais les résultats de ceux-ci sont tout à fait confus et inutilisables. Devant ces échecs, il est décidé avec la Compagnie générale de géophysique (CGG), d’essayer la vieille méthode de sismique réfraction. Le premier essai met en évidence des marqueurs profonds caractérisés par des vitesses horizontales de 4000 à 6000 m/s. Dans la foulée, on effectue, d’ouest en est, une campagne d’une vingtaine de « sondages-réfraction »[23] en utilisant les pistes chamelières. Le sondage de Berriane avait permis d’assimiler au socle le second marqueur qui sera dès lors systématiquement cartographié. En effet, l’épaisse couche de sel du Trias qui jouait le rôle d’écran aux ondes sismiques directes, était perméable aux trains d’ondes réfractées qui ramenaient en surface des échos utilisables des puissantes explosions déclenchées en surface. La première campagne en fut lancée dès le début de 1952 par la SN Repal, à l’instigation notamment d’Igor Ortynski, et mise en œuvre par la Compagnie générale de géophysique. Si les cartes et profils ainsi obtenus constituaient enfin un énorme progrès, ils laissaient encore le champ libre à l’intuition des géologues et au hasard. Ainsi fut soulignée, dans l’axe de la dorsale du M’Zab, l’existence du fameux dôme de Tilrempt, et c’est en contre-bas de celui-ci que fut foré Berriane n°1. Mais on se tint ensuite malencontreusement à distance du sommet de la structure. Après Berriane et El Goléa, on fit encore un autre sondage stratigraphique profond à Touggourt. Au total on perdit trois ans en une vingtaine de sondages stériles avant de découvrir Hassi R’Mel, à seulement 45 km au nord-ouest de Berriane. En songeant d’une part au rendu de la moitié de la surface des permis en 1957, d’autre part à la répartition des points de calage de la sismique réfraction, on avait jugé plus sage de forer d’abord à larges enjambées, pour esquisser les grandes lignes d’une carte structurale du socle, principal marqueur de la réfraction, au bénéfice enfin d’un « piquetage stratigraphique » du domaine minier.

 

Cependant, sur la frange orientale du Grand Erg occidental, au nord d’El Goléa, réputée en position favorable, on tournait encore en rond à la recherche d’un réservoir fantôme et d’une fermeture vers le nord. C’est à ce stade de l’exploration que débuta dans ces parages ma carrière de géologue de chantier sur le « rig »[24] H 750 de la CFP(A). Le mot d’ordre était la découverte d’huile et non de gaz. Ainsi, la SN Repal qui avait marqué peu d’intérêt aux indices gazeux de Berriane, s’obstina à forer plusieurs puits sans succès, sur la foi de « bons indices d’huile » observés dans le premier sondage de la série des Bordj Nili n°1 à 4. CFP(A) s’acharna un peu plus encore sur le concept de biseau gréseux devant surmonter les argiles noires du Gothlandien, en effet bourrées d’indices, mais dénuées de niveaux poreux susceptibles d’imprégnations pétrolières. Je les ai souvent observés, ces indices solubles au chloroforme et donnant de belles fluorescences jaunes sous la lampe à ultra-violets. Malheureusement tous les tests effectués dans les parages étaient déclarés « secs », car ils ne débitaient faiblement que de l’eau salée ! Entre 1955 et 1956, dans les blocs II et III, les partenaires du nord forèrent ainsi une douzaine de puits stériles. Le bilan provisoire du moment semblait renforcer la position des incrédules, et les financiers rappelaient que les dépenses approchaient déjà les 30 milliards (d’anciens francs).

 

 

1956, une année qui baigne dans l’huile

 

Au sud, en revanche, où les réserves de gaz prouvées étaient assez considérables, on espérait bien trouver de l’huile... et la CREPS fut la première à crier victoire le 5 janvier 1956. Dans le bassin d’Illizi, le pétrole jaillit du puits d’Edjeleh 101, implanté sur le môle du Tihemboka, à proximité de la frontière libyenne. L’éruption d’huile se produisit en traversant un réservoir du Carbonifère inférieur, par 400 m de profondeur. Les essais de production, donnèrent une huile de bonne qualité avec un débit de 50 m3/jour. Ce fut l’événement ! Il remplit de joie les découvreurs et d’espoir leurs collègues du nord. Enfin le pétrole du Sahara sortait de l’état mythique.

 

A peine quelques mois plus tard, je crus moi-même pouvoir annoncer la première découverte d’un gisement dans le nord, lorsque j’assurais la surveillance géologique du sondage de Talemzane, (Li 1), implanté au sud-ouest d’Ouargla, sur une anomalie sismique. Mais on eut dit que l’événement refusait de survenir...

 

Voilà comment les choses se sont passées. C’était en mai 1956 ; Henri Vautrin notre directeur des services géologiques, désormais à Paris, était venu en tournée au Sahara et ne voulait pas manquer la visite du chantier de notre bel appareil de forage EMSCO J 1400[25] où j’étais résident. Mais la traversée de l’épaisse couche de sel triasique était longue et monotone, et il fut convenu d’une courte excursion géologique, le 11 mai, jusqu’au cratère météoritique de Talemzane, assez peu connu, et que nous n’avions vu ni l’un ni l’autre autrement que par avion. En une heure de jeep nous y étions, et fûmes assez impressionnés par cette belle cicatrice circulaire, de plus d’un kilomètre de diamètre et de plusieurs dizaines de mètres de profondeur. Il était exclu de voir là un phénomène diapirique, la masse de sel sous-jacente étant beaucoup trop profonde. Il s’agissait bien de l’impact d’un objet céleste... D’ailleurs, ajoutais-je, Saint-Exupéry l’avait déjà dit dans Terre des hommes lorsque, naufragé du désert, il méditait sur ces cailloux noirs qui jonchaient le reg et qui, selon lui, étaient des pierres tombées du ciel car, expliquait-il, « sous un pommier il ne peut tomber que des pommes », et sous le grand ciel du Sahara, il ne pouvait tomber que des météorites... L’explication amusa beaucoup mon hôte, et quand j’ajoutais que cet impact était peut-être le signe du ciel qui manquait jusqu’alors à nos recherches, il en accepta volontiers l’augure ! Il faut dire qu’à Paris, comme à Alger, les sceptiques avaient repris la parole, doutant plus que jamais du pétrole saharien, – « une petite plaisanterie qui coûte 4 milliards par an à la compagnie ! » – et Willy Bruderer se sentait dans ses petits souliers. Malade, il était parti faire une cure de sommeil en Suisse. Michel Tenaille, parti au Sénégal, était remplacé par son adjoint Igor Ortynski. Le clan des Sahariens s’étiolait...

 

Henri Vautrin reparti, nous étions toujours dans le sel et j’en guettais la fin chaque jour à la loupe. Dimanche 17 juin je constate du nouveau dans les déblais ; je fais immédiatement arrêter le forage pour prendre une carotte, et j’en rends compte à Alger par un message explicite : « Grès fins micacés imprégnés d’hydrocarbures. Belle fluorescence jaune ». A la sortie de la carotte l’évidence de la présence d’huile était confirmée non seulement par de vives fluorescences de couleur jaune pâle, mais aussi par une bonne odeur d’hydrocarbures qui envahit le plancher de la sonde. Il s’agissait maintenant de tester[26] le niveau imprégné. Cependant, le profil du trou était très irrégulier et l’assise du packer[27] n’étant pas étanche, ce fut un échec. A près de 3 000 m de profondeur chaque manœuvre[28] demande des heures. Il fallait donc recommencer avec un packer neuf. Malheureusement les mêmes causes produisant les mêmes effets, le nouveau packer fut aussi déchiré et la fuite de pression hydrostatique ne permit pas au fluide de la couche de monter dans les tiges. Il fallut recommencer à nouveau, car je tenais absolument à ce test, malgré les grognements de protestation, voire l’ironie des foreurs dont la confiance s’émoussait à force de manœuvres inutiles : « Tout ça pour quoi ? Un petit débit d’eau salée ! ».

 

Et ce fut le troisième essai ; et un nouvel échec... C’était contrariant ! Alors on décida d’utiliser les grands moyens, même si un certain scepticisme régnait aussi à Alger, on allait mettre cette fois un packer américain qu’on fit venir tout exprès du Maroc, encadré de deux autres. Jacques Deltour chef du service des « Opérations spéciales », me l’annonça à son arrivée d’Alger, ajoutant qu’il m’apportait en même temps « la malédiction des services techniques » (!). Le dispositif étant mis en place au fond du puits, on ouvrit le « tester »[29] et l’on observa tout de suite un débit au compteur, mais grâce à un tampon d’eau injecté par précaution dans les tiges, l’arrivée du fluide de formation en surface serait différée et mieux contrôlée, car la pression de couche était fort élevée, de l’ordre de 400 kg/cm2. Lorsque les 2 000 m de tampon d’eau seraient débités, vers 15 h, on saurait enfin la nature du fluide imprégnant la couche. La plupart des gens pariaient sur l’eau salée ; le géologue était plus optimiste !

 

Or le 25 juin à midi, tandis que tout le monde se mettait à table, mes assistants arrivèrent essoufflés en criant : « De l’huile ! de l’huile ! ». Alors tout le monde abandonna sa place pour courir vers la sonde, mais ils étaient loin derrière moi quand j’arrivais, hilare, sur le plancher. Toutes ces chères bonnes têtes du chantier étaient là, réjouies, contemplant béatement la tête de puits et se laissaient éclabousser par cette première huile « nordiste », si précieuse, qui sentait bon la gazoline et... le gros lot. On ne vouait plus le géologue aux gémonies. Bientôt, pourtant, avec ce qui va suivre, on oubliera tout cela. La malédiction allait faire son œuvre. Cette première huile du nord devait en rester à une production homéopathique : environ 700 litres...Tous les essais suivants, après poursuite du carottage, ne donnèrent que de l’eau salée émulsionnée de gaz. Et Li 2, le second sondage que l’on fit à proximité fut encore moins brillant. Ici, les maigres, mais authentiques, « grès du Trias » avaient donné tout ce qu’ils pouvaient.

 

Pendant ce temps-là, la CREPS triomphante découvrait à Tiguentourine, dans les parages d’Edjeleh, un autre vrai gisement d’huile...

 

Et toujours pendant ce même temps, dans la « zone nord » cette fois, un autre géologue de chantier, non moins savoyard que le premier, vivait en parallèle sa propre aventure, c’était Albert Pachoud... Pour la SN Repal, comme pour la CFP(A), l’échéance du premier rendu de permis, cinq ans après le début des travaux, était préoccupante. Comment sur la foi des résultats acquis se décider à conserver la bonne moitié des surfaces acquises? L’une des principales indécisions concernait les permis IX (Ouargla) et XII (Oued Mya). Or la sismique-réfraction montrait une grande anomalie structurale chevauchant la limite entre les deux permis. Les services de géophysique de la SN Repal et de la CFP(A), dirigés respectivement par Jacques Cholet et Gilbert Pommier, avaient tracé là, d’abord sur la foi de deux profils qui se croisaient à proximité de cette « frontière », une amorce de structure sud-ouest/nord-est. Et c’est à ce stade rudimentaire que fut décidée l’implantation de Md1. Voilà qui tombait bien, car on allait pouvoir faire d’une pierre deux coups en forant d’un seul côté pour reconnaître cette vaste structure profonde, et l’on pourrait en tirer les conséquences pour les rendus des deux permis. Dans l’année qui suivit, on tira en complément deux profils de réfraction qui permirent de « fermer » la structure qui prenait l’allure d’une bosse du socle de plus de 100 km de grand axe, aussitôt baptisée « l’œuf de Pommier » par les géologues de la CFP(A), peut-être l’appelait-on « l’œuf de Cholet » chez nos associés...? (Fig. 2).

 

Figure 2. L’anomalie structurale de Hassi Messaoud interprétée par G. Pommier

(isobathes du marqueur Vm = 5 900 m/s en sismique-réfraction).

Document inédit extrait du rapport interne d’implantation du forage OM1.

 

 

 

L’intersection des profils se situait – ce n’est pas par hasard – à proximité du seul point d’eau de la région, au bord de la piste Ouargla-Fort Lallemand. Ce fut donc la SN Repal, qui se mit à forer sur ce site, car leur EMSCO 1250 venait de se libérer, tandis que l’appareil J 1400 de la CFP(A) était occupé sur Talemzane avec Li 2. Elle prendrait le temps nécessaire avant d’aller sur Hassi R’Mel, objectif qui lui laissait une forte impression d’exploration inachevée. Il lui paraissait donc urgent d’aller forer le sommet de cette fameuse dorsale. Alors, raconte Albert Pachoud mon alter ego, à la SN REPAL, « à défaut de susciter de grands espoirs » l’étape intermédiaire du sondage Md1 s’était imposée. Il fut implanté près du puits chamelier d’Hassi Messaoud, dont le nom signifie : « le puits de la chance ». C’était de bon augure, et plus explicite qu’un impact de météorite, et pourtant personne n’osait croire que « l’œuf de Pommier » pouvait être fécond. Ainsi, en même temps que moi, plus au nord, Albert Pachoud, patiemment, attendait la sortie de la couche de sel massif, ici épaisse de quelque 800 mètres, et l’entrée consécutive dans les grès et argiles du Trias... La consigne était alors de procéder au démontage et au déménagement de l’appareil de forage vers Hassi R’Mel dès l’arrivée de l’outil dans un terrain dur. Et c’est un beau soir de juin que la vitesse d’avancement de l’outil fut brusquement ralentie. La profondeur était alors de 3 310 m, le géologue fit arrêter le forage en le faisant mettre en circulation pour ramener les derniers déblais en surface. Après une heure d’attente, ceux-ci étaient sur le tamis : il s’agissait d’esquilles de grès durs, noirâtres, que la lampe de Wood rendait fluorescents car ils étaient imprégnés d’hydrocarbures. Alors Albert Pachoud demanda aussitôt une carotte au chef de chantier, celui-ci acquiesça sans se lamenter, mais non sans prévenir son patron à Alger, lequel n’en revenait pas, puisque l’urgence était ailleurs et que le déménagement était programmé. Mais le destin ne respecte pas les plannings.

 

La carotte sortie, c’était le 15 juin 1956, se révéla entièrement imprégnée d’huile et de gaz. Une surprise joyeuse régnait sur le chantier. C’était très prometteur, mais trop tôt encore pour parler de gisement. A cette profondeur, il était difficile de tester la couche en « open hole »[30], comme on le fit à Talemzane avec les déboires que l’on sait, et l’on préféra assurer la bonne tenue du trou en descendant un tubage de 7 pouces jusqu’au toit des grès. On devait en outre procéder aux diagraphies[31]. Cela demanda du temps, car rien n’ayant été prévu dans une telle perspective, il fallait notamment envoyer d’Alger le stock de tubes de 7 pouces nécessaires à l’équipement du puits. Aussi, dans une excitation croissante, car les opérations électriques que l’on fit d’urgence, confirmaient bien la présence d’huile dans la formation, malgré la faible porosité de celle-ci, le jour des essais arriva, c’était le 20 juillet. Alors, pendant deux jours, on put produire une huile de grande qualité, émulsionnée de gaz, à raison de 12 m3/h, avec une pression de fond de 490 kg/cm2. Ici au moins on pouvait parler de gisement, bien qu’il fût encore impossible d’en apprécier la taille. Cela demanderait un peu de temps, on put donc s’occuper enfin de forer le sommet de la vaste structure de Hassi R’Mel !

 

Mais ce n’était plus l’affaire de l’EMSCO 1250 qui allait rester encore longtemps en service à Hassi Messaoud, car il fallait maintenant procéder à l’évaluation du champ par de nouveaux sondages. Cependant la dorsale du M’Zab n’était pas oubliée et Md1 n’était pas achevé que l’on découvrait le 17 novembre 1956, avec le deuxième appareil de la CFP(A), le fameux H 750, le champ de gaz de Hassi R’Mel, dès le premier sondage : HR1, commencé le 10 septembre. Avec un débit de gaz humide de 500 000 m3/jour dans 50 m de grès triasiques. Etant beaucoup plus près de la mer que le gisement du djebel Berga, les plus grands espoirs étaient permis. En fait, on sut bientôt qu’il s’agissait d’un gisement super-géant de 2 000 km2 de superficie !

 

L’année 1956 se terminait admirablement pour la SN Repal et son associée. Il restait maintenant à savoir si Messaoud n’était qu’un gisement « ordinaire ». Après le stimulant, mais décevant, coup d’envoi de Talemzane, il revenait à la CFP(A) d’aller vérifier rapidement si « l’œuf de Pommier » était vraiment plein. Le 16 janvier 1957, un an, jour pour jour, après le début du puits de découverte de Hassi Messaoud, commença le forage de Om1 par le J 1400 sur le permis CFP(A), à 8 km au nord de Md1. Etant géologue-résident, je comptais bien cette fois apporter l’éclatante confirmation d’un gisement important largement à cheval sur nos permis. Pachoud et moi, maillons privilégiés de la chaîne opérationnelle, avions eu l’heureuse fortune de renifler la première huile de nos sociétés associées, pratiquement en même temps. Mais cette fois le trésor des sables risquait d’être un vrai pactole. L’affaire faisait déjà grand bruit dans la presse et les milieux d’affaires, et les visiteurs se pressaient à Md1 où une part de fantaisie s’ajoutait au simple récit des faits. Mais il faut croire que l’événement était aussi perçu comme important à Paris et en France, car cela nous valut bientôt la visite inattendue du général de Gaulle en personne. C’était le 17 mars 1957, le Général, retiré à Colombey-les-deux-Eglises depuis quelques années, n’était pas encore revenu « aux affaires ». Meublant ainsi « sa traversée du désert », il faisait alors avec son petit état-major, une tournée à travers l’Union française. Hôte d’honneur de la CFP(A), d’abord à Om1 où je me trouvais, j’eus droit, comme géologue, à ses questions, car il se demandait bien pourquoi, en se retournant pour désigner l’uniformité du désert qui nous entourait, vide jusqu’à l’horizon, pourquoi nous avions décidé d’un sondage « précisément ici ! ».... Un peu plus tard, tous reçus autour de sa personne pour un déjeuner officiel sur la « base SN Repal » de Md1, ayant sans doute perçu l’heureuse convergence du hasard, de la nécessité et de la détermination des acteurs de cette grande aventure, il avait conclu son discours en soulignant l’extrême importance que revêtait une telle découverte, « car il était absolument nécessaire qu’elle arrivât maintenant ».

 

 

Le Sahara des pétroliers

 

Je n’avais alors qu’un point de désaccord avec la plupart de mes collègues géologues de la CFP, de la SN Repal, voire de l’Université, c’était l’âge des grès quartzitiques rencontrés sous le sel à Hassi Messaoud. Curieusement, ils voulaient en faire du Trias, alors que j’étais intimement convaincu, ayant gardé en mémoire mes missions de terrain dans les Tassilis, qu’il s’agissait de la série du Cambro-Ordovicien. Certains ne supportaient pas mon entêtement et le manifestaient avec humeur : « Vous n’avez pas encore compris que c’est ce Trias qu’on cherche depuis trois ans ! ». Par la suite, le temps aidant, avec l’accumulation des preuves concrètes, l’unanimité se fit enfin sur l’évidence de l’âge cambro-ordovicien de cette formation. Ayant bien observé les carottes prélevées par Pachoud, je m’attendais bien à retrouver ces mêmes faciès gréso-quartzitiques à Om1. Et six mois après le début du forage, deux mois après la visite du Général, le 18 mai, des indices d’huile se manifestant brillamment dans les déblais à 3 245 m[32], je déclenchai le carottage continu de la série gréso-quartzitique qu’à l’évidence je reconnus être, là encore, le fameux Cambro-Ordovicien. Jusque-là, des ennuis techniques ayant retardé la poursuite du forage, puis la première carotte prélevée le 4 mai dans la base du Trias étant entièrement argileuse, nous n’avions encore, quoi qu’en ait dit la presse de l’époque, aucune certitude quant à l’existence des grès pétrolifères. Mais de fait, les carottes suivantes étaient magnifiquement imprégnées du même pétrole qu’à Md1, et cela autorisait déjà le meilleur pronostic. Le 8 juin, nous en avions déjà 120 mètres... Quant aux essais qui suivirent ils devaient apporter la preuve attendue, c’est-à-dire que nous avions à plus de 3 km sous nos pieds, le même gisement ici qu’à 8 km de là, avec une épaisseur imprégnée de plus de 250 m ! Tout le monde comprit alors qu’il s’agissait d’une découverte majeure (Fig. 3 ).

 

 

 

 

Figure 3. La série stratigraphique à la verticale du gisement de Hassi Messaoud.

 

 

Prudent, Willy Bruderer avait attendu cette confirmation ; dès lors il quitta la Suisse et rentra à Paris, guéri. Quant au président Victor de Metz qui, lui aussi, vint nous visiter sur le chantier, s’il était satisfait de son pari chèrement gagné et s’il félicitait son équipe d’un pareil résultat, il se demandait à haute voix ce qu’il allait bien pouvoir faire de toute cette huile, ayant déjà du mal à écouler la part de pétrole du Moyen-Orient qui revenait à sa compagnie…

 

Quelques mois plus tard, je rentrais à Paris avec les miens, gardant de ce Grand Sud si attachant, le souvenir d’une grande aventure. Un nouveau style d’existence m’attendait, plus propice à la vie de famille. Mais j’étais heureux et fier d’avoir participé à un moment important de l’histoire de notre compagnie, et même de l’histoire tout court. J’étais heureux aussi de laisser derrière moi des équipes en pleine euphorie qui n’avaient pas fini d’évaluer l’étendue de leur fabuleux trésor et, comme notre base nommée « Maison Verte », de nouvelles oasis surgies des sables ; tandis que dans le nord du pays, c’était la guerre.

 

Le Sahara, lui, était paisible et les forages se succédaient à un rythme rapide, tant sur l’énorme champ de gaz de Hassi R’Mel, que sur le gisement de pétrole géant de Hassi Messaoud, qu’on allait bientôt ranger parmi les plus grands du monde. Et cela, trois ans seulement après les premiers sondages entrepris dans une incrédulité quasi générale.

 

L’initiative revenait maintenant aux techniciens. La CFP(A) et son associée, devenues riches, s’engageaient dans de vastes projets. D’abord un petit oléoduc de 7 pouces entre Messaoud et Touggourt où se trouvait le terminal d’une ligne de chemin de fer permettant d’acheminer le pétrole jusqu’à la mer, remplacé ensuite par un pipe de 24 pouces de diamètre, direct de Messaoud à Bougie, soit 660 km. Ainsi la production sur Touggourt put commencer dès le 5 janvier 1958 ; deux ans plus tard 7 millions de tonnes/an arrivaient à la côte, pour atteindre 9 millions de tonnes en 1962. Sur le gisement, le gaz produit n’est plus brûlé à la torche, il est réinjecté dans le réservoir pour stimuler la production. A lui seul, Hassi Messaoud représente près de la moitié de la production algérienne. Dix ans après la découverte, en 1967, le total de celle-ci atteignait 120 millions de tonnes ; les réserves étaient alors estimées à 1,3 milliard de tonnes. Cette année-là on comptait déjà 178 sondages de développement, dont 150 producteurs.

 

Mais ce qui occupait les géologues était autre chose. Certes, il s’agissait bien aussi de données pratiques telles qu’une connaissance exhaustive du gisement dans ses constituants, sa structure, ses caractéristiques de réservoir, mais c’était aussi l’étude des formations traversées en sondage et la corrélation avec les récoltes d’échantillons sur le terrain qui devaient permettre, d’année en année, d’accéder à une connaissance approfondie de tout le Sahara septentrional propre à éclairer l’exploration future. Avec le renfort de nouvelles sociétés, celle-ci fut féconde, et si aucun nouveau géant ne fut découvert, de nombreux autres gisements apportèrent une importante contribution à la production saharienne[33]. L’ensemble des efforts des géologues pétroliers et des thèses universitaires induites, conduisit ainsi à une extraordinaire moisson de données nouvelles qui allait enrichir considérablement la vision géologique de la région et, plus largement, du continent africain.

 

Radiographie d’un géant

 

Il est assez remarquable de constater à quel point « l’oeuf de Pommier » préfigurait déjà, sur la foi de deux, puis quatre profils sismiques, le contour réel du gisement d’Hassi Messaoud, établi plus tard d’après les résultats d’une multitude de forages (Fig. 4). Ce qui n’était qu’une « vague culmination régionale profonde », par la magie d’un tracé inspiré, était devenu une entité structurale, et mieux, le contour d’un fabuleux trésor de 1 300 km2 de surface, imprégnant des grès et quartzites, certes hétérogènes, mais sur près de 300 m d’épaisseur, constituant des réserves dépassant le milliard de tonnes ! Alors que le total des investissements des deux partenaires s’élevait l’année de ces découvertes à 320 millions de francs (près de 50 millions d’euros). Les financiers, la veille encore si regardants et sceptiques, convenaient que l’affaire était plus que bonne, et ne se privaient pas d’acquérir des actions de FINAREP et de COFIREP[34].

 

 

 

 

 

Figure 4. Le gisement de Hassi Messaoud en 1967 (en surimpression : « œuf de Pommier » (1956) à la même échelle) : la zone hachurée indique la situation du niveau d’eau

 


Car le financement par ces sociétés concernait aussi Hassi R’Mel, l’autre géant, dont les réserves de gaz furent alors évaluées à 2 000 milliards de m3, avec 325 millions de tonnes de condensats.

 

A Hassi Messaoud, l’huile s’est donc accumulée au sommet d’un vaste dôme elliptique allongé vers le NNE sur 43 km, et de 30 km de large[35], sorte d’immense colline, enfouie à plus de 3 000 m de profondeur, à peine marquée par une pente de 7,5 m/km vers le centre et 30 m/km sur les flancs. Sur ceux-ci on observe de petites vallées, vestiges fossilisés de l’érosion au Paléozoïque finissant, lorsque ce relief était encore à l’air libre. Le cœur du dôme est constitué par le Cambrien gréso-quartzitique reposant sur le socle de granit. Il s’agit de grès assez fins, à stratification entrecroisée, dont la taille des grains est variable, avec une moyenne de 350 micromètres de diamètre. Leurs porosité et perméabilité dépendant directement de la teneur en argile et du ciment siliceux, sont variables d’un puits à l’autre (Fig. 5), ce qui les rend plus ou moins bon producteurs.

 

 

 

 

Figure 5. Structure géologique du gisement de Hassi Messaoud

(d’après Balducchi et G. Pommier, 1967).

 

L’auréole argilo-gréseuse de l’Ordovicien inférieur qui vient ensuite en discordance sur le Cambrien, ne concerne le gisement que de façon marginale. Les « schistes noirs » du Silurien (Gothlandien) n’apparaissent qu’à quelques dizaines de kilomètre du gisement. Cette surface d’érosion du Paléozoïque est ennoyée, après la mince transition d’argiles sableuses du Trias inférieur, par la puissante formation évaporitique, d’abord de sel triasique, puis d’anhydrite, dont l’âge s’étend du Trias au Jurassique inférieur et moyen. Les 2 200 m qui complètent la série de morts-terrains, datent surtout du Crétacé, dont les fameux grès de l’Albien qui représentent une immense et très précieuse réserve d’eau douce artésienne, omniprésente dans le nord du Sahara. Le Tertiaire, avec seulement 200 m de sédiments, est formé de sables plus ou moins argileux.

 

Quant à l’huile de Hassi Messaoud, légère, de densité 0,82, très fluide, sans produits soufrés, elle est d’excellente qualité, et contient assez de gaz dissous pour faciliter sa production, malgré la faible porosité (8% en moyenne) du réservoir et une perméabilité qui varie de 0 à 1 000 millidarcies. La pression au fond atteint 370 kg/cm2 et la température 132°C ; le gisement ne comporte pas de « gas cap »[36].

 

 

Quelle est donc l’origine de ce pétrole ?

 

Pour compléter l’histoire de ces gisements, et remonter à leurs origines lointaines, il faut multiplier cette rétrospective de quarante ans par un facteur 107, qui nous fait reculer dans l’échelle géologique jusqu’à la nuit des temps siluriens. Vers la fin de l’Ordovicien, les masses continentales sont presque entièrement rassemblées dans le Gondwana, et ce qui devint le Hoggar était alors le pôle Sud, avec son inlandsis et des glaciers s’étendant largement sur l’actuel Sahara septentrional. A cette époque, la mer s’était retirée loin de ces régions qui stockaient, à l’état solide, une fraction importante de la masse d’eau planétaire. Puis après quelques millions d’années, les glaciers ayant raboté les reliefs avant de fondre, la mer revint pendant le Silurien, au cours d’une très ample transgression sur la frange septentrionale du Gondwana. Sous un climat chaud, dans une relative stabilité qui ne dura pas moins de 20 millions d’années, la mer peu profonde, fut peuplée de très nombreux organismes d’une grande variété. Leur prolifération depuis le microplancton (acritarches et chitinozoaires notamment) jusqu’aux graptolites, aux lamellibranches, brachiopodes et autres céphalopodes, aux scorpionidés, etc... résultait de l’abondance de nutriments d’origine continentale, et les prairies d’algues abondaient sur des hauts-fonds très étendus. Le calme du milieu marin, le faible apport détritique, favorisaient ainsi une tendance générale à la sédimentation vaseuse, peu oxygénée et donc réductrice, dans la tranche d’eau moyenne[37]. Ce confinement était très propice à la conservation de la matière organique issue d’un monde vivant foisonnant dont les vestiges échappaient en partie, dans la sédimentation, à l’action des bactéries aérobies. Quant aux anaérobies, sulfato-réductrices et autres, elles privaient le contingent organique de ses atomes d’oxygène, amenant les vestiges organiques progressivement intégrés au sédiment, à l’état de kérogène, ou matière organique insoluble, qui est la source des hydrocarbures. La présence constante de pyrite dans ces argiles à kérogène est un témoignage de l’action des organismes sulfato-réducteurs. Ainsi la mer silurienne a constitué un énorme accumulateur de kérogène, c’est-à-dire d’énergie électromagnétique du rayonnement solaire, source de l’énergie chimique des molécules vivantes dégradées après la mort des organismes, mais dont il subsiste une part non négligeable dans les molécules partiellement dégradées du kérogène et, finalement, dans celles des hydrocarbures.

 

Le potentiel pétroligène atteint son plus haut niveau dans un épisode précoce de ce « Gothlandien » traditionnel bien connu des géologues sahariens par sa haute teneur organique et sa richesse en fossiles, son faciès d’« argiles charbonneuses », se signalant par une forte radioactivité qui marque un « pic gamma », sur les diagraphies de radioactivité naturelle. Quelque peu diachrone d’une région à l’autre, la « zone gamma », épaisse de quelques mètres à quelques dizaines de mètres, constitue un repère stratigraphique important et sûr dans le cadre d’une même région. Sa spécificité, grâce à la matière organique, tient à sa forte teneur en oligo-éléments : molybdène, vanadium, manganèse, cuivre, etc. ; et surtout uranium, source du rayonnement gamma, dont la teneur atteint ici 100 à 150 ppm[38]. D’une manière générale le Silurien est constitué d’argiles feuilletées noires, dont la cassure verticale évoque la tranche d’un livre, avec de rares passées silteuses ou encore carbonatées, d’une puissance de plusieurs centaines de mètres ; elles sont les principales roches mères du pétrole saharien. Quant au kérogène de la « zone gamma », les tasmanites[39], microfossiles les plus nombreux, contribuent à son important potentiel pétroligène, qui peut atteindre plus de 10 kg d’hydrocarbures par tonne de roche.

 

Avec le Dévonien dans un nouveau cycle de 50 millions d’années, on retrouve la récurrence climatique et sédimentaire liée au retour du pôle austral plus au sud qu’à l’Ordovicien[40], sur ce qui est de nos jours l’Afrique équatoriale. Le Dévonien inférieur est caractérisé, comme nous l’avons dit, par l’importante assise gréseuse, dite « Grès supérieurs » formant la bordure septentrionale de la dépression intra-tassilienne. Puis au-delà d’un Dévonien moyen peu épais, et riche en fossiles, vient l’importante série argileuse du Dévonien supérieur qui présente de grandes analogies avec celle du Silurien, avec même un nouveau pic de radioactivité, et une grande abondance de fossiles. Si les graptolites ont alors disparu, ce sont les céphalopodes qui abondent, notamment les goniatites[41]. Il s’y ajoute la prolifération renouvelée du monde algaire et microplanctonique. Un nouveau potentiel de kérogène s’est donc constitué au Dévonien. Par la suite, la dérive polaire se poursuivant, le sud magnétique migre au cours du Carbonifère vers l’extrémité australe du Gondwana, celle précisément qui deviendra, après rupture et séparation des masses continentales, le continent Antarctique. Dans le Sahara septentrional, la période carbonifère, longue de 70 millions d’années, se caractérise par un rétrécissement du domaine marin sous un climat tropical et l’avènement de l’orogenèse hercynienne. Elle se traduit ici par la fracturation du socle et une large émersion des formations paléozoïques en position haute, dès lors soumises à l’érosion, tandis que les compartiments en graben restent enfouis ou s’affaissent davantage[42]. Elle se poursuit au Permien qui, durant quelque 40 millions d’années, succède au Carbonifère, avec cette fois un climat chaud et sec.

 

Cette longue période d’émersion fait alors place, au Trias, à un progressif affaissement de toute la région qui entraîne une invasion marine par le nord-est. Elle se traduit, après un court épisode de dépôts argilo-gréseux, par la sédimentation d’évaporites, en particulier de sel massif, sur une épaisseur de 700 à 800 m. Une telle chape imperméable devait interdire la dysmigration des hydrocarbures générés dans les profondeurs.  En effet, au-delà de 2 000 m, quand la température dépasse 60°C, les structures moléculaires du kérogène sont craquées et donnent naissance aux hydro­carbures liquides et gazeux. Ceux-ci, plus légers que l’eau ambiante, entament dès lors leur migration ascendante en suivant les diverses fractures des roches sus-jacentes. Ils vont s’accumuler dans les zones poreuses, sous le couvercle du salifère[43]. Ainsi sont nés les gisements tels que Hassi Messaoud, au fur et à mesure de la genèse des hydrocarbures résultant de l’épaississement de la série et de l’enfouissement de plus en plus profond des roches mères du Paléozoïque. Cela s’est produit au cours des dépôts triasiques, puis jurassiques et crétacés pendant 200 millions d’années et sous plus de 2000 m d’épaisseur de sédiments, tandis que, fragments en dérive de la masse primitive, les continents devenaient ce qu’ils sont. Que Hassi R’Mel contienne des hydrocarbures plus légers – principalement gazeux – que Hassi Messaoud, indique simplement que le kérogène dont ils proviennent a subi des atteintes géothermiques plus sévères ici que là.

 

 

Epilogue

 

Le Sahara n’est un désert que depuis 5 000 ans, le continent africain n’a acquis sa forme et son « indépendance » que depuis 150 millions d’années, et son pétrole, découvert et exploité depuis moins d’un demi-siècle, doit son existence à des organismes marins qui vivaient il y a 300 à 400 millions d’années.

 

Néanmoins ce pétrole est arrivé bien à point, au bénéfice de tous : à la satisfaction des découvreurs sans doute, mais aussi et surtout, au bénéfice du pays qui l’exploite. Comme le disait Saint-Exupéry, « nous sommes tous de la même planète » et nous pétroliers qui, à notre façon, mais comme lui, nous sommes « nourris de la magie des sables », nous aurons aussi contribué à édifier la Terre des hommes.


Remerciements

 

Je tiens à remercier mes collègues et amis Jean LAHERRERE, Albert PACHOUD, Alain PERRODON, Gilbert POMMIER et Paul CLARACQ, autres témoins et acteurs de l’exploration saharienne qui, ayant lu ces lignes, ont eu la gentillesse de me faire part de leurs remarques critiques, lesquelles m’ont permis de mieux approcher la vérité historique...

 

 

 

Références

 

BALDUCCHI, A. et POMMIER, G. (1970). Cambrian oil field of Hassi Messaoud, Algeria. AAPG, Memoir, 14, p. 477-488.

BRUDERER, W. (1985). La chasse aux bougies. ILEM, 279 p., 12 pl.

CATTA, E. (1990). Victor de Metz, de la CFP au Groupe Total. TEVA.

CLARACQ, P. (1991). Au Tanezrouft au début de 1955. L’hydrocarbure, 198.

CLARACQ, P. (1991). Au printemps 1956 dans l’Azzel Matti. L’hydrocarbure,199.

CLARACQ, P. (1996). Au Sahara algérien : bassin de l’Ahnet, région d’Amguid, bassin d’Illizi. L’hydrocarbure,209.

COMBAZ, A. (1967). Un microbios du Trémadocien dans un sondage de Hassi Messaoud. Actes Soc. linn. Bordeaux, t. 104, série B, n° 29, 25 p., 4 pl., 5 fig.

COMBAZ, A. (1986). Les « Zones gamma » du Silurien des régions sahariennes, contenu organique et conditions de dépôt. Doc. BRGM, 110, Orléans, p. 239-258, 8 fig.

COMBAZ, A. (1991). Les vestiges organiques de la biosphère. Palynosciences, 1, Paris, p. 1-18.

FABRE, J. (1976). Introduction à la géologie du Sahara algérien et des régions voisines. SNED, Alger, 422 p., 175 fig., 1 carte h. t.

LELUBRE, M. (1992). Conrad Kilian, géologue et explorateur saharien. Trav. Comité fr. Hist. Géol., (3), VI, n° 4, p. 75-85, 1 fig. et Mém. Soc. géol. France, (N. S.), n° 168, 1995, p. 101-105, 1 fig.

MASSA, D., COMBAZ, A. et MANDERSCHEID, G. (1965). Observations sur les séries siluro-dévoniennes des confins algéro-marocains du sud. Notes et mémoires de la CFP, Paris, 188 p., 18 fig., 2 h. t. coul., 9 dépliants.

MORANGE, A., PERRODON, A. et HÉRITIER, F. (1992). Les grandes heures de l’exploration pétrolière du Groupe Elf-Aquitaine. Bull. des Centres de Recherche Exploration-Production Elf-Aquitaine, Mémoire 15, Boussens, 463 p., 133 fig.

PACHOUD, A. (1986). Il y a trente ans : Hassi Messaoud n°1, Md 1. L’Hydrocarbure, 188.

PERRODON, A. (1985). Histoire des grandes découvertes pétrolières, un certain art de l’exploitation. Elf-Aquitaine, Masson, 224 p. (Cf. p. 111-129).

PERRODON, A. (1994). Historique des recherches pétrolières en Algérie. In PROUVOST, J. (Ed.) : La recherche pétrolière française, Editions du CTHS, Paris, p. 323-340, 7 fig.

RONDOT, J. (1977). La Compagnie Française des Pétroles, du franc-or au pétrole franc. Arno Press, New-York, 1977, 184 p., 37 ill.

TOTAL Information, n° 100, printemps 1985. Groupe Total, Paris, 48 p.


 
Annexe

 

La production pétrolière dans l’ALGERIE d’aujourd’hui (données 1997).

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Production totale de pétrole :         43,2  Mt/an

dont Hassi Messaoud  :                       20  Mt/an

Consommation :                               11,2  Mt/an, soit 26%

Réserves prouvées                            1,2  Gt (milliards de tonnes)

dont 70 % sont à Hasssi Messaoud

Pour mémoire : La consommation française actuelle s’élève à 85 Mt/an.

Production totale de gaz :                  56 G.m3/an (milliards de m3).

dont Hassi R’Mel :                                14  G.m3/an

Consommation :                                    8  G.m3/an, soit 15% *

Réserves prouvées :                       3700  G.m3 (milliards de m3)

dont 80% sont à Hassi R’Mel.

 

Les hydrocarbures représentent 95% du montant total des exportations du pays.

Les 9/10e du brut et du gaz sont destinés à l’Europe.

La société nationale SONATRACH contrôle la majorité de la production de l’huile et du gaz du pays.

 

 

 

* principale source de l’énergie électrique du pays.



1)     SN Repal : Société nationale de recherche et d’exploitation des pétroles en Algérie.

2)     BRP : Bureau de recherche pétrolière.

3)     CREPS : Compagnie de recherche et d’exploitation des pétroles au Sahara.

4)     CPA : Compagnie des pétroles d’Algérie.

5)     CFP(A) : Compagnie française des pétroles (Algérie).

6)     Lui-même créé par le gouvernement du général de Gaulle, et rattaché au Ministère de l’Industrie et du Commerce.

7)     A. de Saint-Exupéry. Courrier sud, N. R. F., Paris, 1929 ; Terre des hommes, N. R. F., Paris, 1939.

8)     Th. Monod. Méharées, Explorations au vrai Sahara. Ed. « Je sers », Paris, 1937, 300 p. ; L’émeraude des Garamantes, L’Harmattan, A. C. C. T., Paris, 1984, 380 p.

9)     R. Capot-Rey. Le Sahara français, PUF, 1953.

10)  Comme en témoigne sa note déposée à l’Académie des sciences de Paris le 22/11/1948 sous pli cacheté ouvert après sa mort le 23/5/1951 (Perrodon, 1985, p. 111).

11)  Quant au public français, « il était alors persuadé qu’il ne pouvait se trouver du pétrole ni dans le territoire français métropolitain, ni dans ceux d’outremer » (J. Rondot, 1977, p. 133).

12)  Il mourut tragiquement (« suicidé ») le 30 avril 1950, dans un hôtel de Grenoble.

13)  Jusqu’en 1951, dans son exposé annuel des perspectives pétrolières, la fameuse revue américaine Bulletin of the AAPG, se montre très réservée et même négative à l’égard du Sahara.

14)  Selon l’observation du géologue Nicolas Gouskoff. Willy Bruderer, La chasse aux bougies, ILEM, 1985, p. 218.

15)  L’Etat ne participant qu’à hauteur de 35% à son capital.

16)  D’autre part, écrit Jean Rondot (op. cit.) : « D’un holding qu’elle était principalement jusqu’alors, la CFP devra donc se transformer en entreprise industrielle et commerciale ».

17)  La nouvelle produisit un grand effet sur la population locale qui se crut déjà dans une province pétrolière. W. Bruderer. La chasse aux bougies, 1985, p. 243.

18)  Celui-ci n’était pas considéré alors comme économiquement « intéressant ».

19)  Nouvelle dénomination du bassin de Fort-Polignac.

20)  En tout 430 000 km2.

21)  Productrice de rayons ultra-violets.

22)  Basée sur les variations géographiques de la pesanteur.

23)  Sondages purement sismiques à partir d’explosions de surface (500 kg dynamite) tous les 23 km.

24)  « Rig » : appareil de sondage.

25)  Qui ne pesait pas moins de 2 000 tonnes !

26)  Isoler la couche de la pression hydrostatique exercée par la boue de forage sur ses parois, pour permettre l’émission du fluide qu’elle contient.

27)  Bouchon annulaire en caoutchouc ancré au-dessus de la couche à essayer pour l’isoler de la colonne de boue.

28)  Opération qui consiste à remonter l’outil en surface en démontant tout le train de tiges, longueur après longueur (27 m). Ainsi pour 2 700 m, 100 longueurs sont « gerbées » en surface pour la remontée, et ensuite « dégerbées » pour la descente.

29)  « Tester » : échantillonneur de fluide.

30)  C’est-à-dire dans le trou à parois nues, tel qu’il a été foré.

31)  Lecture, par outils spécialisés descendus au bout d’un câble, de certains paramètres des terrains traversés : diamètre du puits, résistivité électrique, radioactivité naturelle, etc.

32)  Soit une soixantaine de mètres plus haut qu’à Md1.

33)  En particulier Rhourde el Baguel, le plus grand d’entre eux.

34)  Deux sociétés d’investissement pétrolier de création récente participant pour 7,5% au capital de la CFP(A).

35)  En considérant le contour du plan d’eau.

36)  « Gas cap » : chapeau gazeux.

37)  Tandis que les eaux de surface étaient normalement oxygénées, et que les fonds, recevant les eaux polaires de fonte des glaces, l’étaient aussi.

38)  Celle du granite est de 4 ppm ou « parties par million ».

39)  Algues monocellulaires à test organique épais.

40)  Cette mobilité polaire est toute relative, il s’agit en fait d’une dérive continentale par rapport au pôle magnétique.

41)  Céphalopodes ancêtres lointains des ammonites.

42)  Il va de soi que, dès cette époque, une première génération de pétrole a dû affecter les parties les plus affaissées comportant des roches mères, mais les accumulations qui en sont résulté ont alors été détruites par l’érosion, tout comme les indices de surface.

43)  Dont l’étanchéité est garantie par la plasticité et l’épaisseur.