Note biographique sur Jean Vogt
par Pierre VINCENT

Nancy, le 2 septembre 2005

Texte d’une note rédigée à l’occasion du séminaire à la mémoire de Jean/ Vogt à l’Institut de physique du globe de Strasbourg, le 20/9/2005.

J. Vogt s'est énormément intéressé à la compréhension de certains gisements miniers et à leur évolution avant de se consacrer en grande partie à la sismicité historique tout en continuant à travailler sur de nombreux sujets qui lui tenaient à cœur.

Il a apporté, tout d'abord, au service géologique d'A.O.F., puis au BUMIFOM et enfin au BRGM une vision novatrice concernant l'évolution des surfaces d'érosion, en particulier en ce qui concerne leur altération, leur succession et leur imbrication, particulièrement bénéfiques pour la compréhension de la genèse de nombre de formations et de gisements détritiques ou d'altération, en particulier: les latérites, les bauxites, l'or et le diamant, le nickel en Nouvelle Calédonie pour ne donner que quelques exemples, que ce soit en Afrique, Amérique, Australie et bien d'autres parties du monde.

En qualité de géomorphologue il était évidemment porté à étudier les mouvements de terrains en général et à faire la part entre ceux d'origine sismique et ceux résultant de l'évolution des reliefs sous l'effet de différents facteurs tels altération, érosion liée aux facteurs climatiques. Nul doute que sa culture de base d'historien l'a conduit à une analyse critique de ces phénomènes et c'est probablement ainsi qu'il en est venu à la sismicité historique proprement dite.

Ses connaissances linguistiques lui permettaient d'accéder aux archives et à la littérature d'une grande partie de la planète, son intuition et sa perspicacité extraordinaires s'appuyant sur une solide expérience lui permettaient tant sur le terrain que dans les archives d'aller toujours à l'essentiel, aussi était-il d'une grande efficacité. Il reconnaissait lui-même ne pas faire de différence entre les données tirées des archives et les observations faites sur le terrain. Ce qui est somme toute assez normal les données ne terrain n'étant que les archives de la terre. Encore faut-il être capable de déchiffrer et d'exploiter l'ensemble.

Il convient enfin de noter qu'il a apporté une contribution essentielle à la modernisation de la carte géologique de la France lors de la fusion de ce service avec le BRGM. En effet jusqu'à cette époque les Formations superficielles, qui sont quand même bien le support sur lequel nous évoluons et vivons, n'étaient guère considérées que comme des sortes de caches misère, par nombre de géologues cartographes, lorsque le substrat sédimentaire ou éruptif leur échappait, alors les alluvions des fonds de vallée, les limons des plateaux, etc., étaient les bienvenus pour remplir les vides. L'essentiel des formations superficielles étaient alors laissées, avec un certain dédain, à la discrétion des pédologues et géographes.

L'intervention de J. Vogt fut capitale car il a apporté à la cartographie de ces formations sa vision de géomorphologue et mit l'accent sur leur genèse ce qui c'est traduit par un enrichissement de la carte géologique tant au plan de la représentation que de légendes élaborées et didactiques et de notices plus étoffées.

Des ponts furent établis avec les divers spécialistes travaillant dans le domaine des sciences de la terre: pédologues, géographes, géotechniciens, et même préhistoriens, en grande partie grâce aux relations et connaissances que J. Vogt entretenait tant en France qu'à l'étranger.

Sans entrer dans des développements qui seraient forts longs, ni citer de nom voilà rapidement et imparfaitement esquissée l'activité qu'a remplie J. Vogt dans le domaine de la géologie et dont j'ai partagé avec bonheur certaines actions et c'est en témoignage de l'amitié qui nous liait que j'ai rédigé ce texte qu'il ne pourra malheureusement pas annoter voire corriger et compléter.


Notice publiée par la SGF :

JEAN VOGT 1929 - 2005

Jean Vogt est décédé le 5 juin 2005 à Strasbourg, à l'âge de 76 ans. Scientifique aux multiples facettes, géographe, géologue, sismologue et historien, son activité est caractérisée par l'interdisciplinarité et plus encore par la mobilité. Mais Jean Vogt restera avant tout le père du renouveau de la sismologie historique en France et ailleurs.

Jean Vogt est né à Strasbourg en 1929 d'une famille alsacienne. C'est dans l'université de cette ville qu'il a suivi ses études supérieures, se spécialisant en géographie. Il y fut particulièrement influencé par le géographe Jean Tricart qui lui communiqua la double et rare passion du travail de terrain et du travail d'archives. Il débute sa carrière professionnelle par un bref séjour à l'éphémère université franco-sarroise (1953-54) puis au CNRS (1954-1955). Dès cette époque, il publie de nombreuses notes qui contiennent les thèmes qu'il développera toute sa vie : géomorphologie, ressources minérales, étude des sols, études agraires.

En 1955 il entre au Service géologique d'AOF, d'où il passera plus tard au Bumifom, puis au BRGM. Pendant les 20 années suivantes, il mène une carrière de géologue professionnel, menant d'innombrables missions de terrain souvent dans des conditions très précaires. Il explorera ainsi non seulement de très nombreux pays d'Afrique (Algérie, Bénin, Burkina, Centrafrique, Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée, Madagascar, Mali, Niger, Sénégal, Sierra Leone, Soudan, Tunisie, etc.), mais aussi d'Amérique (Antilles, Canada, Brésil, Chili, Cuba, Etats-Unis, Guyanes, Saint-Domingue, Surinam, Venezuela) et d'Asie (Australie et Nouvelle-Calédonie en particulier), sans oublier la France. Ses travaux, très divers, concernent principalement la recherche minière (or et diamant, nickel, bauxite), la cartographie des formations superficielles et géologie du quaternaire, les mouvements de terrain et l'érosion historique des sols. Sa contribution à la carte géologique de la France a été essentielle, concernant surtout les formations superficielles.

En 1975, Jean Vogt prend la direction du « Projet de la carte sismo-tectonique de la France », conduit par le BRGM, EDF et le CEA en relation avec le programme électronucléaire. De 1975 à 1985, à Orléans puis à Strasbourg, il va totalement renouveler notre connaissance de la sismicité historique de la France. Parcourant avec quelques collaborateurs tous les principaux dépôts d'archives français et certains en Europe, il amasse une quantité de nouvelles données, qualitatives et quantitatives qui sont triées et soumises à une analyse critique. Tous ses résultats seront publiés dans des centaines de notes et d'articles, et dans un important ouvrage sur la sismicité de la France publié en 1979.

En 1985, il prend une retraite prématurée, mais il va pendant 20 ans encore fournir un travail considérable sur la sismicité historique de plusieurs régions du globe (Europe, Afrique du Nord, Proche Orient, Antilles). Il se consacre aussi à des recherches qu'il mène à titre privé dès 1952 sur l'histoire agraire rhénane.

Cette extraordinaire carrière de globe-trotter, Jean Vogt l'a menée souvent aux dépens de la reconnaissance qui lui était due et aux dépens de ses publications. S'il a publié en effet des centaines de notes et d'articles, il n'a pas pu trouver le temps de rédiger de véritables synthèses de ses recherches. Jean Vogt faisait bénéficier ses collègues et relations de toutes ses découvertes en leur communiquant de nombreuses petites notes manuscrites. Il était apprécié pour ses grandes qualités de générosité, d'honnêteté, de modestie, d'intégrité, de franchise, qui l'amenaient parfois à une rigueur excessive, et aussi pour son intelligence et son humour. Il laisse derrière lui deux filles, mariées. Homme de grande culture internationale, polyglotte, mais aussi profondément alsacien, Jean Vogt a apporté à la géologie des contributions nombreuses, variées et innovantes qui mériteraient une mise en valeur et une plus large diffusion.

Quelques notes biographiques et une liste bibliographique sont disponibles sur la page Web http://eost.u-strasbg.fr/~frechet/jeanvogt.htm

J. Fréchet et P.-L. Vincent