TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XXIX (2015)

Christian MOREAU et Jean GAUDANT

L'exploration géologique des Charentes (partie septentrionale du Bassin aquitain)


COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 11 mars 2015)

Résumé.

L'histoire de l'exploration géologique des Charentes débute avec Bernard Palissy au XVIe siècle, se poursuit avec des précurseurs comme Louis Benjamin Fleuriau de Bellevue et le vicomte Adolphe d'Archiac au début du XIXe siècle pour en arriver à la réalisation des premières cartes géologiques de la Charente-Inférieure (William Manès 1853) et de la Charente (Henri Coquand 1858). Des réunions géologiques et les travaux relatifs aux tracés des lignes de chemin de fer vont améliorer les connaissances de terrain et permettre des études plus fines des formations géologiques avec comme premier résultat la création de stratotypes (Coniacien, Santonien et Campanien) encore valides aujourd'hui. Avec la réalisation des cartes géologiques au 80 000e et au 50 000e, l'histoire géologique s'affine et permet la rédaction de synthèses régionales et tectoniques qui complètent la compréhension de cette partie septentrionale du Bassin aquitain.

Mots-clés : Charentes - stratotypes - exploration géologique - histoire géologique - tectonique.

Abstract.

The geological exploration history begins with Bernard Palissy during the 16th century. Precursors like Louis Benjamin Fleuriau de Bellevue and the Vicomte Adolphe d'Archiac keep exploring local geology at the begining of nineteenth century and leads to the realisation of first geological maps of the Charente-Inférieure (William Manès 1853) and of the Charente (Henri Coquand 1858). Geological meetings and railway work will improve field knowledge and permit more subtil studies of the geological formations with, as first results, the creation of stratotypes (Coniaciean, Santonian et Campanian), which are still valid today. With the realization of maps at 80 000e and 50 000e scales, geological history is refined and allows regional and tectonic syntheses to be written, which complete the knowledge of this septentrional part of the Bassin Aquitain.

Key words: Charentes - stratotypes - geological exploration - geological history - tectonic.

 

Introduction

Cet article est une contribution à l'histoire de la connaissance géologique de la partie septentrionale du Bassin aquitain (Charente-Maritime, Charente et Dordogne). Il s'agit d'une unité naturelle de formations sédimentaires du Jurassique et du Crétacé qui s'étend des côtes aunisiennes au Quercy, reposant en discordance, au nord, sur le Massif armoricain et à l'est sur le Massif central. Entre ces deux massifs, le seuil du Poitou marque la limite entre Bassins aquitain et parisien.

Cette histoire géologique est notamment marquée par la reconnaissance de plusieurs stratotypes dont certains font encore partie des étages reconnus par la Commission internationale sur la stratigraphie. Cette région a été parcourue depuis le XVIe siècle par des géologues célèbres pour certains, mais locaux pour d'autres. Il était donc nécessaire de leur rendre hommage pour les découvertes et travaux accomplis.

Après les travaux de quelques précurseurs et pionniers, les progrès de la connaissance de la géologie de cette région vont être facilités par les tranchées effectuées lors de tracé des voies de chemin de fer au milieu du XIXe siècle.

1. Quelques précurseurs

Le célèbre précurseur de la géologie «Maître» Bernard Palissy (1510 ?-1590), le « plus ancien paléontologue écrivain de langue française » est installé dès 1530 à Saintes comme potier. Mais entre 1540 et 1550, ses recherches sur les céramiques et faïences étant infructueuses, il effectue des travaux de cartographie dans les marais salants pour subvenir aux besoins de sa famille et s'intéresse au monde minéral. Il laisse dans La recepte admirable (1563) quelques descriptions de coupes géologiques et révèle la nature exacte des fossiles.

Au XVIIe siècle, Nicolas Venette (1633-1698), médecin et naturaliste rochelais, écrit un curieux ouvrage : Traité des pierres qui s'engendrent dans les terres et dans les animaux, où l'on parle exactement des causes qui les forment dans les hommes, la méthode de les prévenir et les abus pour s'en garantir et pour les chasser même hors du corps, où il explique que le processus de formation des pierres dans les corps animaux et humains est identique à celui de la nature. « Pour accomplir ce dessein, je résolus de faire des chapitres entiers des histoires des différentes pierres que l'on a trouvées dans la terre & dans les animaux pour donner du poids & de la force à ce discours par des exemples reïterez. » Plus il ajoute : « En effet nous savons que les animaux & les plantes ont le pouvoir de se perpétuer par la vertu de leur semences, & nous conjecturons que les minéraux, qui nous sont moins connus, se multiplient de la même façon... » Il consacre une grande partie de son ouvrage à l'étude des pierres en général, persuadé que « ce qui engendre des pierres dans la terre engendre aussi dans les corps des animaux ». Un peu plus tard, Elie II Richard (1672- 1720) écrit un ouvrage tout du moins surprenant : Histoire des animaux, des végétaux et des minéraux avec un abrégé des météores. Ce manuscrit de 200 feuillets, avec des dessins en couleur, est un véritable « cabinet d'histoire naturelle » riche en connaissances aussi bien scientifiques que chimériques digne d'un honnête homme de cette fin du XVIIe siècle précurseur du Siècle des lumières, publié en 1701.

Au XVIIIe siècle, on assiste à la création de l'Académie royale des Belles lettres à La Rochelle (1732) avec le soutien de Réaumur qui, en 1741, accompagné de son élève Jean Etienne Guettard (1715-1786), vient effectuer le long des côtes aunisiennes des observations géologiques. Au cours de ce séjour, ils suscitent la vocation d'un naturaliste amateur, Clément Lafaille (1718-1782); ce dernier va pendant 30 ans être un des rares scientifiques de cette Académie ; il sera nommé membre correspondant à l'Académie des sciences en 1770. On lui doit la localisation de nombreux sites fossilifères ainsi que de nombreuses observations consignées dans des manuscrits qui furent en partie la propriété de Charles Marie Dessalines d'Orbigny, puis de la Société des sciences naturelles de la Rochelle.

2. Les pionniers

Parmi les pionniers de la Géologie de cette région du Bassin aquitain, Nicolas Desmarest (1725-1815) ne doit pas être oublié. En effet, en 1806 il publie un mémoire Sur plusieurs espèces de fossiles inconnus. Dès le début, il écrit : « Les fossiles dont j'ai fait une nombreuse collection en 1764, 1769 et 1771, dans les provinces de Saintonge, d'Angoumois et de Périgord, composent une famille entière de coquillages dont les analogues marins ne sont pas plus connus que les fossiles eux-mêmes. Ces deux motifs m'ont engagé à faire une étude suivie de leur organisation, et malgré la difficulté de les obtenir entiers et totalement dégagés de la substance pierreuse qui les enveloppe, je suis parvenu à saisir et réunir des caractères distinctifs suffisants, soit pour les classer entre eux, soit pour les rapporter à quelque classe de coquillages déjà connus. »

Puis il va décrire plusieurs coquilles qui lui paraissent significatives. La première concerne Ostracite barbézieux, découverte à proximité de cette localité située dans le sud de l'Angoumois, dans les formations de la Craie. Elle se rapproche des huîtres (Ostreas) par quelques aspects et notamment leur immobilité, mais s'en écarte par leur forme conique, par la distribution des lames composant leurs valves, et par les arêtes et noyaux internes. Desmarest constate que ces nouvelles coquilles se localisent non seulement dans la Charente-Inférieure, la Charente et la Dordogne, mais également dans le Gard. Ces descriptions montrent la difficulté d'identifier des fossiles n'ayant aucun équivalent actuel et ne pouvant pas être facilement classés dans les nomenclatures existantes.

Au début du XIXe siècle, à la Rochelle, deux naturalistes marquent la discipline par leurs travaux et leurs actions qui conduiront, entre autre, à la création de la Société des sciences naturelles en Charente-Inférieure; il s'agit de Louis Benjamin Fleuriau de Bellevue (1761-1852) et de Charles Marie Desssalines d'Orbigny (1770-1856), éminent naturaliste et père d'Alcide et de Charles, célèbres géologues nommés au Muséum national d'histoire naturelle de Paris. Il reste comme un des principaux acteurs de la création de la Société des sciences naturelles de la Charente-Inférieure et du Muséum de La Rochelle.

Après une enfance rochelaise, Louis Benjamin Fleuriau de Bellevue, âgé alors de 9 ans, part pour Genève ou il va recevoir une solide éducation protestante ; il termine sa formation à l'Académie de cette ville, auprès de son « maître» Horace Bénédict de Saussure. Puis, de 1788 à 1793, il effectue un périple géologique en Italie, Suisse et Autriche, au cours duquel il aura la chance d'accompagner pendant quelques mois Déodat de Dolomieu. A son retour à La Rochelle, la poursuite de ses travaux lui permettra d'obtenir une reconnaissance nationale. Dès 1810, il se tourne vers la géologie régionale et nous laisse une vingtaine de publications. Mais déjà en 1801, pour répondre à la demande du ministre des Mines et de l'Industrie, Fleuriau dresse un inventaire complet des carrières de pierres de taille et de leur utilité dans le département de la Charente-Inférieure. L'année suivante, il publie un Mémoire sur quelques nouveaux genres de mollusques et vers lithophages où il décrit entre autres Rupella striata, puis explique les modes de perçage des calcaires par quelques mollusques et vers, le long des côtes charentaises.

Fleuriau justifie ses Observations géologiques sur les côtes de la Charente inférieure et de la Vendée (buttes de St Michel l'Herm) en 1814, comme un premier mémoire qu'il explique dans une note infra : « j'ai recueilli depuis plusieurs années beaucoup de matériaux, dans l'intention de donner un aperçu de la Géographie physique du département de la Charente inférieure. Plus je me suis occupé de ce travail, et plus j'ai rencontré de faits géologiques et d'histoire naturelle qui me semblaient nouveaux, ou sur l'explication desquels les naturalistes ne me paraissent pas encore fixés. » Ce mémoire décrit ces buttes coquillières qui ont intrigué des générations de naturalistes et ont suscité de nombreuses interprétations dont certains assez inattendues et d'autres plus plausibles. Fleuriau, pour sa part, pense qu'il s'agit d'un extraordinaire « retrait de l'océan » et que les naturalistes vont devoir découvrir les origines de « la grande question des invasions et retraites réitérées de la mer sur les continents ».

À cette même période, la découverte de bois fossiles à l'île d'Aix va le remobiliser pendant de nombreuses années sur cette question. En effet, il va consacrer beaucoup de son temps à une étude exhaustive de la forêt fossile de l'île d'Aix, lever la carte et quelques coupes (Fig. 1 et 2), écrire un mémoire et établir un inventaire des fossiles, qu'il enverra à Cuvier pour identification, et des formations lithologiques. Tous ses travaux vont être utilisés par ses amis destinataires de ses écrits, Alexander von Humboldt et Alexandre Brongniart qui les citent abondamment dans leurs articles publiés dans le Dictionnaire des Sciences naturelles.



Fig. 1. Carte et coupe de l'île d'Aix levées par Fleuriau de Bellevue (1820)


Fig. 2. Coupe géologique établie par Fleuriau de Bellevue (1815/1820)

Vers 1820, avec l'aide de d'Orbigny père, Fleuriau réalise une carte géologique du département (Fig. 3), synthèse des observations de terrain qu'il effectue depuis plus de vingt ans. Les limites tracées sur cette carte correspondent à des unités lithologiques conformes aux anciennes nomenclatures. Du nord au sud, il distingue les terrains primitifs du Massif armoricain, sur lesquels reposent les terrains de transition, houiller et lias, puis les terrains secondaires subdivisés en oolite inférieure, moyenne et supérieure, puis en grès vert, en gypse et en craie inférieure, moyenne et supérieure ; vers le sud, on retrouve les terrains tertiaires ; quant aux formations récentes, elles correspondent aux terrains d'alluvions. Ces subdivisions laisseront la place aux étages quelques temps plus tard et ce travail servira de point de départ à William Manès lors de la réalisation de sa carte géologique de la Charente-Inférieure en 1853.


Fig. 3. Première carte géologique de la Charente-Inférieure, établie par d'Orbigny père et Fleuriau de Bellevue (vers 1820).

En 1823, Ami Boué (1794-1881), lors d'un voyage d'étude dans le Sud-Ouest de la France, arrive à La Rochelle pour y retrouver Fleuriau de Bellevue et d'Orbigny père. Ces derniers vont le piloter le long des côtes aunisiennes pour débuter ses observations des formations du Bassin aquitain. Dans son Mémoire géologique sur le Sud-Ouest de la France (1824), il décrit la série stratigraphique de cette région avec le souci de la comparer à celle du Bassin parisien. Une coupe géologique idéale à travers le Bassin aquitain du nord au sud illustre assez bien ses propos, mais reste un peu schématique par rapport à celle que dessinera d'Archiac une dizaine d'années après. Ce premier travail reste novateur pour l'époque et marque les débuts d'une exploration géologique plus approfondie qui ne fera que progresser au cours du XIXe siècle.

3. De l'exploration géologique aux premières cartes

En 1835, le vicomte Adolphe d'Archiac (1802-1868) publie un Mémoire sur la formation crétacée du Sud-Ouest de la France. Il y expose une véritable synthèse des connaissances sur les formations crayeuses du Bassin aquitain à la suite d'une présentation des formations jurassiques. Après une étude détaillée des affleurements de la partie septentrionale (Charente-Inférieure, Charente et Dordogne) comparée à celle de la partie méridionale (le long des Pyrénées-Atlantiques), il illustre le tout par une belle coupe géologique de Saint-Jean-Pied-de-Port à La Rochelle (Fig. 4), accompagnée de schémas précis de quelques affleurements significatifs (pointe de Fouras, vallée de Soute, N-O de Pons, baie de Royan et Colline de Mouguerre près de Bayonne). En accord avec Alcide d'Orbigny il distingue quatre étages dans le crétacé. Il conclut son mémoire sur les différences de ces unités géologiques au nord et au sud tant au point de vue « minéralogique et paléontologique », qu'il attribue principalement aux différences de la « profondeur des eaux », que tectonique où, pour la partie méridionale, le soulèvement des Pyrénées déforme les formations sédimentaires.


Fig. 4. Coupe géologique établie par Adolphe d'Archiac (1835)

En 1836, la Société des sciences naturelles de la Charente-Inférieure est créée par un groupe de « savants rochelais » emmené par Fleuriau et d'Orbigny père. Ils vont multiplier les excursions de terrain, laissant ainsi de nombreuses notes publiées dans les bulletins de la Société, enrichissant les collections du Muséum régional qu'ils viennent de créer en plus du Muséum d'histoire naturelle Lafaille qui existe déjà.

En 1841, Léonce Élie de Beaumont (1798-1874) et Armand Dufrénoy (1792-1857) publient un article sur Le Bassin jurassique du Sud-Ouest de la France ou de la Gascogne complétant agréablement la carte géologique de la France au 500 000e qu'ils viennent de réaliser après 8 ans de travaux sur le terrain.

En 1843, se tient à Poitiers une réunion extraordinaire de la Société géologique de France, mais les débats et excursions sont essentiellement tournés vers le Bassin parisien. Malgré les analogies qui existent entre les formations jurassiques et crétacées de ces deux entités géologiques, le Bassin aquitain est pratiquement ignoré de la discussion.

4. Les cartes régionales

À la suite de directives ministérielles, vers 1840, les départements prennent conscience de l'importance de la connaissance du sous-sol pour l'industrie minière mais aussi pour l'agriculture, c'est pourquoi ils lancent des appels d'offres pour réaliser des cartes géologiques dont les notices décrivent la minéralogie et la paléontologie des formations. Les départements de la Charente et de la Charente-Inférieure sont parmi les premiers à se mobiliser.

En 1848, le conseil général de la Charente-Inférieure retient l'ingénieur des mines William Manès (1798-1881) pour réaliser celle de son département. Après quatre campagnes de terrain (1849, 1850, 1851 et 1852) qui lui permettent de lever la carte, il la publie accompagnée d'une Description physique, géologique et minéralogique de la Charente-Inférieure. Manès reconnaît avoir beaucoup utilisé les notes de Fleuriau de Bellevue pour la description physique du département, il s'appuie sur les travaux d'Archiac pour le Jurassique et d'Alcide d'Orbigny pour le Crétacé. Au cours de l'avancée de sa rédaction, il doit rendre compte au conseil général. Ce dernier charge Fleuriau de Bellevue de suivre, avec l'assistance de d'Orbigny père, ces travaux, de les critiquer et les valider avant leur publication. Une importante correspondance existe à cet égard, permettant de constater l'implication de ces géologues dans la réalisation de la carte (voir l'annexe qui relate leurs observations transmises à Manès). C'est en 1853 que ces documents seront disponibles.

Le conseil général de la Charente suit le même processus et retient dès 1848, Henri Coquand (1813-1881) pour réaliser ce travail. Chaque année, ce professeur de géologie de l'université de Besançon vient passer trois mois en Charente pour ses travaux de terrain. Il utilise les travaux de ses prédécesseurs, les critiquant et les complétant, comme ceux de William Manès sur la partie nord est du département. Il précise les études de d'Archiac sur le Purbeckien, confirme ses caractéristiques géologiques avec la présence de gypse et d'une faune d'eau douce. Puis, après avoir réaffirmé le caractère transgressif de la craie, Coquand constate l'absence de la « craie inférieure » et en contrepartie une magnifique série de la « craie supérieure ». En effet, celle-ci commence par des grès verts identifiés par Alcide d'Orbigny comme le Cénomanien, puis se poursuit par une succession de formations avec des contenus faunistiques significatifs qui lui permettent d'envisager de nouveaux étages qu'il va appeler le Coniacien en référence à la ville de Cognac et ses alentours, le Santonien pour la région de Saintes, le Campanien pour le « pays de la champagne » charentaise, dont le plus bel affleurement se trouve à Aubeterre-sur-Dronne, et enfin le Dordonien pour le département de la Dordogne (Fig. 5). Seuls trois de ces étages restent dans la convention internationale : Le Coniacien, le Santonien et le Campanien. Quant au Dordonien, il sera remplacé par le Maastrichtien. En effet, il s'agissait plus d'un faciès particulier qu'un type général. En 1858, il publie sa carte accompagnée d'une Description physique, géologique, paléontologique et minéralogique de la Charente, véritable mémoire de thèse de 962 pages. Ce travail reste encore une référence sur la géologie de ce département.

DIVISION DU TERRAIN CRÉTACÉ
DANS LE DÉPARTEMENT DE LA CHARENTE.


Fig. 5. Coupe de Coquand illustrant les stratotypes du Crétacé.

Il faudra attendre 1882 pour que Jean Marrot, inspecteur général des mines, et Georges Mouret, ingénieur des ponts et chaussées, publient la carte géologique de la Dordogne accompagnée de sa notice.

5. Des investigations aux cartes géologiques

Des réunions extraordinaires contribuent à l'amélioration des connaissances

Du 1er au 10 septembre 1856, se tient à La Rochelle la 23ème session du Congrès scientifique de France avec des excursions sur le terrain. Dans la section des sciences naturelles, William Manès, un des principaux animateurs, présente dans un premier temps un inventaire des richesses minérales du département puis, dans un second temps, il anime un débat sur l'utilité des cartes géologiques et leurs utilisations. Il insiste sur le fait que ces documents n'indiquent que la nature du sous-sol et n'informent pas sur la couche arable, d'où la nécessité d'envisager des cartes agronomiques.

Du 6 au 14 septembre 1857, une réunion extraordinaire de la Société géologique de France s'est tenue à Angoulême en Charente sous la présidence d'Henri Coquand. Une belle occasion pour ce professeur d'exposer à la communauté géologique les premiers résultats de ses recherches sur la « craie supérieure » qu'il va prouver au cours des excursions sur le terrain. Il annonce la publication imminente de tous ses travaux sur le département que ce soient les « stratotypes », la carte ou encore le mémoire l'accompagnant.

Les stratotypes définis dans la région

Au début du XIXe siècle, comme nous l'avons constaté avec la carte de Fleuriau, les géologues régionaux utilisent la lithologie pour désigner les différentes formations. On parle d'oolite pour le Jurassique, de grès vert et de gypse puis de craie pour le Crétacé ; la paléontologie stratigraphique est encore balbutiante. Le contenu faunistique des formations sédimentaires commence fortement à intéresser les géologues et les étages vont rapidement apparaitre. La partie septentrionale du Bassin aquitain s'y prête particulièrement car elle fournit des fossiles riches en variétés et significatifs d'un environnement chaud et humide. Ainsi les rudistes, les échinides et autres animaux vivant dans ces écosystèmes font l'objet d'études. Leur intérêt pour sérier une époque géologique va également se développer.

Alcide d'Orbigny, dans son Cours élémentaire de paléontologie et de géologie stratigraphique (1846-1852), définit l'étage en son sens moderne; le terrain se caractérise par son contenu faunistique, sa nature lithologique et correspond à une époque donnée limitée dans le temps géologique. Il établit 27 étages successifs au cours du Jurassique et du Crétacé. On y voit apparaître le Corallien (situé à la fin du Kimméridgien), défini dans un lieu fréquenté pour son magnifique récif fossile au sud de La Rochelle, à la pointe du Chay, qui est l'expression la plus nette d'un ensemble faunistique permettant d'imaginer l'environnement pendant cette période géologique.

Henri Coquand marque également la stratigraphie régionale car il précise la stratigraphie proposée par d'Orbigny en décrivant quatre étages dont trois figurent encore dans les conventions internationales, comme nous l'avons précisé ci-dessus.

Apport des tranchées des lignes de chemin de fer

L'apparition des chemins de fer à travers tout le pays au milieu du XIXe siècle ouvre des coupes nouvelles pour les observations géologiques le long des tranchées et des tunnels. Dans notre région un réseau assez dense va permettre de nombreuses nouvelles observations accompagnées de récoltes de fossiles. La géologie s'affine et nombre de ses adeptes ont saisi l'opportunité de suivre l'avancée des nouvelles lignes ferroviaires. Un des premiers exemples dans notre région est celui des Deux-Sèvres ou est publié en 1857, une Etude géologique des tranchées du chemin de fer de Poitiers à La Rochelle sur le territoire des Deux-Sèvres par deux ingénieurs des mines, M. Sauzé et A. Baugier, chargés de suivre les travaux de la ligne de chemin de fer Poitiers à La Rochelle tout au long de sa traversée du département, soit sur 65 km, où ont été ouvertes 58 tranchées qui permettent d'observer le début des dépôts sédimentaires du Bassin parisien dans la partie nord-est et du Bassin aquitain au sud-ouest, de part et d'autre du seuil du Poitou.

Dans les Charentes, Hilaire Arnaud (1827-1908) a parfaitement bien compris l'intérêt de suivre ces travaux. Plusieurs publications relatent ses observations et font part de l'intérêt de ces tranchées pour mieux comprendre la géologie. En 1872, il présente une première note à la Société géologique de France : Profil du chemin de fer d'Orléans à travers la Craie du S-0 où il montre que de nouvelles informations géologiques lui ont permis d'affiner sa stratigraphie du S-0 de la France. Puis le Profil du chemin de fer des Charentes et enfin sa note Profil du chemin de fer de Saint Jean d'Angély entre Grandgent et Taillebourg en 1877, lui permettent de conforter les premiers faciès du Qrétacé en Charente-Inférieure et de récolter quelques fossiles significatifs de ces formations. Toutes ces informations vont l'aider à mieux étudier le Crétacé de la partie septentrionale du Bassin aquitain. Cette même année 1877, il publie un Mémoire sur le terrain Crétacé du S-0 qui synthétise l'ensemble de ses observations et hypothèse sur ce sujet.

Mises au point au cours des réunions et congrès scientifiques

Les nombreuses découvertes faites grâce aux progrès et aux aménagements des voies de chemin de fer et des routes permettent des échanges et des confrontations à partir des nouvelles observations et données de terrain, dont nous avons deux exemples en Charente-Inférieure, à La Rochelle en 1882 et à Rochefort en 1887.

À La Rochelle, du 24 au 31 août 1882, la 11ème session de l'Association française pour l'avancement des sciences avec excursions voit poindre les progrès de la géologie de terrain avec les premières esquisses des futures cartes géologiques au 80 000e. Charles Basset, vice-président de la Société des sciences naturelles de la Charente-Inférieure, est chargé d'animer la session géologie et de conduire des excursions. Il se fait remarquer par l'intérêt qu'il porte aux foraminifères ; en effet il travaille sur le legs d'Alcide d'Orbigny. Mais c'est surtout Gustave Cotteau (1818-1894), ancien président de la Société géologique de France, qui suscite l'intérêt en présentant un catalogue détaillé des échinides qui fait référence dans notre région où les faciès coralligènes sont nombreux. Augustin Boissellier expose la géologie de la région de Rochefort avec des extraits de ses carnets de terrain qui vont lui permettre de réaliser la feuille géologique au 80 000e de La Rochelle.

Edouard Beltrémieux (1825-1897) est un naturaliste influent en Charente-Inférieure. Conservateur du Muséum de La Rochelle (1854-1887), maire de cette ville à plusieurs reprises, ce notable est passionné de zoologie et de géologie. Il va publier à plusieurs reprises (1862, 1864 puis 1883) La faune vivante et fossile du département de la Charente-Inférieure. Il a décrit les falaises aunisiennes et publié la Description de quelques espèces fossiles du Muséum de La Rochelle (1880) avec Henri Coquand.

Du 7 au 16 septembre 1887, les géologues intéressés par les formations crétacées du Sud-Ouest de la France se retrouvent lors d'une réunion extraordinaire de la Société géologique de France en Charente-Inférieure et Dordogne, avec des excursions de Rochefort à Sarlat. Hilaire Arnaud dirige ces journées. Des débats essentiellement sur le Crétacé du Nord du Bassin aquitain ont lieu à la suite de l'exposé d'Arnaud ainsi que des excusions guidées par Augustin Boissellier en Charente inférieure et Georges Mouret dans le Périgord. Pour Arnaud, le Crétacé du Sud-Ouest est relativement homogène sur l'ensemble de cette région, il n'a pas été affecté par la tectonique et les formations « relativement paisibles » sont essentiellement coralligènes. Différentes de celles du Bassin parisien, elles jouent un rôle de transition dans les dépôts crétacés du Nord avec ceux des régions pyrénéennes et méditerranéennes. L'auteur insiste sur la spécificité du Crétacé du S-O qui réside dans ses dépôts et leur contenu fossilifère qui se confirme par le choix de plusieurs stratotypes d'étages de ce système.

6. Les premières cartes au 80 000e dans la région

Depuis l'institution du Service de la carte géologique de la France en 1868, puis la création d'une commission spéciale, les levers se multiplient sur l'ensemble de la France. L'appel aux collaborateurs extérieurs est surtout entendu par les universitaires ; mais dans notre région ils sont peu nombreux c'est pourquoi celui qui va le plus se donner à cet exercice est un agent de l'administration de la marine, basé à Rochefort sur mer, Augustin Boissellier (1834-1895).

Ce célibataire huguenot travaille à l'arsenal de Rochefort et passe tout son temps libre à faire de la géologie. Il devient ainsi un des grands artisans de la carte géologique dans notre région. Pendant 12 ans, son principal travail a été le lever de plusieurs cartes géologiques au 80 000e, accompagnées de leurs notices individuelles. Au vu des états de ses frais, le bilan est impressionnant : 50 000 km parcourus, dont 37 000 en chemin de fer, 5 000 en voiture et 8 000 à pied. Le tout en 1 000 journées de travail effectif, sans compter les demi-journées et celles passées à la maison aux reports des carnets de terrain, aux rangements des échantillons et fossiles, et aux dessins des cartes. Il publie 6 cartes: la feuille de la Tour de Chassiron (1886), la feuille de La Rochelle (1891), la feuille de Rochefort (1891), la feuille de Lesparre (1891), la feuille de Fontenay-le-Comte (1892) et la feuille de Saint-Jean-d'Angély (1893). Elles sont complétées par plusieurs notices publiées dans le bulletin de la carte géologique de France.

D'autres géologues levèrent les cartes complémentaires des précédentes ; ainsi la feuille de Saintes est levée par Léon Pervinquière (1873-1913), celles de Jonzac et Angoulême par Albert Durand de Grossouvre (1849-1922), ingénieur en chef des mines, connu comme un spécialiste du Crétacé, et celle de Confolens par Jules Welsch (1858-1929), professeur à l'université de Poitiers qui s'intéresse surtout au Bassin parisien, mais qui prête tout de même quelque attention du côté du littoral. On lui doit une étude intéressante des formations récentes du marais Poitevin qui reste encore une référence.

7. Synthèses géologiques régionales et tectonique

Avec l'avancée des cartes géologiques à 1/80 000 de la région, il est possible de mieux visualiser l'ensemble des formations et de voir apparaitre leurs structures. Parmi les géologues s'étant attardés sur la partie septentrionale du Bassin aquitain, Philippe Glangeaud (1866-1930) a consacré sa thèse à l'étude des formations jurassiques de la bordure du plateau central (Massif central) et a tout particulièrement sévi dans l'Angoumois et le Périgord. En 1895, dans son mémoire sur le Jurassique de l'Ouest du plateau central, il propose une compilation de toutes les données géologiques disponibles sur ces formations depuis la côte atlantique jusqu'au Quercy. Cet ouvrage de référence insiste sur les ressemblances des dépôts jurassiques des Bassins parisien et aquitain, ce qui confirme leur appartenance à une même « province septentrionale » caractérisée par un contenu faunistique très spécifique et différent de celui de la « province méridionale ».

En 1899, ce même auteur, dans un mémoire intitulé Étude sur le plissement du Crétacé du Bassin de l'Aquitaine, esquisse le premier schéma structural moderne du Bassin aquitain (Fig. 6) et met en évidence les différences fondamentales entre la partie septentrionale et méridionale. Les plissements jurassiques et crétacés ont tous une direction générale NO-SE correspondant à une succession d'anticlinaux et synclinaux parfois faillés. Pour Glangeaud, cette tectonique n'a rien à voir avec un hypothétique « effondrement », mais serait plutôt la conséquence d'un « refoulement » suivi de « plissements » expliquant l'harmonie générale de ces formations de la partie septentrionale du Bassin aquitain. La partie méridionale de ce bassin enregistre les soubresauts des Pyrénées.

Par la suite, apparaissent des synthèses stratigraphiques, cartographiques avec les cartes à 1/320 000e, et tectoniques. Le Bulletin du Service de la Carte géologique de France joue pleinement son rôle car on y retrouve l'essentiel des informations et interprétations géologiques nouvelles.

En 1901 le mémoire d'Albert Durand de Grossouvre sur la Recherche sur la craie supérieure est une compilation sur la stratigraphie puis la paléontologie de cette série. Cette synthèse est également une bonne étude critique qui permet de faire la part des résultats pérennes caractérisant l'ensemble des caractéristiques des différents étages du Crétacé supérieur.

En 1905, Jules Welsch publie la carte au 320 000e de La Rochelle qu'il accompagne de deux notes dans le Bulletin du Service de la Carte géologique de France (1905, 1905). Dans ce cadre, il fait plusieurs révisions des cartes au 80 000e notamment la feuille de La Rochelle et celle de Saint-Jean-d'Angély (1909) avec de notes complémentaires. Il s'intéresse particulièrement à la tectonique qui n'était pas la priorité des premiers géologues ayant levé ces carte, et dit « rechercher les failles et ondulations des assises du jurassique supérieur qui occupent la majeure partie de ces feuilles ».


Fig. 6. Carte structurale schématique de Glangeaud

Le début du XXe siècle voit plusieurs notes concernant les révisions des cartes géologiques à 1/80 000 mais peu de nouveautés dans la compréhension générale de cette région. Il faut tout de même souligner un regain d'intérêt pour la tectonique qui permet de mieux comprendre les différentes phases au cours des périodes depuis le Jurassique jusqu'au Tertiaire. En 1953, dans un article sur La structure géologique de l'Aunis, Gérard Waterlot et Jean Polvêche présentent une synthèse des accidents tectoniques ayant affecté l'Aunis au cours de deux orogenèses ; ils décrivent la faille de Dolus qui traverse l'île d'Oléron du NW au SE et représente une structure active évoquée par la suite lors de séismes importants comme celui de 1972. Leur article est également accompagné d'une carte (Fig .7) fort intéressante pour illustrer la stratigraphie et la structure de cette région.

Conclusion

Nous sommes au terme de cette histoire débutée au XVIe siècle et qui voit son terme au milieu du XXe siècle. Nous avons suivi l'évolution des connaissances géologiques depuis les premières tentatives de stratigraphie basées d'abord sur les faciès lithologiques, ensuite sur la paléontologie. Celle-ci, par sa richesse, permettra de proposer plusieurs stratotypes, notamment dans le Crétacé supérieur. Toutes ces informations se retrouvent dans la réalisation des cartes géologiques départementales. La deuxième partie du XIXe siècle voit apparaitre un lever de terrain beaucoup plus précis grâce en partie aux tranchées effectuées lors du tracé des voies de chemin de fer. Ce travail servira aux géologues chargés de réaliser les cartes au 80 000e. Le début du XXe siècle est marqué à la fois par le souci des synthèses géologiques régionales au travers des cartes au 320 000e et leurs notices, mais également par la mise en évidence des activités tectoniques au cours du Jurassique, du Crétacé et du Tertiaire et de leur conséquences sur la structure de la région.

Par la suite, l'ensemble de la France va donner lieu au lever des cartes géologiques au 50 000e qui affinent les subdivisions litho-stratigraphiques, précisent les faciès et leurs contenus faunistiques mais ne modifient pas fondamentalement les connaissances acquises au cours de l'exploration géologique que nous avons tenté de relater.



Fig. 7. Carte structurale de l'Aunis

Bibliographie

ANNEXE

1. Extraits de la lettre adressée en août 1849 par William Manès au conseil général de la Charente-Maritime en accompagnement des cartes de Cassini sur lesquelles il a désigné par des couleurs la nature des terrains des arrondissements de La Rochelle et de Marennes.

1° Sur la carte de La Rochelle les terrains d'alluvions sont indiqués en blanc :

2° Sur la carte de Saintes : 3° On voit sur les cartes des îles de Ré et d'OIéron que :

2. Réponse de Fleuriau de Bellevue à Monsieur W. Manès, ingénieur en chef des Mines à Bordeaux (La Rochelle, 17 septembre 1849).

Monsieur,

Aussitôt que votre lettre du 25 Août m'est parvenue je m'empressai de prier M. le Préfet de ne pas vous renvoyer les cartes géologiques que vous lui aviez adressées pour les présenter au conseil général sans me les avoir communiquées ainsi que vous avez voulu nous y autoriser. C'est ce qu'il a fait et j'ai maintenant ces cartes, chez moi, où nous les avons examinées M. d'Orbigny, Vivier et moi.

Nous avons vu avec un vif intérêt avec quelle facilité vous avez exprimé les principales masses des formations, mais il se trouve, dans les limites un si grand nombre de redressements que nous regardons comme indispensables à faire que je n'ai pas le courage d'entreprendre de vous les énumérer par correspondance. Une heure ou deux suffiraient pour les discuter avec vous et vous en convaincre, si vous veniez ici ; les échantillons des roches et des fossiles du département que nous recueillons depuis trente ans, vous en donneront la preuve, nous avons aussi d'autres observations à vous soumettre.

Vous nous avez dit M. que vous comptiez venir nous voir au mois d'octobre [Manque une page ou deux ?]

Réalisez ce projet dès que vous le pourrez, vous nous ferez un très grand plaisir et je serais enchanté que vous vouliez bien accepter sans façon un lit chez moi, pour mettre la dernière main au beau travail que vous avez entrepris, et venez passer plusieurs jours, s'il est nécessaire, acceptez je vous en prie ma proposition loin de me gêner, vous me procureriez une distraction qui me serait très agréable.

Je garde donc vos cartes jusqu'à votre réponse et ce ne serait pas sans regret que j'apprendrais que vous en demandez le renvoi dès à présent à moins que vous ayez l'intention de les rapporterez quand vous viendrez ici.

M. d'Orbigny, qui me charge de le rappeler à votre souvenir, a bien reçu votre troisième caisse d'échantillons et les a déposés à notre Musée, pour les tenir à votre disposition.

Je vous prie Monsieur, de présenter mes hommages à madame Manès et d'agréer l'assurance des sentiments très distingués

Fleuriau Bellevue

3. Réponse de Manès adressée à Fleuriau (Bordeaux ce 19 septembre 1849).

Monsieur,

La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire contient au sujet des limites de terrains, tracées sur les cartes que j'ai envoyées à la Préfecture, des réflexions qui doivent me faire penser qu'elles exigent que de nombreuses et importantes modifications y soient faites. En y réfléchissant je ne vois cependant que la partie de île d'OIéron dans laquelle je me suis beaucoup écarté des idées reçues. J'ai fait ce changement, non pour me différencier que je détruisais ainsi la correspondance qui a été signalée avec les collines du continent dont cette île semble le prolongement, mais parce qu'il m'a paru y avoir identité pour ainsi dire parfaite entre les oolites du Château et celles de St Pierre, St Georges et St Denis. Ai-je bien ou mal observé, c'est ce dont je vous ferai prochainement juge. Je ne devrai pas venir à La Rochelle avant le printemps mais le désir de m'entretenir avec vous sur les rectifications que vous jugez utiles, me décide à ne pas laisser passer le mois d'octobre sans avoir l'avantage de vous voir. Veuillez, Monsieur, garder mes fautes, jusque là et recevoir, avec mes remerciements pour vos offres d'hospitalité, l'assurance des sentiments les plus respectueux de votre dévoué

W. Manès

4. Observations de la Société des Sciences naturelles de la Rochelle au sujet des cartes géologiques des arrondissements de la Rochelle et de Marennes présentés au conseil général par M. Manès en Septembre 1849 (La Rochelle le 15 octobre 1849).

Monsieur,

Vous avez bien voulu communiquer à notre société des sciences naturelles, vos cartes géologiques des arrondissements de La Rochelle et de Marennes afin de recueillir ses observations à ce sujet.

La Société m'a chargé de vous remercier de cette communication, ainsi que des nombreux échantillons que vous lui avez envoyés à l'appui de cet important travail. Elle a vu, dans ces cartes, avec un vif intérêt, les dispositions des formations géologiques de ces deux arrondissements et en a remarqué plusieurs dont les limites ne lui étaient pas encore suffisamment connues et que vous avez clairement déterminées.

Cependant, quelques omissions et rectifications ont du nécessairement vous échapper dans cette grande entreprise, elle va donc soumettre à votre appréciation les observations suivantes.

Article 1er : Arrondissement de La Rochelle

1° On regrette de ne pas voir la lisière de la Vendée au Nord de cet arrondissement, l'indication de l'oolite inférieure, qui existe aux Iles d'Elle, de Maillé et de Danvix. Cette amorce serait utile, non seulement sous le rapport scientifique mais aussi sous le rapport industriel, puisqu'on tire de ces îles des pierres pour les constructions qu'on fait dans la Charente inférieure, préférablement à celles du département.

2° On regrette aussi de ne pas trouver ici la distinction qui existe sur la carte géologique de France, entre l'oolite inférieure et supérieure par des traits horizontaux et verticaux. Ils seraient d'autant plus nécessaires que la gravure de la carte de Cassini est chargée de beaucoup d'objets étrangers à la géologie et que tout ce qui a trait à cette dernière doit essentiellement ressortir ici pour fixer l'attention.

3° La faible teinte en bleu qui désigne ici la formation de l'oolite supérieure disparaitra nécessairement un jour, tandis que les teintes plus fortes des lignes verticales résisteraient bien plus longtemps.

4° En général, nous croyons très utile que chaque teinte soit marquée par une lettre majuscule un peu grosse, comme elles le sont dans la carte de France. C'est un moyen certain d'éviter toute équivoque. Nous croyons ces lettres très nécessaires.

5° La ligne de démarcation entre l'oolite moyenne et le Coral rag, n'étant que ponctuée en noir est presque inaperçue. Nous demandons qu'elle soit désignée par des points rouges plus gros que les noirs qui se confondent avec le tracé de la carte.

6° Cette même ligne de démarcation vers le N. O. à peu près sur la direction de la grande route de la Rochelle à Surgères, pour y comprendre des parties de la Jarne, Aytré et la pointe des minimes, qui, par leurs nombreux fossiles appartiennent au Coral rag. La pointe des minimes renferme beaucoup d'encrines et d'oursins.

7° Vous désignez en couleur de terre Sienne quelques parties de l'oolite moyenne et vous les considérez comme des terrains tertiaires ; vous les caractérisez, sans doute, comme tertiaire supérieur, ou plutôt comme diluvien, car ce terrain qui est entièrement formé par une terre labourable calcaro-argileuse de couleur fauve et qui porte ici le nom de Varenne. est tellement répandu sur le roc de l'oolite moyenne et supérieure, qu'il en couvre au moins les deux cinquièmes.

8° M. d'Orbigny a trouvé sur l'extrémité nord du continent, à Esnandes, un calcaire grisâtre contenant de petites Bellemnite (Hastée) et un peu de fer oligiste en cristaux hexagones. Il a trouvé également cette même formation à l'île de Charron, il la considère comme appartenant à l'oxfordien inférieur : il y a donc lieu de la désigner par sa couleur.

9° Vous avez oublié de colorer en bleu sur la carte de l'île de Ré, l'extrémité du continent ou se trouve Laleu et la Repentie.

Ile de Ré

10° Nous réclamons comme nous l'avons fait pour la frontière du département au Nord du continent, la désignation par une couleur de la côte Sud de la Vendée. Savoir : des rochers de la pointe de l'aiguillon, de l'embouchure du Lay et de la tranche, sur les bords du pertuis Breton, vis-à-vis l'île de Ré.

11° Nous ne pouvons admettre le contraste que vous indiquez par votre lettre du 24 août, entre la direction des formations à l'île de Ré et à l'île d'OIéron. Ces formations suivent parallèlement, de part et d'autre, la direction normale géologique de l'ensemble du département, C'est-à-dire du SE au NO, les divers étages de roches ne nous paraissent point disposées transversalement à l'île de Ré, comme vous le dites. On voit seulement que l'extrémité de l'île vers l'ouest, appartient pour la plus grande partie à l'oolite supérieure ou Kimmeridge, ainsi que la longue étendue des rochers des Baleines.

12° Les fossiles de l'île de Loix, exigent une explication sur l'origine de cette formation. M. d'Orbigny pense qu'ils appartiennent à l'oxfordien inférieur.

13° Vous laissez en teinte blanche tous les terrains d'alluvion, mais nous espérons que vous ne comprendrez pas sous cette même teinte comme l'ont fait les auteurs de la carte géologique de France, le pays bas compris entre Jarnac et Matha. Terrains marneux sous lequel on trouve de tous côtés des couches de gypse et qui diffère ainsi totalement des alluvions modernes, lesquelles jouent un rôle très important dans la Charente inférieure et dans la Vendée. En effet, l'alluvion marine moderne qui a constitué nos marais et qui porte le nom de terre de Bris, occupe près de cent lieux carrés dans ces deux départements et se montre ça et là le long des côtes de l'océan. Cette argile marine de couleur grise ou bleuâtre quand elle est humide, diffère par sa nature et par son origine, autant des alluvions fluviales que des alluvions anté diluviennes. Elle nous parait ainsi mériter une mention spéciale et conséquemment, une couleur distincte sur les cartes géologiques.

Elle a des droits à cette distinction par sa presque homogénéité, constatée par diverse analyses (que nous donnons ci-après). Par l'action que le feu lui fait éprouver qui la rend propre à former des briques, des tuiles et de la pouzzolane ; par l'étendue très notable qu'elle occupe dans toutes les vallées, au dessus du niveau des hautes mer ; par l'homogénéité de ses couches, qui s'élèvent uniformément jusqu'à la hauteur des pleines mers de mortes eaux ; par l'épaisseur de ces mêmes couches qu'on a reconnu de 26 mètres à la porte de la Rochelle et de 35 mètres près de Brouage. Enfin, par son origine, qui remonte nécessairement aux premiers jours qui succédèrent au dernier cataclysme qui à mis nos continents à sec, dès cette époque la mer commence à combler les parties des golfes et des vallées les plus éloignées du littoral et elle s'est retirée ensuite en laissant des atterrissements jusqu'à nos côtes actuelles, où elle en forme chaque jour de semblables.
Ce n'est qu'accidentellement et seulement sur quelques parties de la lisière des autres terres que le bris de nos marais se trouve mêlé avec elles.
Il me parait d'autant plus convenable de distinguer cette terre de bris de toute autre alluvion, que nous voyons clairement comment elle se forme. J'ai dit à l'article de l'origine des atterrissements et des dunes (page 95 de la statistique) ce que j'avais observé à cet égard : je vous engage, Monsieur à voir cet article qui a trop d'étendue pour être transcrit ici.
Cependant, je crois devoir en citer encore l'article triage, opération très remarquable que la mer fait des débris que la violence des flots arrache sans cesse aux nombreuses falaises qui existent depuis Brest jusqu'à la Gironde. Ces débris ainsi que les terres et les sables charriés par la Loire, nous sont ramenés par le courant qui règne le long de nos côtes, dans cette même direction du NO au SE.
Les eaux de mer après avoir broyé les débris de ces roches, dissolvent une partie des terres qui en résultent, et nous apportent toutes celles qu'elles peuvent tenir en suspension ; réduites alors à la plus grande ternité et rendant les eaux troubles, elles sont apportées par le flot ; elles se précipitent chaque jour au moment de l'étale de la mer (uniformément et sans aucun mélange de sable ni de galets) dans les golfes et les anfractuosités des côtes latérales à ce courant. Telle est l'origine des couches de Bris qui constituant nos marais dans lesquels on ne trouve d'autres corps étrangers que quelques coquillages modernes pareils à ceux qui naissent sur nos côtes. Quant aux sables étant plus pesants que ces terres ils tombent au fond de l'eau, mais ils sont charriés par le même courant et ensuite laissés par la lame de fond sur la côte ferme jusqu'à la hauteur des grandes marées; puis pendant les marées plus basses celles des mortes eaux le soleil les dessèche et aussitôt après les vents s'en emparent et les élèvent successivement en forme de dunes jusqu'à des hauteurs considérables.
Cette terre de Bris est donc le résultat d'un triage très remarquable des éléments des différentes roches elle forme des couches d'une grande épaisseur, qui tendent chaque jour à combler les golfes et à relier des îles aux continents ; elle constitue la base de tous les marais salants des côtes de l'ouest ; ces couches sont ainsi une assez notable partie de l'écorce du globe, pour que sa formation doive être distinguée comme celle des roches par un nom spécial ; le nom de Bris qu'on donne à cette terre, depuis un temps immémorial, dans cette vaste contrée, doit donc être conservé à ces couches pour désigner leur formation géologique.
Enfin, cette terre est souvent très fertile et sous ce rapport elle ne doit pas être passée sous silence dans une carte géologique départementale, qui doit bientôt servir de base à une carte agricole.
Voici les analyses qu'on a faites de trois échantillons de cette terre prise au dessous de la couche végétale, dans le bassin de la Sèvre ; le premier à 7 lieues du littoral, le 2ème à 3 lieues, le 3ème dans un nouveau dessèchement dont les digues touchent à la mer.
1° Échantillon pris dans le marais deBoëre à 7 lieues de la côte ; analysé par M. Pouillade et Bouscasse, à la Rochelle, contient : 2° Échantillon pris dans le marais de St Michel, à 3 lieues de la côte ; analysé par M. Berthier membre de l'Institut :
3° Échantillon pris dans le dessèchement de Charron, sur le bord de côte ; analysé par M Hubert pharmacien à la Rochelle : On voit ici que la silice, l'alumine et le fer réduit ne diffèrent, dans ces trois analyses que de 5 à 8 millièmes et que les quantités de chaux ne diffèrent entre elles que d'un centième environ, la terre de Bris est donc composée presque partout des mêmes éléments.

Article 2 : Arrondissement de Marennes

Nous avons peu d'observations sur cet arrondissement.

1° Nous répéterons pour celui-ci, comme pour toute la circonférence du département, la demande de colorer les teintes de la lisière du département voisin à commencer ici par la pointe du Verdon et la tour de Cordouan.

2° Il serait à désirer qu'on désignât par un signe quelconque les principales carrières de pierres de taille dont l'exploitation est considérable et qui s'exportent bien au-delà de notre département.

Et même certains minéraux en terres remarquables accidentels, dont l'industrie tire sur un parti avantageux. Je citerai l'argile blanche de Brou dont on a construit des pots de verrerie, et dont j'ai trouvé la pareille au hameau de Touchelonge à 5 kilomètres au NE de Marennes. Ces deux amas d'argile se trouvent exactement placés dans le grès vert, suivant la ligne normale géologique de département, en sorte qu'on en trouverait probablement d'autres dans cette direction.

3° Ces énormes poudingues siliceux qu'on trouve sur les coteaux de la rive gauche de la Seudre, reposant sur une craie tendre ne méritent ils pas aussi d'être signalés ? D'où viennent-ils ?

Ile d'Oléron

1° votre carte nous fait connaître ici plusieurs formations importantes dont nous sommes loin de constater l'exactitude ; mais nous avons recueilli à la pointe de Chassiron des échantillons de roches et des fossiles que nous avons à vous soumettre pour nous fixer sur la nature de ce terrain.

2° nous avons remarqué aussi que vous avez désigné la bande d'oolite supérieure par une teinte de bleu clair beaucoup plus forte sur la carte n° 134 que sur celle du n° 133, et cependant c'est du même sol dont il s'agit sur les deux cartes.

3° La carte géologique du département maritime nous parait devoir désigner les principales profondeurs de la mer, tant à l'entrée des ports que dans les rades. Il doit suffire pour cela d'y transcrire quelques chiffres des cartes marines de M. Beautemps Beaupré, ceux surtout qui font reconnaître le continuation de la vallée de la Charente sous les eaux de la mer.

4° L'indication des principales hauteurs des collines du département au dessus du niveau de la mer est également nécessaire. Les cartes dressées par les ingénieurs de l'état major de la guerre donnent tous moyens de les connaître.

Tels sont Monsieur, les observations que mes collègues et moi vous prions d'examiner désirant qu'elles puissent servir à votre très intéressante entreprise.

Veuillez agréer l'assurance des sentiments très distingués de votre très obéissant serviteur

Le président Fleuriau de Bellevue