TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XVII (2003)
Jean GAUDANT
Un observateur méconnu des volcans d'Auvergne : l'abbé Paul-François Lacoste, de Plaisance (1755-1826)

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (réunion extraordinaire du 20 juin 2003 en Auvergne)

Résumé.
L'abbé Paul-François Lacoste (1755-1826), né à Plaisance, près de Toulouse, est un naturaliste aujourd'hui presque oublié qui, il y a deux siècles, enseigna pendant une vingtaine d'années l'histoire naturelle à Clermont-Ferrand et fut le directeur du jardin botanique de cette ville. Il s'intéressa également aux volcans d'Auvergne auxquels il consacra deux ouvrages. Disciple d'Eugène Patrin (1742-1825), il adhéra, non sans quelque réticence, aux idées parfois extravagantes de celui-ci sur les volcans. Son œuvre paraît bien terne, comparée à celle d'un autre naturaliste clermontois, le comte de Montlosier, qui fit preuve d'une grande perspicacité en distinguant dans sa province natale plusieurs catégories de volcans.

Mots clés : volcanisme - théorie - Auvergne - chimie - XIXe siècle.

Abstract.
Paul-François Lacoste (1755-1826) was a priest who was born at Plaisance, near Toulouse. Presently almost forgotten, he has been teaching natural history in Clermont-Ferrand for twenty years and was additionally the director of the botanical garden of this city. He took also interest in the volcanoes of this province and published two books about them. As a follower of Eugène Patrin (1742-1825), he adhered not unreservedly to some of his somewhat extravagant ideas concerning volcanoes. Lacoste's works appear rather weak when compared to those of the count of Montlosier, another naturalist from Clermont-Ferrand, who gave proof of his shrewdness in distinguishing in his native province several categories of volcanoes.

Keys words : volcanism - theory - Auvergne - chemistry - XIXth century.

 

 

I. L'itinéraire de Paul-François de Lacoste

Paul-François Lacoste naquit à Plaisance-du-Touch, près de Toulouse (Haute-Garonne) le 4 février 1755. D'abord vicaire d'une paroisse de Toulouse, il fut ensuite nommé professeur de morale. Ayant accepté la constitution civile du clergé, il voyagea en Auvergne pendant la période révolutionnaire. Nommé en 1798 professeur d'histoire naturelle à l'Ecole centrale du Puy-de-Dôme, il fut également chargé d'administrer le jardin botanique de Clermont-Ferrand. Après la fermeture en 1804 de l'Ecole centrale, la ville de Clermont créa pour lui l’année suivante une chaire municipale d’histoire naturelle. Lors de sa création en 1808, il fut affecté au lycée de cette ville, qui prit ensuite le nom de collège royal sous la Restauration, cela tout en dispensant son cours municipal. Mettant à profit les vacances estivales, il se familiarisa avec l'agriculture de montagne, avant de s'intéresser aux volcans d'Auvergne. C'est alors qu'il publia coup sur coup ses Observations sur les volcans d'Auvergne (An XI [1803]) et ses Lettres minéralogiques et géologiques sur les volcans d'Auvergne (1805). A la fin de sa vie, à la demande du Conseil général, il rédigea encore des Observations sur les travaux qui doivent être faits pour la recherche des objets d'antiquité dans le département du Puy-de-Dôme (1824).

 

Promu chanoine honoraire peu avant sa mort, Paul-François Lacoste est décédé à Clermont-Ferrand le 18 avril 18261.

 

 

II. Les Observations sur les volcans de l'Auvergne (1803)

 

Les Observations sur les volcans de l'Auvergne furent rédigées à l'issue d'une « course minéralogique » faite l'année précédente (1802). L'auteur tente d'y répondre successivement à une série d'interrogations. Lorsqu'il aborde la question de la cause de la formation des volcans d'Auvergne, il apparaît bientôt comme un disciple d'un savant français aujourd'hui bien oublié, Eugène Patrin (1742-1825), auteur d'un mémoire intitulé Recherches sur les volcans d'après les principes de la chimie pneumatique, publié dans le Journal de Physique (1800), et de l'article « Volcan » de la première édition du Nouveau Dictionnaire d'Histoire naturelle appliquée aux Arts (1804).

 

A la fin de son premier mémoire, Eugène Patrin résumait ainsi sa pensée : « tous les volcans en activité, sans exception, sont baignés par la mer, et ne se trouvent que dans les parages où le sel marin est le plus abondant ». Il considérait en outre que « les couches schisteuses primitives sont le laboratoire où se préparent les matériaux volcaniques, par une circulation continuelle de divers fluides ». Il précisait enfin que « les paroxismes volcaniques sont proportionnés pour la force et la durée, à l'étendue des couches schisteuses où se sont accumulés les fluides volcaniques » qu'il énumère ainsi :

l'acide muriatique2 […] »;

l'oxygène de l'atmosphère […] »;

le gaz carbonique, que l'eau absorbe de l'atmosphère […] »;

l'hydrogène provenant de la décomposition de l'eau, dont une partie, jointe à l'acide carbonique, forme de l'huile qui devient pétrole par sa combinaison avec l'acide sulfurique […] »;

5° le fluide électrique attiré de l'atmosphère par les métaux contenus dans les schistes […] »;

Le fluide métallifère : il forme le fer dans les laves […] »;

Enfin le gaz azote : c’est à ce gaz que paraît due la formation des masses de carbonate calcaire vomies par le Vésuve […] » [p. 266-267].

 

On ne peut que s'étonner aujourd'hui que l'abbé Lacoste ait pu s'ébahir devant une telle conception si empreinte de notions qui paraissent défier les principes les plus élémentaires de la chimie :

 

« S'il est un système ingénieux et savant, c'est celui qui fait résulter les phénomènes des volcans des diverses combinaisons de différentes substances gazeuses ; c'est celui de M. Patrin : ce système est une belle conception du génie et prouve combien est vaste l'étendue des connaissances de l'auteur » [p. 37].

 

Quelques lignes plus loin, notre auteur concède néanmoins : « Cependant, j'ai peine à me persuader que ce système soit celui de la nature » [Ibid.].

 

L'abbé Lacoste a été manifestement convaincu par l'argument de Patrin relatif à l'intervention du pétrole dans les phénomènes volcaniques car il envisage le rôle de « substances huileuses » qui se seraient « infiltrées dans les fentes des rochers » [p. 54], avant d'écrire :

 

« Ce sont des matières inflammables amoncelées dans les cavités de la terre qui me paraissent avoir dû particulièrement contribuer à l'inflammation des volcans d'Auvergne, et leur avoir servi d'aliment » [Ibid.].

 

Cela lui paraît d'autant plus évident que :

 

« Tout ce pays a été et est encore, pour ainsi dire, inondé de bitume : toutes les roches calcaires, toutes les roches tuffeuses en sont plus ou moins abondamment imprégnées ; il suinte de toutes leurs parties. N'est-il pas vraisemblable que cette substance bitumineuse si abondamment répandue dans ce pays, n'a pas été étrangère à l'inflammation des volcans qui y ont brûlé ? » [p. 55].

 

Cette hypothèse, déjà avancée par Guettard un demi-siècle plus tôt (1756, p. 53) est en effet corroborée par le fait que :

 

« L'inflammation des volcans est postérieure à la formation des matières bitumineuses : des roches calcaires qui sont entièrement imprégnées de ces substances sont recouvertes à leur cime de produits volcaniques. Cette postériorité d'existence des volcans à celle des matières bitumineuses me paraît encore une forte présomption que celles-ci ont du moins concouru à les produire » [p. 56].

 

Envisageant ensuite la question de l'époque à laquelle ont brûlé les volcans d'Auvergne, l'abbé Lacoste affirme :

 

« Tout annonce que la déflagration de ces volcans a été postérieure à l'irruption des eaux de la mer dans cette partie du globe » [p. 105].

 

Quant à la durée pendant laquelle ces volcans ont brûlé, à son avis :

 

« Tout annonce donc que la durée de la déflagration de ces volcans n'a pas été bien longue : cette prompte extinction n'a même rien qui étonne celui qui avec un esprit libre de préjugés et sans prévention pour aucun systême, réfléchit sur ce beau phénomène de la nature. Personne maintenant n'ignore que ce sont les eaux de la mer qui alimentent les volcans : et ce qui ne laisse aucun doute sur cette vérité ; c'est que tous les volcans qui brûlent sont sur les bords des mers... » [p. 111].

 

En effet,

 

« que les mers changent de place ; et vous les verrez bientôt s'éteindre : le principe de leur vie cessant, il faut bien qu'ils cessent d'être. La cause n'existant plus, l'effet ne peut plus exister. C'est ce qui est arrivé aux volcans d'Auvergne : les mers font une irruption dans ce pays ; des volcans s'allument ; elles se retirent ; ils s'éteignent. Ils brûleraient sans doute encore, si les mers couvraient encore ce pays » [p. 112].

 

L'auteur se demande alors si ces volcans n'ont pas été sous-marins. Mais, note-t-il, telle n'est pas l'opinion des naturalistes au sujet des volcans modernes dont les « coulées se sont répandues dans des vallées qui n'ont pu être creusées par les eaux fluviatiles, qu'après la retraite des eaux de la mer » [p. 181]. En revanche, leur opinion est bien différente en ce qui concerne les volcans anciens car « ils veulent que ceux-ci aient été sous-marins ». Ils fondent en effet leur opinion sur le fait que « les déjections des volcans anciens sont basaltiques » [Ibid.], ce à quoi l'abbé Lacoste objecte que c'est également le cas des déjections de volcans qui brûlent à l'air libre. En outre, ces naturalistes « s'imaginent que [les basaltes] ne peuvent affecter des formes régulières que dans les eaux de la mer » [p. 187], un argument que récuse notre auteur qui soutient que « hors de l'eau à l'abri du contact de l'air, ils affectent des formes bien plus symétriques que dans l'eau » [Ibid.].

 

Il reste encore à déterminer s'il est « à craindre que les volcans se rallument en Auvergne », une question non dénuée d'importance pour les populations locales depuis que les puys ont été reconnus comme d'anciens volcans. Sur ce point fondamental, contrairement à Guettard (1756) qui avait mis en garde « les habitans de Clermont, de Volvic et du Mont-d'or » [p. 56] contre une tranquillité mal fondée, semblable à celle qu'avaient manifestée les habitants de Catane avant l'éruption de 1536, l'abbé Lacoste se veut d'emblée rassurant puisqu'il parle de « frayeurs mal fondées » et rappelle au sujet des volcans actifs « qu'il n'en existe que sur les bords des mers » [p. 191]. Il répète que :

 

« C'est parce que la mer a fait une irruption dans ce pays, qu'il y a eu des volcans : elle s'est retirée ; ils se sont éteints. Tout porte à croire que la mer seule peut leur donner naissance, et leur fournir les alimens nécessaires pour entretenir le principe de vie ; principe qui nous est peut-être aussi inconnu que le principe de la vie des êtres organisés » [p. 191-192].

 

Ainsi peut-il conclure que « les habitants de ce pays peuvent donc être entièrement rassurés... » [p. 192], une opinion que vient encore renforcer un second argument, censé être décisif :

 

« Une autre considération qui doit encore bien rassurer les habitans de l'Auvergne contre la réinflammation des volcans, c'est que tout annonce que les matières inflammables, déposées dans les entrailles de la terre, qui avaient servi d'alimens à leurs feux, sont entièrement épuisées. S'il en existait encore, elles donneraient sans doute quelques signes de leur existence... » [p. 195].

 

Et il ne craint pas d'ajouter, pour achever de convaincre : « je ne doute nullement que [les matières inflammables] n'aient été entièrement consumées par les feux volcaniques avant leur extinction. Et pourquoi se seraient-ils éteints, s'ils avaient pu brûler encore ? » [p. 199].

 

III. Les Lettres minéralogiques et géologiques sur les volcans de l'Auvergne (1805)

 

Deux ans après la publication de ses Observations sur les volcans d'Auvergne, l'abbé Lacoste jugea nécessaire d'y ajouter un volume de Lettres minéralogiques et géologiques... traitant du même sujet, ce qui lui permit de retoucher son argumentation. C'est ainsi qu'il réexamina la question du retrait de la mer :

 

« Les volcans des monts Dôme sont les derniers qui aient brûlé en Auvergne : vous conclurez sans doute de ce fait que les eaux de la mer, en abandonnant ce pays, se sont retirées vers le nord-ouest, se sont portées par conséquent vers l'Océan. La marche des volcans a dû se modeler sur la marche des eaux de la mer. Il est à remarquer qu'en se dirigeant vers le nord-ouest, on ne trouve plus de traces de volcans, ce qui induit à croire que les eaux de la mer se sont retirées précipitamment » [Lettre III, p. 21].

 

Il souligne ensuite que les volcans des monts Dôme n'étaient pas sous-marins, « puisque leurs coulées se sont répandues dans les vallées les plus basses creusées par les eaux fluviatiles ; et qui n'ont pu être creusées par ces eaux fluviatiles que depuis la retraite des eaux de la mer » [p. 23-24]. Or, remarque-t-il, « Ces volcans offrent contre le système de M. Patrin une difficulté qui n'est pas aisée à résoudre » [p. 24]. En effet, « dans ce système la formation de laves est instantanée ; et il est impossible que les volcans s'allument loin des bords de la mer puisqu'elle est un des principaux agens de la circulation des fluides qui les produisent [...] » [Ibid.].

 

Un autre argument vient alors renforcer ses doutes : la découverte d'un os indéterminable dans une couche « argilo-ferrugineuse » sur laquelle repose le basalte à Montégu [sic]-le-Blanc, ce qui conduit notre auteur à argumenter comme suit :

 

« Si lorsque les volcans se sont allumés, l'Auvergne était habitée, comme tout l'annonce, il suit que la mer qui originellement avoit couvert tout le globe et avoit abandonné ce pays, y est venue depuis faire une irruption. Il est évident que ce n'est pas à l'origine des choses, lorsque tout le globe étoit submergé sous les eaux de la mer, que ce pays-ci a pu être habité. Ce n'est donc que depuis la première retraite des eaux de la mer que les hommes ont pu s'y établir : or, puisque les monumens de la nature attestent que la mer y est venue lorsqu'il étoit habité, on doit nécessairement conclure qu'après l'avoir abandonné originellement, elle y a fait une irruption. Les volcans sont ces monumens qui nous apprennent ce grand fait géologique [...] » [Lettre X, p. 85-86].

 

L'abbé Lacoste soulignera ultérieurement une autre difficulté engendrée par le système d'Eugène Patrin car, d'après celui-ci, « si les matières vomies par les volcans [...] avoient été puisées par eux dans les entrailles de la terre, il y existeroit donc des excavations ; et la grandeur de ces excavations étant nécessairement en rapport avec les quantités des matières rejetées par les volcans, ces matières étant immenses, les excavations seroient par conséquent immenses également : à combien de dangers ne seroient donc pas exposés les habitans des pays dans lesquels ont brûlé et brûlent encore des volcans ? » [Lettre XXXIX, p. 327].

 

Or, ajoute-t-il, « il est impossible dans les sols volcaniques de révoquer en doute l'existence des excavations dans le sein de la terre » [p. 327-328]. Il croit en effet pouvoir témoigner qu'« au Cantal, aux monts d'Or, aux monts Dôme, quand vous frappez sur sa surface, vous entendez ce coup retentir dans ses entrailles, et se prolonger au loin [...] » [p. 328].

 

Mais l'abbé Lacoste qui, à la fin de ses Observations sur les volcans d'Auvergne, avait cherché à rassurer les habitants de l'Auvergne en écartant l'éventualité que les volcans puissent un jour se réveiller, était conscient de l'inquiétude qui pourrait saisir la population à l'idée d'un effondrement possible de cavités souterraines. En effet, une quinzaine d'années plus tôt, Montlosier (1788) avait souligné le danger potentiel que représentent celles-ci :

 

« Quand on pense à la quantité de matières qui forment l'excroissance de toute la chaîne du Puy de Dome & que non-seulement toute cette chaîne, mais encore tous ces courans de lave qui ont inondé des régions entieres, sont sortis de ces concavités, l'imagination s'effraye des vides immenses sur lesquels reposent ces montagnes, ainsi que toutes les contrées qui en dépendent. Quel désastre à la première convulsion de la terre ! quels abymes dans lesquels s'engloutiront aussitôt un pays entier & tous ses habitans ! ».

 

C'est pourquoi, en esprit pragmatique, il décida opportunément de modifier son interprétation du phénomène volcanique de façon à ce que celui-ci n'implique plus la formation d'immenses excavations souterraines :

 

« Je crois sans doute que les roches primitives, modifiées par les agens volcaniques, peuvent produire et produisent réellement des laves ; mais je crois aussi que les eaux et les diverses substances gazeuses qui affluent dans le foyer des volcans, en produisent beaucoup. Ainsi, quoique les matières rejetées par les volcans soient immenses, il ne faut pas conclure de cela que les excavations le soient » [p. 332].

 

Après s'être ainsi rapproché des thèses d'Eugène Patrin, l'abbé Lacoste s'en écartera néanmoins à nouveau dans la lettre suivante, dans laquelle il affirmera que :

 

« L'objection contre le système de volcanisation que j'adopte, Monsieur, empruntée de l'immensité des produits des volcans, que M. Patrin regarde comme triomphante et que je crois avoir démontré être bien peu solide, milite beaucoup contre son système. La raison libre de tout préjugé se refuse à croire qu'elles puissent être produites par la seule condensation des substances gazeuses, comme il le veut » [Lettre XL, p. 333].

 

Il en viendra ainsi à exposer ce qu'il présente comme étant sa conception personnelle :

 

« Dans mon système, je fais concourir, pour la production des matières volcaniques, trois agens principaux, les substances terreuses, aqueuses et gazeuses : on conçoit alors comment de grandes quantités de matières peuvent être produites » [p. 334].

 

Il ajoutera toutefois un peu plus loin :

 

« Plus on médite sur les volcans, plus vivement on sent [...] que l'acide muriatique y joue le plus grand rôle. Telle est aussi l'opinion de M. Patrin » [p. 336]. Mais ce sera pour enchaîner immédiatement : « Non seulement dans son système, je ne conçois pas comment peuvent se former ces quantités immenses de matières que les volcans rejettent ; je ne conçois même pas comment peut se former une grande coulée comme celles qui existent au Cantal et aux monts d'Or [...] » [Ibid.].

 

Et il complètera peu après sa critique :

 

« M. Patrin pense que la manière dont s'alimentent les sources est la même que celle dont s'alimentent les volcans ; et que les coulées de lave se forment, comme se forment pendant l'hiver, dans les hautes montagnes, des coulées de glace. Quoique l'eau puisse être le résultat de la combinaison de l'oxigène et de l'hydrogène, et qu'il soit très-vraisemblable que la nature en combine de cette manière dans ses laboratoires, je suis cependant loin de croire qu'elle alimente les sources, en combinant des gaz. Tout dit qu'elle les produit et les nourrit, en condensant l'eau qui s'élève en vapeur » [p.338].

 

Il en arrivera enfin à ce qui lui paraît être le point le plus faible du système d’Eugène Patrin :

 

« Une autre chose que je ne conçois pas dans le système de M. Patrin, c'est qu'il puisse se former un cratère. Son mode de formation est facile à comprendre dans le système ordinaire de volcanisation : des matières projetées du sein de la terre, en s'ouvrant un passage à la surface, doivent se déverser à peu près également dans tout le pourtour de l'excavation qui a été faite, à cause de l'uniformité de résistance que l'air oppose. Mais il n'en est pas ainsi dans le système de M. Patrin : aucune explosion souterraine n'a lieu ; les laves se forment à la surface de la terre, parce qu'elles ne sont que le résultat de diverses combinaisons avec l'air des substances gazeuses, circulant dans les scissures des schistes » [p. 340].

 

 

IV. Conclusion

 

 

Tout au long de cette rapide évocation des conceptions de l'abbé Lacoste relatives aux volcans s'est dégagée l'idée qu'il s'agit d'une œuvre mineure écrite par un esprit timoré, hésitant, tiraillé entre une fascination évidente pour le système récemment proposé par Eugène Patrin dont il ne parvient jamais à se dégager totalement bien que ses observations personnelles l'aient conduit à en relever les invraisemblances les plus criantes. Ce n'est donc que pour mémoire qu'à la faveur d'une réunion organisée en terre volcanique, il nous a paru opportun d'exhumer ces deux ouvrages rapidement tombés dans l'oubli.

 

Si les volcans d'Auvergne ont joué un rôle essentiel dans la compréhension du volcanisme ce n'est pas à l'abbé Lacoste qu'ils le doivent mais à trois esprits perspicaces qui, après la découverte du volcanisme auvergnat par Guettard (1752), ont su analyser les faits. En premier lieu, Nicolas Desmarest (1725-1815), après avoir démontré en 1774 l'origine volcanique du basalte en faisant observer que ses colonnes prismatiques prennent place à l'extrémité de coulées issues de cônes volcaniques, distingua cinq ans plus tard « quelques Epoques de la Nature » en se fondant sur l'état de démantèlement plus ou moins avancé des édifices volcaniques.

 

Quelques années plus tard, le comte de Montlosier (1755-1838) fit paraître son Essai sur la théorie des volcans d'Auvergne (1788), dans lequel il jeta les bases d'une classification des principaux types de manifestations volcaniques observables en Auvergne.

 

Enfin, le célèbre Dolomieu (1750-1801) mit à profit un voyage en Auvergne pour démontrer « 1° que les produits volcaniques appartiennent ici à un amas de matières qui diffèrent des granits, et qui reposent au-dessous d'eux ; 2° que les agens volcaniques ont ici résidé sous le granit, et travaillé dans des profondeurs très-inférieures à lui », etc.

 

On est loin ici des hésitations et des contradictions de l’abbé Lacoste !

 

 

Bibliographie

 

 

DANTON, V. (1986). Lacoste de Plaisance (l'abbé Lacoste). Bull. histor. scient. Auvergne, 93, p. 185-201.

DESMAREST, N. (1774). Mémoire sur l'origine & la nature du basalte à grandes colonnes polygones, déterminées par l'histoire naturelle de cette pierre, observée en Auvergne. Mém. Acad. roy. Sci., 1771, p. 707-775, pl. XV.

DESMAREST, N. (1779). Extrait d'un mémoire sur la détermination de quelques époques de la Nature par les produits des volcans, & sur l'usage de ces époques dans l'étude des volcans. Observ. Physique, Hist. nat. Arts, 13, p. 115-126.

DOLOMIEU D. de GRATET de (An VI [1797]). Sur les volcans de l'Auvergne et sur la volcanisation en général. In : Rapport fait à l'Institut national, par le citoyen Dolomieu, ingénieur des mines, sur des voyages de l'an V et de l'an VI. Journ. Mines, 7, p. 393-398.

GUETTARD J.-E. (1756). Mémoire sur quelques montagnes de la France qui ont été des volcans. Mém. Acad. roy. Sci., 1752, p. 27-59.

LACOSTE, de Plaisance, P. F. (An XI [1803]). Observations sur les volcans de l'Auvergne, suivies de notes sur divers objets, recueillies dans une course minéralogique, faite l'année dernière, an X (1802). Chez la veuve Delcros et Fils et chez Granier et Froin, Clermont-Ferrand, 196 p.

LACOSTE, de Plaisance, P. F. (An XIII [1805]). Lettres minéralogiques et géologiques sur les volcans de l'Auvergne, écrites dans un voyage fait en 1804. Imprimerie de Landriot, Clermont, IX + 459 p., 2 tabl. h. t.

MONTLOSIER, F.-D. de REYNAUD de (1788). Essai sur la théorie des volcans d'Auvergne. s. l., 134 p.

PATRIN, E. (An VIII [1800]. Recherches sur les volcans, d'après les principes de la chimie pneumatique. Journ. Phys., Chimie Hist. nat., 7, p. 241-267.

PATRIN, E. (1804). Volcans. In : Nouveau Dictionnaire d'Histoire naturelle, appliquée aux arts..., Deterville, Paris, 23, p. 395-445.

 



1)     Pour en savoir davantage sur l'abbé Lacoste, on se reportera utilement à l'étude que lui a consacrée V. DANTON (1986).

2)     Notre acide chlorhydrique.