TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XX (2006)

Jacques Noetzlin (1898-1972) et la " géologie nucléaire " : un pionnier méconnu

ROTH, Etienne & LÉTOLLE, René

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 13 décembre 2006)

Résumé.

Immédiatement après la découverte de la fission atomique, Jacques Noetzlin proposa que des réactions de fission en chaînes puissent se produire naturellement sur Terre et créer des explosions fournissant l'énergie nécessaire à déclencher les éruptions volcaniques, et développa pendant plusieurs années cette hypothèse. Il fut le premier à déduire l'interprétation de phénomènes géologiques du calcul de processus dus à des réactions nucléaires. Sa recherche de preuves expérimentales, poursuivie pendant vingt ans, ne put aboutir pour des raisons données dans l'analyse de ses travaux théoriques et des résultats obtenus. Toutefois Kuroda reprit l'idée de réactions en chaînes naturelles de fission et, dans d'autres conditions, montra que, dans un passé reculé, de telles réactions auraient pu s'entretenir, comme dans les réacteurs nucléaires.

  1. KURODA, P. K. (1956). On the Nuclear Physical Stability of the Uranium Minerals. J. Chem. Phys., p. 781-782.
  2. KURODA, P. K. (1956). On the Infinite Multiplication Constant and the Age of the Uranium Minerals. J. Chem. Phys., p. 1295-1296
Ses calculs furent oubliés, comme l'avaient été les travaux de Jacques Noetzlin, mais la découverte fortuite des " réacteurs " d'Oklo les justifia a posteriori.

Mots-clés : éruption volcanique - fission atomique - isotopes du soufre - Oklo (Gabon) - XXe siècle.

Abstract.
Just after the discovery of nuclear fission, Jacques Noetzlin proposed that chain nuclear reactions could exist on Earth and could be at the origin of volcanic eruptions. He developed this theory for several years, and searched for experimental results and geological isotope data to confirm his theory, without any success. Eventually Kuroda went back to the idea that fission chain natural reactions, in other conditions, could have existed in the far past and maintained themselves as in nuclear reactors. His calculations, as those made by Noetzlin, were forgotten but the fortuitious discovery of Oklo "natural reactors" justified Noetzlin's premonitory ideas.

Key words: volcanic eruption - nuclear fission - sulphur isotopes - Oklo (Gabon) - 20th century.

 

Introduction

On sait depuis les travaux de pionnier de Rutherford que la chaleur interne du Globe est due essentiellement à l'exothermicité des réactions de désintégration spontanée d'isotopes radioactifs, identifiés plus tard comme appartenant au potassium (K40), à l'uranium (surtout U235) et au thorium (Th232). Certes, dès 1909, John Joly, dans son livre Radioactivity and Geology, avait émis l'idée que la chaleur des désintégrations avait pu avoir un rôle dans le volcanisme en général, mais les bilans thermiques ne s'équilibraient pas.

Noetzlin cherchait l'explication des phénomènes localisés que sont les éruptions volcaniques. Il apprit dès janvier 1939 la découverte de la fission de l'uranium , provoquée en laboratoire, et qu'elle s'accompagnait d'un dégagement d'énergie plus de 200 fois supérieur à celui des désintégrations spontanées.

HAHN, O. et STRASSMAN, F. (1939). Ueber den Nachweis und das Verhalten der bei Bestrahlung des Urans mittels Neutronen entstehenden Erdalkalimetalle. Naturwiss., 27, 11 (manuscrit envoyé le 22 décembre 1938).
Il réagit immédiatement et proposa en mars, dans un compte rendu à l'Académie des sciences, que, dans des conditions géochimiques engendrant des concentrations suffisantes de matériaux " neutrogènes ", des réactions de fission pourraient se produire spontanément et fournir l'énergie déclenchant les éruptions volcaniques .
NOETZLIN, J. (1939). Volcanisme et chimie nucléaire. C. R. Acad. Sci., 208, p. 1100-1102 (séance du 27 mars 1939).

Il fut donc le premier à émettre l'idée que les phénomènes nucléaires naturels à prendre en compte sur Terre ne se limitaient pas aux désintégrations spontanées, mais que de véritables réactions entretenues pouvaient s'y produire. On n'en avait jusqu'alors observé que dans les étoiles (cycle de Bethe, par exemple). En recherchant l'explication de phénomènes géologiques laissant des traces isotopiques dans des solides, il fut un précurseur non seulement de Kuroda, mais d'autres chercheurs qui ont, par exemple, étudié " l'effet Xénon " dans les météorites.

Les recherches que mena Noetzlin pour trouver des traces de réactions de fission autour de volcans ne purent aboutir pour des raisons qu'il soupçonna assez vite. Mais il ne se découragea pas dans sa recherche de preuves irréfutables. Il les chercha surtout par l'analyse isotopique du soufre de laves et de soufres natifs. Toute son œuvre montre une profonde connaissance des volcans, dont il obtenait des échantillons de minéraux, et une grande familiarité avec les techniques physiques et chimiques, nombreuses et très novatrices pour l'époque, mises en œuvre par les laboratoires qui travaillèrent pour lui.

Les résultats de ses longs et consciencieux travaux ne validèrent pas son hypothèse sur le mécanisme des éruptions volcaniques, et pourraient paraître limités à quelques conclusions sur le magma subvolcanique. Mais les travaux de Jacques Noetzlin eurent une influence sur Kuroda qui cite ses travaux dans son livre , influence qui fait que l'on peut légitimement le considérer comme son précurseur. En effet, Paul Kuroda confia à l'un de nous que leur lecture l'incita à prendre en compte l'hypothèse de l'existence de réactions en chaîne naturelles et à déterminer en 1956, les conditions dans lesquelles elles auraient pu se produire dans un passé reculé.

  1. KURODA, P. K. (1960). Nuclear Fission in the early History of the Earth. Nature, 187, p. 36-38.
  2. KURODA, P. K. (1982). The Origin of the Chemical Elements and the Oklo Phenomenon. Springer.

Il fallut qu'en 1972 des anomalies isotopiques de minerais d'uranium de la carrière d'Oklo au Gabon, fussent découvertes fortuitement pour qu'on y voie des preuves de réactions en chaîne de fission ayant, deux milliards d'années plus tôt, simulé le fonctionnement de réacteurs nucléaires .

ROTH, E. (1978). The Saga of Nature' Reactor at Oklo. Proceedings of the conference on High Level Radioactive Solid Waste Forms, Rapport NUREG / CP-0005 de l'Office of Nuclear Material Safety and Safeguards, et Conference CEA 10643.

Bien que les travaux de Kuroda, inspirés par ceux de Noetzlin, n'aient pas joué de rôle dans la découverte du phénomène d'Oklo, celle-ci révèle en Jacques Noetzlin l'intuition des vrais précurseurs. Dès sa première communication à l'Académie des sciences, faite deux mois à peine après l'annonce de la découverte de la fission, on trouve ses remarquables déductions faites à partir du peu de données alors disponibles sur le phénomène. La lecture de cette communication incite à lire toutes ses publications ultérieures intitulées Volcanisme et Chimie nucléaire.

Comment Jacques Noetzlin en vint à lier phénomènes géochimiques
et nucléaires

Né en 1898, Jacques Noetzlin était issu d'une famille d'hommes d'affaires suisses de double nationalité, française et suisse, dont on trouve la trace jusqu'au Mexique au milieu du XIXe siècle. Son père Édouard Noetzlin fut président de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Il fit des études de droit à Paris, puis de physique, avec Frédéric Joliot, frais émoulu de l'École de physique et chimie industrielle, en suivant à la Sorbonne les cours de Jean Perrin, prix Nobel de physique, père de Francis Perrin, qui contribuera à sa connaissance des conditions de la fission. Noetzlin et Joliot étaient devenus amis, et se virent souvent, même après que Joliot, ayant partagé avec sa femme en 1934 le prix Nobel pour la découverte de la radioactivité artificielle et signant maintenant Joliot-Curie, fut installé dans son nouveau laboratoire du Collège de France. Nous ne savons pas ce qui orienta Jacques Noetzlin vers la volcanologie, ni ce que furent ses travaux dans ce domaine avant 1939. Ce qui est certain est que, doté de la fortune qui lui permettra plus tard de faire pratiquement don au CNRS de la grande propriété et du château de Gif, il n'occupa de poste rémunéré ni dans l'Université ni, lorsqu'il fut créé, au CNRS. Peut-être faut-il voir dans ce fait la raison du manque de connaissance, de diffusion et de soutien de ses idées dans la communauté scientifique française. Ses travaux furent pourtant connus des géologues, comme en témoigne le Traité de Géologie de Henri et Geneviève Termier (1956). Jacques Noetzlin entreprend ses recherches au moment où, tout au début de 1939, dans le laboratoire d'Irène Joliot-Curie, arrive la publication de Hahn et Strassmann introduisant le phénomène qui sera bientôt baptisé fission.

Mis au courant sans doute par Frédéric Joliot, il fait son remarquable compte-rendu à l'Académie des sciences. La déclaration de guerre, en septembre 1939, n'interrompt la série de ses publications qu'avec la fin de la " drôle de guerre " qui précéda le désastre de mai 1940. Noetzlin quitta le laboratoire de Joliot en 1941. Celui-ci lui confia une lettre à faire parvenir à son collègue américain Lawrence, lettre où il expliquait sa décision de rester en France.

Dans Joliot-Curie, Michel Pinault a publié le brouillon de cette lettre. On n'a pas de trace de la réponse de Lawrence.
Noetzlin publia en 1942 une brochure récapitulant ses travaux en y ajoutant l'idée d'une vérification expérimentale.
NOETZLIN, J. (1942). Volcanisme et chimie nucléaire, une expérience à entreprendre. Les Éditions d'Art et d'Histoire, 72 p., H.C., Paris.
En 1943, après le débarquement allié en Afrique du Nord, bien qu'ayant déjà fait la guerre de 1914-1918, il passa clandestinement par l'Espagne pour gagner Alger et s'engager dans les Forces françaises libres (FFL). Nous verrons comment, en mars 1944, dans quelles conditions, en pleine campagne d'Italie, et avec quelle intrépidité, Noetzlin profita d'une éruption du Vésuve, providentielle pour lui, pour faire des observations et des mesures.
NOETZLIN, J. (1944). Mission volcanologique au Vésuve. Publication CNRS, Alger.
Après la guerre, il retrouva Joliot, nommé Commissaire à l'Énergie atomique par le général de Gaulle.

Citons Jean Coulomb : " En 1944, Joliot est devenu directeur du CNRS, mais il ne l'est pas resté très longtemps puisqu'il a été chargé en 1945 de créer le Commissariat à l'Énergie atomique. Cependant, il entreprit de réorganiser le Centre, par exemple en y installant un conseil de direction scientifique : le directoire. Dans ce premier directoire, il a introduit quelques amis ou des camarades de la Résistance en qui il avait confiance… Joliot a aussi accru le domaine du CNRS grâce à l'achat du domaine de Gif-sur-Yvette. Pendant la guerre, il avait travaillé avec Jacques Noetzlin, le fils d'un banquier suisse, qui avait fait de la résistance avec lui en s'occupant de déchiffrement, de cryptographie, de trucs comme ça… "

PICARD, J.-F.et PRADOURA E. Entretien avec Jean Coulomb (1904-1999), directeur du CNRS de 1957 à 1962. . Cf. PICARD, J.-F. (1990). La République des savants. La recherche française et le CNRS. Flammarion, Paris, 339 p. [p. 137].

Son amitié avec Joliot a sans doute conduit Noetzlin à vendre en 1946 au CNRS pour un prix symbolique le château et la vaste propriété de Gif-sur-Yvette qu'il tenait de son père, moyennant la condition que le personnel de la propriété, jardiniers, etc., soit pris en charge par le CNRS.

La propriété fut achetée par l'État 12,5 millions de francs de l'époque, le mobilier 1,5 million. Une plaque commémorative fut apposée à l'entrée du domaine en 1991 lors de la Fête de la science.
Le site est devenu celui de laboratoires bien connus. Le souvenir de cette donation valut à Noetzlin, de la part de la municipalité, que son nom fût donné à une rue de cette ville, et une plaque lui rend hommage dans la salle de la Terrasse du château.

En 1951, Jacques Noetzlin, qui n'avait pas encore tout à fait quitté l'uniforme, travailla comme expert aux questions de désarmement atomique, sans doute aux côtés du ministre Jules Moch, ou de Bertrand Goldschmidt, l'un des directeurs du CEA .

Noetzlin aurait aussi fait partie de la délégation française à Vienne en 1958 pour la création de l'Agence internationale de l'Énergie atomique (AIEA).

Mais, ayant accès, grâce à Joliot, aux laboratoires du CEA pour ses analyses, et à la recherche de preuves expérimentales à l'appui de ses hypothèses, il commença cette année-là la longue série d'examens d'échantillons volcaniques, qui fut faite d'abord personnellement par l'un de nous . Son service continua à les assurer pendant vingt ans…

Toujours passionné par les volcans, Noetzlin avait participé à de nombreuses expéditions avec son ami Haroun Tazieff (1914-1998) (au Nyiragongo en 1948), ainsi qu'avec Jean-Louis Cheminée (1937-2003), en Italie, Afrique, Océanie. Il s'intéressa aussi à la dégradation des calcaires, en particulier des parois de la grotte de Lascaux .

BOURCART, J., NOETZLIN, J., POCHON, J. et BERTHELIER, S. (1949). Étude des détériorations des pierres des monuments historiques. Ann. Inst. techn. Bâtiment et Trav. publ., n. s., no. 108, p. 1-16.

Jacques Noetzlin s'installa définitivement en Suisse en 1955, où il mourut en 1972.


Deux images de l'éruption du Vésuve de 1944
Analyse des travaux de Noetzlin après la découverte de la fission

Au début de janvier 1939 la publication, par Hahn et Strassmann, du phénomène pour lequel le mot fission, proposé par Fritsch, fut adopté par la suite , créa une effervescence sans précédent, non seulement dans les laboratoires de Paris dont les travaux avaient suscité ceux de Hahn et Strassmann, mais partout, de Copenhague aux États-Unis.

Par commodité, nous utiliserons pourtant ce mot dans la suite, en parallèle avec le vocabulaire de Noetzlin.

On a vu que Noetzlin, quant à lui, s'attachant à élucider le mécanisme des éruptions, n'ignorait pas que la radioactivité avait expliqué, au début du XXe siècle, le flux de chaleur rayonné par la Terre dans l'espace, ni que Joly avait écrit, sans convaincre, que le volcanisme pouvait en être aussi une manifestation. Et il fréquenta les laboratoires en pointe sur l'étude de la radioactivité. Il se demanda donc immédiatement si la fission, déclenchée en laboratoire dans des préparations d'uranium à l'état de métal ou d'oxyde par les neutrons d'une source artificielle, ne pouvait aussi se produire dans des conditions naturelles et expliquer les éruptions volcaniques.

Le 27 mars 1939, dans une communication remarquable que Jean Perrin lut à l'Académie des sciences, Noetzlin établit déjà des conditions nécessaires à l'apparition de réactions nucléaires produisant de grandes quantités de chaleur. Il écrit que les réactions de fission en chaîne entretenues ne pouvaient se produire que dans des zones de dimensions suffisantes où les concentrations de neutrophages soient suffisamment faibles.

Il s'appuie pour cela sur les quelques caractéristiques des fissions qui viennent d'être établies. L'équipe de Joliot avait notamment montré qu'elles s'accompagnaient de l'émission de neutrons emportant une partie de l'énergie de ces réactions. En rencontrant d'autres noyaux fissiles, ces neutrons pouvaient provoquer de nouvelles fissions. Noetzlin explique que si, sur Terre, des réactions nucléaires spontanées n'ont pas encore été observées, alors qu'elles se produisent dans les étoiles, c'est que, dans celles-ci, des quantités considérables de noyaux sont à portée utile les uns des autres pour les permettre.

Dans les conditions indiquées plus bas, dont il précise qu'elles ne seront réalisées que dans des emplacements exceptionnels, Noetzlin pensait que dans les éruptions volcaniques, on pourrait en trouver les symptômes.

Si l'agent de la réaction était le neutron, il fallait qu'il y ait en un point de la croûte terrestre une certaine concentration d'agent neutrogène, c'est-à-dire d'un agent qui, comme l'uranium, produise sans absorption d'énergie de nouveaux neutrons sous un bombardement de neutrons. Ces neutrogènes pourraient être mélangés à des neutrophages qui absorberaient des neutrons, avec libération d'énergie, mais avec ou sans production de particules chargées. La région dans laquelle cette distribution serait réalisée devrait être assez grande pour que les neutrons produits n'aient qu'une chance négligeable de s'en échapper par diffusion.

Si les conditions de distribution et de concentration de neutrogènes et de neutrophages et de taille de la région le permettaient, l'apparition fortuite de quelques neutrons suffirait pour amorcer la réaction.

Il prévoit qu'en élevant la température, les fissions produiraient fusion et fracture de roches, conditions d'une éruption volcanique. Et les réactions cesseraient, soit si les éléments étaient dispersés par la catastrophe, soit si elles engendraient elles-mêmes des neutrophages comme cela paraît être le cas pour l'uranium.

Le 15 mai, dans une nouvelle communication , Noetzlin développe une théorie de l'action de neutrons rapides sur l'uranium dans un domaine illimité. Il fait intervenir le rapport des sections efficaces des noyaux neutrogènes et neutrophages pour les neutrons et leurs concentrations, ainsi que celle des neutrons, dans des équations différentielles donnant les variations de ces concentrations en fonction du temps.

NOETZLIN, J. (1939). Volcanisme et chimie nucléaire. C. R. Acad. Sci., 208, p. 1662-1664 (séance du 15 mai 1939).

Il en déduit des conditions de stabilité et des conditions d'amorçage d'une explosion. Et pour deux valeurs du rapport des sections efficaces, il calcule le temps nécessaire pour que 1 % de la masse d'uranium ait réagi. Ces temps sont respectivement de 4 secondes et un tiers d'année ! Dans les deux cas, la quasi-totalité de la chaleur est dégagée en une fraction de seconde, qui, même dans le deuxième cas, ne vaut que 1/1000.

Il ne cite pas les valeurs des paramètres qu'il tire des expériences sur l'uranium qui permettraient de vérifier ces calculs. C'est peut-être déjà un aspect de la rétention d'information pratiquée, à la veille de la seconde guerre mondiale, par de nombreux laboratoires. Il s'agissait de ne pas diffuser de données pouvant faciliter la conception d'explosifs nucléaires.

Fin juillet 1939, dans deux articles , il cite des calculs de masse critique de Francis Perrin sans en donner de référence.

NOETZLIN, J. Volcanisme et chimie nucléaire. I. J. de Phys. et le Rad.,T. I, série VIII, p. 89-98 et Noetzlin J., Volcanisme et chimie nucléaire. II. J. de Phys. et le Rad., T. I, série VIII, p. 124-132. (manuscrits reçus le 20 juillet 1939).

Son premier article développe sa théorie mathématique en complétant par la présence d'éléments " inertes " la liste des interactions des neutrons avec les différents noyaux, et en tenant compte de la présence possible de béryllium. Ce dernier, qui produit des neutrons sous bombardement de particules alpha, peut servir à amorcer les réactions en chaîne. Noetzlin fait une discussion détaillée des paramètres des interactions des neutrons, dans un contexte géologique où l'eau est absente et où les réactions sont dues aux neutrons rapides dans un domaine illimité. Perrin, au contraire, faisait intervenir l'eau et des neutrons lents. Il conclut par un tableau qui donne les paramètres en fonction desquels le site géologique étudié sera soit stable, soit le siège de réactions explosives.

Noyaux dont l'affinité pour les neutrons peut être négligée en première approximation.

Le second article tente d'appliquer la théorie à un cas réel. Dans l'hypothèse de Noetzlin, " bien que la distribution géographique des minerais d'uranium n'indique aucune corrélation avec celle des volcans, si tous les gisements d'uranium ne sont pas des poches volcaniques, toutes les poches volcaniques doivent être des gisements, soit d'uranium, soit d'un autre neutrogène ".

Noetzlin commence par décrire l'évolution d'une " poche volcanique " nucléaire : la fission provoque la fusion des roches de la poche, puis celle de roches inertes qui forment une sorte d'enceinte autour de la poche dont la température augmente, et la matière se volatilise, engendrant une pression qui pousse ces roches inertes vers la surface où il y a éruption. Il calcule l'énergie nécessitée par ce processus en estimant, avec prudence, les densités, les chaleurs spécifiques et les chaleurs latentes de fusion et de volatilisation des roches.

Ensuite Noetzlin calcule le volume de la poche volcanique et l'énergie qui y est libérée. Il utilise la notion de masse critique, introduite par Perrin, pour dire qu'une explosion se produira dès qu'un processus géologique aura réuni une masse de roches (à neutrogènes) à peine supérieure à la masse critique. Ce ne sera donc qu'une quantité limitée de matière qui sera engagée dans une réaction nucléaire.

Noetzlin évalue à 100 mètres cubes le volume dans lequel se déclenchera la réaction. Il estime pour ce calcul le libre parcours des neutrons dans les roches en remarquant que la vitesse des neutrons rapides n'est pas influencée par l'élévation de température due à la fission. Cette élévation provoque la fusion des roches et l'augmentation de volume de la matière entrant en réaction. Noetzlin estime qu'à partir du doublement de volume, la masse critique n'est plus atteinte, et que la réaction s'arrête.

Il évalue alors à 50 000 tonnes la masse de matière que l'énergie dégagée aurait permis de soulever depuis 20 km de profondeur jusqu'à la surface. Pour étudier le mécanisme de l'éruption volcanique, Noetzlin en étudie toutes les étapes : échauffement des roches de la poche volcanique et de son environnement, liquéfaction, volatilisation, refroidissement et resolidification. Chaque étape est discutée du point de vue géologique et son bilan énergétique est établi aussi quantitativement que possible. On ne peut qu'admirer comment il prend en compte tous ces phénomènes dans différents processus dont il essaie d'imaginer le déroulement de la façon la mieux justifiable possible.

Ainsi, après l'arrêt de la réaction nucléaire, dû au doublement de volume de la poche volcanique, le refroidissement ramènerait cette poche à son volume critique, et une nouvelle éruption aurait lieu. Ce pourrait être après des dizaines ou des centaines d'années. Cela permettrait de comprendre qu'un volcan puisse entrer plusieurs fois en éruption à intervalles plus ou moins réguliers.

L'idée d'une vérification expérimentale

En 1942, Noetzlin publie un nouvel opuscule qui reprend et développe le contenu des deux articles précédents, mais il y ajoute la proposition de vérifier expérimentalement ses hypothèses.

NOETZLIN, J. (1942). Volcanisme et chimie nucléaire, une expérience à entreprendre. Les Éditions d'Art et d'Histoire, H. C., Paris, 72 p.
Pour cela, tout en rappelant que la matière éjectée n'est pas celle de la poche volcanique, il propose de rechercher, dans les éléments émis par les éruptions volcaniques, les isotopes radioactifs ou stables auxquels la fission donne naissance. Il en dresse un tableau s'appuyant sur un article de Seaborg paru en 1940 .
Comment, à l'époque, en avait-il eu connaissance ?

En mars 1944, alors qu'il est officier de liaison dans l'armée française qui se bat en Italie, une éruption se produit sur le Vésuve le 18, suivie d'une phase effusive qui cesse le 23.

Phase pendant laquelle s'écoule de la lave.
La possibilité exceptionnelle de pouvoir prélever des échantillons sur un volcan en éruption le pousse à tenter la vérification expérimentale. Il obtient du Commissariat à la Guerre du Comité français de la Libération nationale l'autorisation de la tenter. Mais les lenteurs administratives ne lui permettent d'arriver sur place que le 31. Il le déplore, car les moyens d'analyse d'isotopes stables étant inexistants, il doit essayer de mettre en évidence d'éventuels isotopes radioactifs. Or ceux du sodium ou du potassium, qui pourraient s'être formés en plus grande abondance, ont une durée de vie si courte qu'ils ne seraient plus détectables. Il décide donc de tenter de déceler le radiophosphore, dont la demi-vie est d'environ deux semaines. Pour cela, il lui faut un appareillage de mesure du rayonnement : il obtient du laboratoire de la faculté des sciences d'Alger une chambre à ionisation, que l'institut de physique de Naples adapte pour la relier à un dispositif de comptage performant qu'il met à la disposition de Noetzlin. Il faut encore isoler le phosphore et le concentrer environ 300 fois. Un laboratoire de chimie de Naples accepte de faire ce travail difficile, mais il manque de réactifs. Ces derniers sont obtenus grâce au service médical de la base française. Finalement, aucun comptage ne fut obtenu à partir des 600 mg de phosphore extraits sous forme de pyrophosphates de 500 grammes de lave.

Un rapport de dix pages sur ce travail, comprenant aussi une récapitulation des caractéristiques volcanologiques du Vésuve, est envoyé dès le 5 mai au CNRS à Alger .

NOETZLIN, J. (1944). Mission volcanologique au Vésuve. Publication du Centre national de la Recherche scientifique, Alger.
Il est accompagné de photographies du cratère et des coulées de lave prises par Jacques Noetzlin à travers la verrière du cockpit d'un avion de chasse, qu'il fit pour cela voler sur le dos ! Imagine-t-on de nos jours, en pleine paix, de pouvoir faire collaborer autant de laboratoires de plusieurs institutions de différents pays pour monter des appareils, des opérations chimiques difficiles et les exploiter, le tout en cinq à six semaines ?
Précision fournie par Bernard Noetzlin.

Après la guerre

Noetzlin s'investit dans la recherche expérimentale des preuves de ses hypothèses dès que les ressources des nouveaux équipements des laboratoires le permettent.

En 1947, il remet à jour sa brochure de 1942 avec un avertissement ronéotypé qui mérite d'être cité ici.

" L'étude ci-jointe a été écrite à Paris, en 1941, donc sans information sur les développements scientifiques dans le monde en 1940 et 1941. Depuis qu'elle a été imprimée, les échanges ont été rétablis, et, par ailleurs, deux villes détruites au Japon ont brutalement fait connaître à l'humanité qu'on peut réaliser sur terre, à l'échelle macroscopique, des réactions nucléaires en chaînes divergentes. Je n'aurais pas, aujourd'hui, à persuader qui que ce soit du caractère explosif que peuvent prendre de tels phénomènes ni de l'ampleur des résultats obtenus en ne mettant en jeu que des quantités de substance relativement restreintes. Bien mieux, l'image de l'éruption volcanique est une de celles qu'emploient spontanément les témoins de ces événements lorsqu'ils cherchent à décrire l'effet produit par l'explosion de ce qu'on est convenu d'appeler une "bombe atomique" .

On remarquera que, soixante ans après, l'image est toujours employée en cas de grandes catastrophes.

Par contre, la réaction de fission de noyaux très lourds est beaucoup mieux connue aujourd'hui qu'à l'époque où je rédigeais l'étude qu'on va lire. Tout ce qui concerne cette réaction nucléaire est déjà périmé et l'étude elle-même ne conserve de valeur que dans la mesure où on voudra bien ne tenir compte que de l'exposé de principe et faire abstraction de l'illustration que j'avais essayé d'en donner en cherchant à l'appliquer au cas de l'uranium. Celui-ci ne paraît pas, dans l'état actuel de nos connaissances nucléaires et pétrographiques, susceptible de fournir une solution du problème volcanique. Par contre, le principe d'une interprétation de ce phénomène en termes de chimie nucléaire subsiste intégralement, et avec lui les possibilités de vérification expérimentale à l'exposé desquelles est consacrée la fin de l'opuscule. "

En 1948, dans un second fascicule , Noetzlin établit des bilans énergétiques de l'écorce terrestre et discute des sources possibles de l'énergie éruptive : la chimie classique, l'alimentation continue de la poche magmatique par le magma chaud, l'éruption alimentée par le refroidissement du magma et l'éruption alimentée par la chimie nucléaire. Il montre, entre autres, que la chimie ordinaire fournit des quantités d'énergie trop faibles pour alimenter une éruption, que les parties du magma solidifiées pendant le refroidissement et non éjectées rendraient impossibles de nouvelles éruptions. Or, il faut rendre compte de ce que les volcans peuvent subir des éruptions nombreuses. On a vu comment, dès juillet 1940, Noetzlin en expliquait la possibilité dans le cas d'éruption alimentée par la chimie nucléaire. Noetzlin ne retient en résumé des différentes interprétations du volcanisme que deux sources de l'énergie éruptive pleinement satisfaisantes du point de vue énergétique : le refroidissement du magma et la chimie nucléaire. Mais il mentionne que la première se heurte à de graves objections pétrographiques, et que la seconde est trop peu fondée eu égard aux connaissances du moment. Par contre, elle comporte une possibilité de vérification expérimentale : " une réaction nucléaire à l'échelle macroscopique produirait des perturbations isotopiques des éléments composant le magma voisin, les neutrons diffusés dans ce magma par la réaction y donnant naissance à de nombreux noyaux isotopiques, radioactifs ou stables ".

La recherche d'anomalies isotopiques du soufre

Malgré les réserves exprimées au sujet des bases de l'hypothèse nucléaire, Noetzlin en poursuivra les tentatives de vérifications expérimentales. Faute d'opportunités exceptionnelles comme celle offerte par l'éruption du Vésuve, il les cherchera dans les anomalies isotopiques d'éléments stables.

Pour cela, ses liens avec Joliot-Curie, devenu Haut-Commissaire à l'Énergie atomique, lui ouvrent les portes du CEA où se trouve le premier laboratoire français capable de faire des analyses isotopiques .

Laboratoire fondé par l'un de nous (E. R.).
L'entente se fait pour analyser le soufre, un élément qui a quatre isotopes stables et est abondant dans les émissions volcaniques.

En 1951, les premières analyses faites, sans révéler d'anomalie, montrent que, malgré les fractionnements isotopiques que le soufre peut subir dans la nature, les soufres natifs de volcans de types très différents ont des compositions isotopiques très voisines et proches des valeurs des soufres météoritiques, qui sont curieusement très peu dispersées .

LAZARD, B., NIEF, G. et ROTH, E. (1952). Variation de l'abondance du soufre 34. J. Chim. Phys., 49, p. 60-63.

La même année, Noetzlin expose les applications possibles des mesures des rapports isotopiques à la volcanologie dans une publication où il montre une connaissance approfondie, rare à l'époque, des phénomènes de fractionnements isotopiques, dans la nature et en laboratoire .

NOETZLIN, J. (1952). La mesure des rapports isotopiques et ses applications possibles à la volcanologie. Bulletin Volcanologique, organe de l'association de volcanologie, de l'Union géodésique et géophysique internationale, (2), 12.

1960. Malgré l'absence de preuve d'une réaction nucléaire fournie par les premières mesures, Noetzlin a poursuivi et étendu le champ des analyses isotopiques de soufre, toujours effectuées à Saclay jusqu'en 1960, année où il publie l'ensemble des résultats dans une publication qui fourmille d'idées. Il estime en effet que, pour la connaissance de la Terre, sans remplacer des prélèvements en profondeur, les éruptions volcaniques fournissent des renseignements voisins, en géologie classique, pétrographie, minéralogie, et bien sûr volcanologie classique.

NOETZLIN, J. (1960). Composition isotopique de soufres d'origine volcanique. Revue de Géographie physique et de Géologie dynamique, (2), 3, (4), p. 215-226.

Citons seulement les analyses isotopiques des échantillons qu'il a prélevés lui-même au Piton de la Fournaise, à la Réunion. Il observe qu'elles sont semblables à celles du Kilauea, volcan du même type situé à Hawaï. Ne serait-ce pas une présomption en faveur d'une grande homogénéité de constitution de la couche profonde qui alimente les foyers volcaniques ? D'autres analyses non publiées n'indiquèrent aucune variation significative par rapport aux valeurs connues sur d'autres matériaux .

À l'instigation de J. Noetzlin et H. Tazieff, J.-L. Cheminée, Catherine Pierre et R. Létolle effectuèrent aussi, dans les années 1965-70, des analyses isotopiques de soufre sur une variété de roches volcaniques du Pacifique, dont les résultats ne furent jamais publiés.

1964, 1965, 1966. Recherche d'anomalies isotopiques du magnésium, datations

Dans ses dernières publications Noetzlin diversifie son travail. Tout d'abord il veut vérifier que le fait que le soufre se partage lors des éruptions entre phase gazeuse (H2S par exemple) et phase solide (sulfates) ne perturbe pas les résultats. Pour ce contrôle, il procède à l'étude des isotopes du magnésium qui ne subit pas de fractionnement au moment des éruptions. Il fait analyser 22 échantillons de laves et de quelques roches métamorphiques. Les analyses isotopiques sont faites à Genève et à Saclay, où des techniques d'analyse d'échantillons solides sont maintenant disponibles. Aucune trace de fractionnement isotopique significatif n'est trouvée, en accord avec les travaux sur le soufre.

BUCHS, A., KRUMMENACHER, D. et NOETZLIN, J. (1965). La composition isotopique du magnésium extrait de roches et de laves d'origines très différentes. Bull. Suisse Minér. et Pétr., Vol 45/2.

Enfin, utilisant la méthode potassium-argon de détermination de l'âge des roches, notamment en collaboration avec Krummenacher , Noetzlin a cherché à mettre en évidence la relation entre les roches d'origine volcanique et un éventuel socle beaucoup plus ancien. Une première série d'analyses ne mit en évidence aucun échantillon plus ancien que les roches volcaniques .

Dans The Guardian de Sacha Carnegie. Éd. La Table ronde, 1968, 336 p.
Mais de nouvelles déterminations montrèrent que certains minéraux du centre de Tahiti étaient âgés d'environ 150 Ma, alors que les roches volcaniques ne dépassaient pas 15 Ma.
  1. KRUMMENACHER, D., LAURENT, R. et NOETZLIN, J. (1966). Détermination d'âge isotopique faite sur une roche grenue de Tahiti par la méthode potassium-argon. C. R. Acad. Sci., Paris, t. 258, p. 4105-4108.
  2. KRUMMENACHER, D. et NOETZLIN, J. (1966). Ages isotopiques K/A de roches prélevées dans les possessions françaises du Pacifique. Bull. Soc. géol. France, (7), VIII, p. 173-175.

Conclusion et commentaires

Nous ne reviendrons pas sur les enseignements tirés par Noetzlin des mesures isotopiques pour nous concentrer sur ce qu'il fit de plus marquant. Il eut une vision étonnamment en avance sur son temps du fonctionnement d'une poche volcanique siège de réactions nucléaires. On a vu ainsi que son hypothèse du redémarrage de réactions, arrêtées par la dispersion des matières fissiles, correspond à un scénario identique à ce qui fut craint à Tchernobyl.

L'intuition que des conditions permettant des réactions de fission en chaîne pouvaient être réunies dans certains contextes géologiques était presque géniale. Jacques Noetzlin justifiait cette hypothèse par des calculs neutroniques aussi développés que possible dans l'état de la connaissance du phénomène de fission.

De l'étude des travaux de Noetzlin se dégage le portrait d'un chercheur passionné, émettant des hypothèses audacieuses, mais les vérifiant méticuleusement avec les moyens techniques les plus récents, dont il acquérait une connaissance profonde.

On peut se demander pourquoi Jacques Noetzlin, qui s'était rendu compte que l'absence d'eau dans le magma obligeait à ne considérer que des réactions de neutrons rapides, pour lesquelles des conditions favorables n'étaient pas réunies, ne se soit pas intéressé aux milieux où l'eau abondait, donc aux réactions induites par les neutrons lents.

Il peut y avoir deux explications à cela. Noetzlin a voulu se consacrer uniquement aux explications de l'éruption volcanique. À l'époque, l'eau n'y intervenait pas. Mais aussi la guerre, sans rompre son amitié avec Joliot, avait mis fin à sa fréquentation quotidienne de laboratoires où se développait l'étude des réacteurs nucléaires, laboratoires que du reste ses interlocuteurs passés, Joliot et Francis Perrin, n'animaient plus que de loin.

Par contre il était normal que Kuroda, s'occupant de thermalisme, songeât aux réactions induites par des neutrons ralentis par l'eau. Il eut le grand mérite de s'aviser qu'elles ne pouvaient s'être produites qu'à une époque géologique suffisamment reculée pour que la teneur de l'uranium en isotope 235, actuellement de 0,720 %, ait été d'environ 3,5 %, comme dans les réacteurs nucléaires actuels.

Mais sans la découverte fortuite d'une forte anomalie isotopique localisée dans une petite partie du gisement d'uranium de la carrière d'Oklo , les travaux de Noetzlin et de Kuroda seraient soit oubliés, soit considérés comme des spéculations peu justifiées.

Nous donnons en annexe un bref compte rendu de la découverte de cette anomalie et de son interprétation.

Nous voulons, enfin, souligner les qualités de Jacques Noetzlin. On a vu le courage qu'il eut de s'engager dans les Forces françaises libres en 1943, l'intrépidité avec laquelle il prit des photographies du Vésuve et le désintéressement dont il fit preuve en cédant au CNRS le domaine de Gif. Son don pour obtenir des collaborations fut extraordinaire. Celles qu'il eut en pleine guerre à Naples et Alger stupéfient.

L'un de nous (E. R.) l'ayant connu personnellement, peut témoigner que sa modestie et sa simplicité ne permettaient pas de deviner qu'elles cachaient un esprit aussi inventif s'appuyant sur les connaissances les plus récentes.

En résumé, ce sont des chercheurs de sa qualité d'invention, et dont les travaux sont d'une scrupuleuse honnêteté, qui font avancer la science. Comme le font de leur côté des enseignants, certains sèment ce que d'autres récoltent. Il n'est que juste de mettre leur rôle en lumière.

Remerciements

Ce texte doit beaucoup aux souvenirs et documents de son fils, Bernard Noetzlin, que nous remercions très vivement. Il nous a en particulier fourni toutes les publications de son père postérieures à 1950, mais aussi l'introuvable et extraordinaire rapport sur l'éruption du Vésuve de 1944.

Michel Pinault nous a appris l'épisode de la lettre à Lawrence, confiée par Joliot à Jacques Noetzlin.

ANNEXE
Le phénomène d'Oklo : découverte et interprétation

En juin 1972, M. Bouzigues, chef du laboratoire d'analyse isotopique du CEA à Pierrelatte, établit avec certitude que la teneur mesurée de 0,7171 % en uranium 235 dans l'hexafluorure d'uranium d'un conteneur était une véritable anomalie. Car il était tellement admis que des teneurs de 0,720 % + 0,0007 % couvraient tous les échantillons d'uranium naturel, que nulle part on ne vérifiait plus leur composition isotopique. M. Bouzigues procéda alors à une véritable traque du matériau ayant servi à préparer ce gaz. Et, grâce à des archives d'usines de transformation et des collections impeccables d'échantillons, il remonta jusqu'à un emplacement précis du gisement d'uranium de la carrière d'Oklo, au Gabon. Des prélèvements faits sur place fournirent alors la valeur stupéfiante de 0,44 % !

BODU, R., BOUZIGUES, H., MORRIN, N. et PFIFFELMANN, J. P. (1972). Sur l´existence d´anomalies isotopiques rencontrées dans l´uranium du Gabon. C. R. Acad. Sci., Paris, 275, p. 1731-1732.

Une réunion fut organisée le 19 juillet 1972 au CEA pour trouver une explication à cette valeur, sans précédent dans des échantillons naturels. Après des exposés d'hypothèses parfois surréalistes, l'un de nous (E. R.) suggéra de procéder à la recherche des terres rares dans les échantillons. Leur présence et leur teneur isotopique pouvaient assimiler le phénomène à des réactions de fission. Dès le 7 août M. Nief, son adjoint à Saclay, expliqua correctement, à partir des analyses isotopiques du néodyme, comment la partie concernée du gisement avait pu se comporter comme un véritable réacteur nucléaire naturel dont il estima la puissance. À Cadarache Mademoiselle Michèle Neuilly attribua à des fissions la composition chimique des terres rares et concluait à une explosion nucléaire.

La saga de l'explication de l'appauvrissement de l'uranium en U235 a fait l'objet de conférences par l'un de nous.

ROTH, E. (1978). The Saga of Nature' Reactor at Oklo. Proceedings of the conference on High Level Radioactive Solid Waste Forms, Rapport NUREG / CP-0005 de Office of Nuclear Material Safety and Safeguards, et conference CEA 10643Saga

De nombreuses études ont alors démarré pour comprendre les conditions de démarrage, de fonctionnement et d'arrêt de ce " réacteur " , préservé aujourd'hui dans un coffrage de béton.

Voir IAEA, (1978) "Les Réacteurs de Fission Naturels", Technical Committee Meeting Proceedings (Paris 1977) International Atomic Energy Agency pub. 475 (Vienna) 749 p. On trouvera sur Internet en quantité les références plus récentes sur ces réacteurs naturels (chercher " Oklo " sur le serveur " Google ").

Une condition essentielle pour trouver d'autres réacteurs concerne, comme on l'a vu, l'âge du gisement d'uranium. Il est de près de deux milliards d'années à Oklo. Mais malgré des recherches poussées, aucun autre site n'a été découvert dans le monde . Par contre, dans un rayon de quelques kilomètres autour d'Oklo, on connaît maintenant 17 foyers de réaction indépendants.

Une raison pourrait peut-être venir de ce que l'exploitation des gisements d'uranium commence en général par les minerais les plus riches. Or ce sont ceux où les réactions avaient le plus de chance de se produire. Comme les foyers sont de petite taille, une fois les minerais mélangés, les anomalies de concentration seraient quasiment oblitérées, et auraient eu d'autant moins de chance d'être observées que la composition isotopique de l'uranium naturel était réputée constante à un pour mille relatifs près, et que les exploitants d'usines ne la mesuraient jamais.

L'abondante littérature sur le phénomène d'Oklo permet d'en approfondir la connaissance.

Site d'Oklo (Gabon)
Le coffrage, à droite, protège le premier " réacteur naturel ".