TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Première série -
(1981)

Jean VOGT
Problèmes de méthode en Sismicité historique

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 18 mars 1981)

Avertissement. Ce texte se borne à résumer une communication présentée le 18 mars 1981 devant le Comité français d'Histoire de la Géologie. Il est en particulier fait abstraction de nombreux exemples concrets. En outre, certains développements ne sont mentionnés que pour mémoire.

1- Introduction. D'une manière significative, le conférencier n'est pas sismologue. Venu de la géomorphologie, c'est de fil en aiguille qu'il s'est intéressé à la sismicité historique, en passant par la Géologie du Quaternaire et la Néotectonique. Pour des raisons personnelles, il était préalablement familiarisé avec les sources et les historiens. Le projet sismo-tectonique et ses prolongements (CEA, EDF, SCSIN, BRGM) ont permis de mettre en valeur cette convergence fortuite pour assurer une révision de la séismicité historique de la France, d'une complexité imprévisible. En outre, un tel apport a été entrepris en d'autres circonstances pour d'autres pays.

SCSIN : Service central de sûreté des installations nucléaires (Ministère de l'Industrie).

2- Généralités. La séismicité historique est parfois opposée à la sismologie instrumentale. L'expression même de sismicité historique évoque parfois un exercice littéraire, antérieur à la sismicité instrumentale. Or, cette dernière apparaît a des moments différents, avec une fiabilité différente, de sorte que "l'histoire" peut aller... jusqu'à nos jours ! A vrai dire, c'est un faux problème. Seule la confrontation des deux démarches permet de disposer d'une vue d'ensemble de la sismicité, compte tenu des exigences du génie sismique. D'une part, seule une sismicité historique exigeante et large, ouverte en particulier sur la néotectonique, donne des assises solides et du recul à une sismologie instrumentale caractérisée par des progrès fulgurants, en lui évitant d'être en porte-à-faux. D'autre part, cette dernière permet d'éclairer la sismicité ancienne par des raisonnements par analogie qu'il convient cependant de manier avec prudence, en se défiant des apparences de rigueur que présentent parfois les démarches trop étroitement quantitatives, liées a la recherche de lois.

Ce besoin d'une incessante confrontation a souvent été perdu de vue. En témoignent l'état d'abandon de la sismicité historique de nombreux pays, faute d'une révision critique et d'un enrichissement des catalogues classiques, et le dédain qui se manifeste parfois pour les enquêtes macro-sismiques sur les événements contemporains, avec des lacunes irrémédiables.

Il est vrai que les catalogues classiques sont parfois utilisés tels quels, sans esprit critique, comme si leurs auteurs avaient travaillé en fonction de nos besoins, comme s'ils avaient disposé de nos moyens de recherche. Bien plus, ces catalogues sont parfois informatisés tels quels, de sorte qu'ils sont figés, avec leurs insuffisances, erreurs et lacunes, en donnant, par cette consécration technique hâtive, une illusion de fiabilité. (Ici sont évoqués et discutés chronologiquement les principaux catalogues).

D'autre part, la sismicité historique inspire parfois une certaine appréhension : peur de la recherche de sources mystérieuses, peur de leur exégèse, peur de l'appréciation de leur fiabilités peur de leur interprétation. En fait, la sismologie instrumentale connaît elle aussi, à son échelle propre, de tels problèmes, illustrés par les difficultés de la recherche d'anciens enregistrements et de leur interprétation, compte tenu de l'évolution fulgurante des techniques.

A vrai dire, les problèmes de méthode sont les mêmes dans les deux domaines, en dépît des apparences, dès lors que les soucis de fiabilité, de rigueur, de confrontation et d'ouverture servent de communs dénominateurs, dès lors que se produit une prise de conscience des dangers d'un "splendide isolement" et d'une fuite en avant.

Depuis plusieurs années, la sismicité historique connaît cependant une renaissance, pour des raisons à la fois scientifiques et techniques. Cette renaissance est illustrée en particulier par les travaux du Professeur AMBRASEYS. De plus en plus, elle est à l'ordre du jour en raison du succès de la théorie des "gaps", l'une des bases des essais de prévision que seule une large et bonne connaissance de l'arrière-plan historique permet de mettre en oeuvre. Dans ce contexte, la connaissance de scénarios d'anciennes crises sismiques est précieuse. Il se trouve que l'apport de la sismicité historique est souvent très précis, par exemple pour la connaissance des répliques.

3- Les sources. Il est fait feu de tout bois :

4- Les Résultats. Tous ces apports se complètent, se recoupent et s'ordonnent en multipliant les surprises ;

5- Le Bilan. Par la variété des sources - et c'est à dessein que les nombreux exemples cités soulignent cette variété -, par la difficulté d'accès que certains présentent à première vue, par la complexité des problèmes d'exégèse, la sismicité historique peut certes apparaître à certains, en raison d'une vision trop étroitement scientifique, comme un fouillis inextricable, tributaire de trouvailles ou, au contraire, d'un travail de Sisyphe, sans commune mesure avec les résultats scientifiques et pratiques qu'elle serait susceptible d'apporter.

La réalité est différente car ces données disparates et innombrables s'organisent focalement pour former des ensembles cohérents, avec l'aide de l'ordinateur, adapté au contexte (degrés de fiabilité des données, etc...). La tâche est certes lourde mais la connaissance de la structure des archives permet de travailler rapidement, à condition de faire effort d'organisation. De proche en proche, le "ratissage" des sources, indépendamment de la solution de problèmes spécifiques, limite la part des "trouvailles", de sorte que la sismicité historique ne relève pas de la recherche d'une aiguille dans une botte de foin.

Aussi sa "rentabilité" est-elle notable, qu'il s'agisse d'implications proprement sismologiques, de discussions de "risque sismique", au sens probabiliste du terme, de tentations de précision ou de l'arrière-plan de problèmes de génie sismique.

En conclusion, la sismicité historique constitue donc un magnifique exemple de véritable interdisciplinarité.

6- References. On consultera avec intérêt les titres suivants :

    J. VOGT (1977) - Archives et géologie appliquée. Séismes, glissements, éboulements, érosion anthropique. Gazette des Archives, Paris, N.S., n° 98, p. 131-136.

    J. VOGT (1977) - L'apport des archives à la connaissance géologique de Vaucluse : glissements, éboulements, séismes. Etudes vauclusiennes, Avignon, n° XVIII, p. 1-8.

    J. VOGT et coll. (1979) - Les tremblements de terre en France. Mém. B.R.G.M., Orléans, n° 96, 220 p.

    B. CADIOT, J. DELAUNAY, M. HUMBERT & J. VOGT (1979) - Inventaire et étude des risques géologiques en France au Service géologique national. L'Espace géographique, Paris, n° 1, p. 49-56.

    A. GAUTHIER, F, HARÏLLER & J. VOGT (1980) - La Sismicité de la Corse. Bull. Soc. Sci. hist. natur. Corse, n° 637, p. 78-97.