TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.X (1996)

Jean GAUDANT
Les poissons pétrifiés du Monte Bolca (Italie) et leur influence sur les théories de la Terre au milieu du siècle des Lumières, d'après un manuscrit inachevé de Jean-François Séguier (1703-1784)

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 12 Juin 1996) Réunion commune COFRIGÉO/SGF

INTRODUCTION

Le célébrissime gisement de poissons fossiles du Monte Bolca est situé à environ vingt-cinq kilomètres au nord-est de Vérone et à une altitude d'environ 600 mètres. Son âge est approximativement celui de la limite Eocène inférieur-Eocène moyen, soit environ 46 Ma. D'après les plus récents travaux près de 200 genres de poissons y ont été recensés. Ils attirèrent très tôt l'attention des collectionneurs et des érudits car quelques poissons fossiles du Monte Bolca figuraient déjà dans les cabinets d'Ulysse Aldrovandi (1522-1605) et de Francesco Calzolari (1522-1609).

JEAN-FRANÇOIS SÉGUIER (1703-0784) : NATURALISTE ET ÉRUDIT

Né à Nîmes le 25 novembre 1703, Jean-François Séguier étudia d'abord au collège de jésuites de cette ville avant de fréquenter la faculté de droit de Montpellier, ville où il se passionna avant tout pour la botanique. Après l'obtention de ses diplômes, il revint à Nîmes où son père était magistrat. Il a 29 ans lorsqu'un célèbre érudit de Vérone, Scipione Maffei (1675-1755) visite Nîmes en octobre 1732. Ils visitent ensemble le Languedoc pour en étudier les antiquités latines. Maffei lui propose alors de l'accompagner dans son voyage à travers l'Europe qui, finalement, allait durer plus de quatre ans. A la fin de 1736, Séguier s'établit à Vérone où Maffei lui suggère de devenir à la fois son secrétaire et son collaborateur Pendant les dix-neuf ans qu'il passa à Vérone, Séguier prépara une description détaillée de la flore des environs de Vérone (1745, 1754). Par ailleurs, comme Maffei était à cette époque le propriétaire de la carrière de poissons fossiles du Monte Bolca, Séguier s'intéressa également à ceux-ci. Plus tard, en 1755, après la mort de Maffei, Séguier décida de retourner s'établir à Nîmes où il étudia principalement les antiquités locales (il déchiffra notamment l'inscription que portait autrefois le fronton de la célèbre Maison Carrée) et prépara le manuscrit d'un traité d'épigraphie latine resté inédit. Il mourut à Nîmes le 1er septembre 1784.

UN MANUSCRIT INACHEVÉ DE JEAN-FRANÇOIS SÉGUIER : LES PÉTRIFICATIONS DU VÉRONOIS

La bibliothèque municipale de Nîmes possède un manuscrit autographe inachevé de Jean-François Séguler intitulé Pétrifications du Veronois (MS 90). Il est constitué de trois chapitres complets et des ébauches de sept autres. Quoique la majeure partie de ce manuscrit corresponde à un long (55 pages) historique des travaux consacrés aux pétrifications depuis l'Antiquité grecque jusqu'à l'an 1750, le chapitre le plus significatif est celui consacré aux poissons pétrifiés que l'on peut récolter au Monte Bolca. Certains éléments permettent de considérer que ce manuscrit fut probablement écrit autour de 1750, bien que Séguier ait précisé en 1759 qu'il s'en préoccupait encore lorsqu'il fut contraint de repasser en France en 1755, une information qui est confirmée par le fait qu'il dessina en mai 1755 un panorama du Monte Bolca. Séguier prépara en outre une série de 73 planches illustrant les pétrifications les plus caractéristiques du Véronais et plus particulièrement les poissons du Monte Bolca. Elles sont également conservées à la bibliothèque municipale de Nîmes (MS 256).

SÉGUIER ET LES POISSONS PÉTRIFIÉS DU MONTE BOLCA

L'intérêt théorique principal des poissons pétrifiés du Monte Bolca est lié à trois points principaux soulignés par Séguier : ils sont "renfermés dans des pierres aussi dures que le marbre à une grande distance de la mer et à une élévation considérable au-dessus de son niveau". Probablement influencé en cela par Maffei (1732), Séguier insistait sur le fait que les poissons de ce gisement sont tous marins et ajoutait qu'"Il n'y en a point d'eau douce". Il précisait en outre qu'ils sont "quelquefois de mers fort éloignées du lieu où ils sont" et admettait que certaines espèces "sont totalement inconnues".

LES POISSONS PÉTRIFIÉS ET LES THÉORIES DE LA TERRE

Séguier utilise le témoignage des poissons pétrifiés pour évaluer les théories proposées au cours des décennies précédentes pour expliquer "le phénomène d'arrivée des poissons sur les montagnes" et, d'une manière plus générale, l'histoire primitive de la terre.

Enfin, après avoir éliminé les principales théories dont on débattait en son temps, le sceptique Jean-François Séguier reconnaissait ne pas être en mesure de proposer une hypothèse alternative susceptible d'élucider une question aussi complexe.