TRAVAUX DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.VII (1993)

Jean GAUDANT
Analyse d'ouvrage
H. HÖLDER: "Une brève histoire de la Géologie et de la Paléontologie"

(Springer-Verlag, Paris, 1992, 280 p., 125 F)

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 1er décembre 1993)

La décision des éditions Springer de publier une traduction française de l'ouvrage de Helmut Hölder intitulé "Kurze Geschichte der Geologie und Paläontologie" (1989), était fort louable étant donné l'intérêt de ce petit livre très richement documenté qui met à la disposition du public français une lecture germanique de l'histoire de la Géologie. Cela d'autant plus que son auteur, grand admirateur de Goethe, n'avait rien négligé pour en faire une oeuvre à caractère authentiquement culturel, comme le soulignent les brèves citations fréquemment placées en exergue en tête des différents chapitres. Sa lecture est en outre agrémentée d'une quarantaine de figures qui aèrent le texte et facilitent sa compréhension.

Une vingtaine de chapitres construits autour de thèmes précis traitent des principales questions et des grands débats qui ont marqué l'histoire des Sciences de la Terre jusqu'à nos jours, au point que l'ouvrage se termine par un bref chapitre qui traite de "l'ordinateur au service de la Géologie et de la Paléontologie". Cet additif présente toutefois l'inconvénient d'introduire un élément d'hétérogénéité dans un ouvrage au demeurant agréablement ordonné.

L'ouvrage s'ouvre sur un chapitre consacré à "Steno" (en français, nous aurions préféré "Sténon"). L'auteur y insiste davantage sur le rôle décisif qu'il joua pour faire reconnaître la nature organique des fossiles, que sur celui de père fondateur de la Géologie. On y relève une erreur que l'on retrouve dans l'édition originale car "l'énorme crâne" dont parle l'auteur ne peut être celui d'une "petite roussette" (Hundshai), qui est l'un des plus petits requins connus. C'est celui d'un "grand requin blanc" (Menschenhai), un squale cannibale, qui peut atteindre jusqu'à dix mètres.

Parmi les principaux thèmes traités, on notera avec intérêt comment, paradoxalement, au XVIème siècle, on fît appel aux fossiles pour prouver la réalité des "jeux de la nature".

Après avoir passé en revue les principales "Théories de la Terre" qui fleurirent à la fin du XVIIème siècle, l'auteur évoque, sous le titre "Spéculations géologiques", le renouvellement des idées qui se produisit pendant la première moitié du XVIIIème siècle. A cette époque, L. Moro rompt avec le Diluvianisme et explique les modifications de la surface terrestre par l'action d'une "terrifiante force souterraine". A l'opposé, Benoît de Maillet imagine un abaissement progressif du niveau marin et fonde le "Neptunisme". Un très bref chapitre est consacré à la naissance de la Stratigraphie pendant la seconde moitié du XVIIIème siècle, sous l'impulsion de J. G. Lehmann, Arduino et Füchsel. A la même époque, on commence à s'intéresser également à la structure des massifs montagneux : Pallas (1778) décrit le premier la structure de l'Oural dans lequel il observe des noyaux granitiques encadrés de part et d'autre par des schistes cristallins, des calcaires fossilifères et des roches meubles.

Un débat s'ouvre également entre tenants du Neptunisme, dont Gottlob Werner, le fondateur de la Géognosie, se fait le propagandiste acharné, et partisans du Vulcanisme et/ou du Plutonisme. S'ouvre alors la "querelle du basalte" qui oppose Werner à Desmarest, Raspe et Voigt, tous trois convaincus de l'origine volcanique de cette roche. Von Buch, disciple de Werner, ne tarde pas à se convertir à son tour au vulcanisme qu'il rend responsable du soulèvement des montagnes, d'où la notion de "cratères de soulèvement" que ne tardera pas à populariser Elie de Beaumont.

L'irruption des théories catastrophistes marque le passage du XVIIIème au XIXème siècle : Dolomieu, Blumenbach, Cuvier et Buckland expliquent par des inondations catastrophiques aussi bien la genèse des montagnes que la destruction des faunes anciennes. Cette dernière conception culminera avec Alcide d'Orbigny qui, en 1849, ne dénombre pas moins de 28 catastrophes universelles qu'il utilise pour jeter les bases de la Stratigraphie.

Aux antipodes des thèses catastrophistes se situe la démarche actualiste adoptée par James Hutton qui, en déiste convaincu, découpe l'histoire de la Terre en cycles successifs pendant lesquels la Terre est tour à tour érodée et régénérée par des mouvements verticaux dûs à la montée du magma. A leur tour, au début du XIXème siècle, von Hoff et Charles Lyell adopteront également la méthode actualiste.

La question de la genèse des montagnes fut au centre des préoccupations d'H.-B de Saussure qui expliqua par l'action de "révolutions" l'existence des couches de poudingue redressées qu'il avait observées en 1776. Près d'un demi-siècle plus tard, von Buch expliquera le soulèvement des Alpes méridionales par des intrusions d'"augites-porphyres" (porphyres pyroxéniques). Elie de Beaumont crut trouver, avec sa théorie de la contraction, engendrée par le refroidissement progressif de la Terre l'explication de ces bouleversements. Une autre théorie, celle de l'isostasie, proposée par Airy (1855), se révélera féconde à terme.

Pendant ce temps se poursuit l'exploration géologique du monde alpin. Dès 1809, Arnold Escher von der Linth observe sans le comprendre le chevauchement de Glaris (et non de Glarn!), que son fils redécouvrira et interprétera correctement une trentaine d'années plus tard. Ultérieurement Edouard Suess (1875) détermine correctement le sens de la poussée qui a donné naissance aux Alpes puis O. Ampferer (1906) explique les plissements de l'éeorce terrestre par l'action de courants profonds.

Dans un chapitre fort hétérogène sur les eaux et la Géologie, il est fait pêle-mêle référence aux travaux de P. Perrault (1674) sur l'origine des sources, de L.F. de Marsigli (1711), le père de la Géologie sous-marine, de Antoine-Laurent de Lavoisier (1793), qui fonde la distinction entre sédiments littoraux et pélagiques, d'E. Suess, qui remet au goût du jour la thèse d'un abaissement progressif du niveau marin, expliqué par un affaissement généralisé des fonds marins, de Jamieson (1865) qui prend en compte le rôle déterminant exercé par le poids de la calotte glaciaire dans les mouvements verticaux de la Scandinavie, et encore de J. Hall (1858), de M. Neumayr (1887) et de W.M. Davis (1912), qui soulignent l'action érosive des eaux météoriques.

La géologie glaciaire n'est pas oubliée : son développement débute par l'étude de l'origine des blocs erratiques dont Hutton (1795) suppose qu'ils ont pu être transportés par la glace. Une quarantaine d'années plus tard, Louis Agassiz (1840) et J. de Charpentier (1841) jetteront les premières bases de la Glaciologie.

Un long chapitre traite de la Géologie des profondeurs jusqu'à l'avènement de la Tectonique des plaques. Cela permet notamment d'évoquer le rôle joué par le granite que Hutton et Playfair (1802) rendent responsable du redressement des couches sus-jacentes. Le métamorphisme est étudié attentivement à partir du milieu du XIXème siècle. En 1838, le chevauchement de Lusace, en Saxe, qui met en jeu le granite, est correctement interprété à l'initiative de B. Cotta. A partir du milieu du XIXème siècle, on s'intéressera plus attentivement au métamorphisme et à ses rapports avec le granite.

Les cratères météoritiques sont également pris en considération, notamment en raison des interprétations contradictoires du célèbre cratère géant du Ries, en Bavière.

Enfin, un long chapitre est consacré à l'interprétation des fossiles depuis le début du XVIIIème siècle, au moment où R. Hooke prend conscience du fait que certaines espèces fossiles ont été détruites, tandis que d'autres subissaient des modifications. Dès 1724, un certain B. Ehrhart interprète correctement les Bélemnites comme des fragments de Céphalopodes. Avant la fin de ce siècle ont lieu les premières tentatives d'utilisation stratigraphique des fossiles car Soulavie (1782) distingue les fossiles des calcaires jurassiques de ceux de la craie et du calcaire tertiaire. Peu après, W. Smith (1796) constate que les strates successives renferment des fossiles différents puis von Schlotheim (1813) se propose d'utiliser les fossiles pour déterminer l'âge relatif des couches qui les renferment. Mais un quart de siècle plus tard, A. Gressly (1838) redécouvre les conceptions de Lavoisier et souligne l'importance de la notion de "faciès", ce qui le conduit à opposer "fossiles de faciès" et "fossiles caractéristiques". Selon A. Oppel (1856-58), le Jurassique peut être découpé en trente "zones" sur des critères paléontologiques. Alors se développera, après la publication de l'oeuvre maîtresse de Darwin, une paléontologie évolutionniste qui conduira à la formulation par Cope, Rosa et Dollo de "lois" paléontologiques de l'évolution. Un peu avant le milieu de ce siècle se développera en Allemagne et aux Etats-Unis une théorie néo-darwiniste "synthétique" néodarwinienne à laquelle s'oppose présentement le "modèle ponctualiste" de Gould et Eldredge.

En conclusion voilà un petit livre fort attractif, du moins dans sa version originale car il est dommage que sa traduction française n'ait pas bénéficié de tout le soin qui lui était dû, au point de tourner parfois au jeu de massacre, tant les approximations et les contresens se multiplient tout au long du texte, affectant même le titre de plusieurs chapitres. Ainsi, le premier d'entre eux : "Steno : Geologisch-paläontologische Schlüsselfahrung" ("Sténon : expériences clés en géologie et paléontologie") est-il fort librement métamorphosé en "Steno : les nouveaux champs de la géologie et de la paléontologie" ! Beaucoup plus grave, le titre du chapitre 3 est entaché d'un véritable contresens, au point qu'on peut légitimement se demander si le traducteur a compris ce qu'il traduisait. C'est ainsi que "Organismische Fossildeutung vor Steno" ("L'interprétation organique des fossiles avant Sténon") se métamorphose en "L'interprétation anorganismique des fossiles avant Sténon" ! Quant à la brève citation des "Métamorphoses" d'Ovide placée en exergue à ce chapitre, elle a subi une véritable altération de sens car, d'après H. Hölder, Ovide avait réellement écrit : "Ce qui était jadis la terre ferme devint ensuite la mer et du sein des flots surgirent les terres", ce qui a une toute autre portée géologique que : "Jadis fut créée la terre, puis vint la mer, et, du sein des eaux marines, surgirent les continents" !

De même, traduire (p.95) "eine "Decke älteren Gesteins auf jüngerem" par "un recouvrement de terrains récents par des terrains plus anciens" a pour effet d'escamoter la notion de "nappe de charriage". Plus loin, on s'étonne de voir "Stufenlandschaft" ("paysage en gradins") traduit, de manière complexe, par "paysage de plateaux étagés à structure monoclinale et à cuestas" !

Encore plus spectaculaire, le chapitre sur la "Géologie glaciaire" débute (p. 133) par un épouvantable contresens à propos des idées de De Saussure. En effet, alors que, d'après le texte original en allemand, celui-ci "supposait un puissant bouillonnement de l'océan qui recouvrait jadis les Alpes, sous l'effet de l'effondrement brutal des montagnes", le traducteur a compris qu'il envisageait l'existence "d'un brusque effondrement alpin dû aux violents tourbillons des eaux océaniques qui avaient recouvert la chaîne" !

Plus loin, on aimerait demander au traducteur (p.2O9) comment le système stratigraphique de Werner (qui date des années 1780) a bien pu "être amélioré par Füchsel en 1763" [l'auteur avait écrit en réalité que, "dans le système de Werner, la distinction élémentaire entre roches primaires et secondaires, que Füchsel (1763) avait déjà commencé à enrichir, s'est trouvée convertie en une échelle plus précise d'unités chronologiques" !]. L'ignorance du traducteur éclate encore (p.217) lorsqu'il traduit, sans soupçonner le moins du monde le paradoxe, "umfangreiches Mikrofossilmaterial" par "volumineux échantillons de microfossiles" ! On pourrait hélas multiplier ces critiques à l'infini...

On regrettera encore le caractère approximatif de la traduction de certains termes. Ainsi, "l'histoire de la géologie" est confondue avec la "géologie historique" (p.8), "neptuniste" devient "neptunicienne" (p.31), "l'uniformitarisme" est raccourci abusivement en "uniformisme" (p.42), et la "méthode hypothético-déductive" de Popper est rebaptisée "hypothético-déductionniste" (p.23O), tandis qu'on n'hésite pas à parler d'"héritage (pour "hérédité" !) des caractères acquis" (p.203) !

De même, certains noms d'auteurs ont-ils été profondément altérés, tel Gumprecht, orthographié Rumprecht, et Depéret, dissimulé derrière le pseudonyme de Dupret (deux erreurs renouvelées sans vergogne dans l'index !).

Plus grave encore, "Glarner" est un nom géographique introuvable sur les meilleurs atlas car il s'agit simplement d'une déclinaison de "Glaris", ce qu'ignore visiblement le traducteur !

Tout aussi regrettable est le traitement insensé auquel ont été soumises les citations qui — exception faite des textes originaux allemands — ont visiblement subi une double traduction. Le résultat est déplorable lorsqu'on prend la peine de les comparer à l'original. Ainsi, alors que Cuvier écrivait dans son "Discours sur les Révolutions de la surface du Globe" que :

"l'on a cru long-temps pouvoir expliquer, par ces causes actuelles, les révolutions antérieures, comme on explique aisément dans l'histoire politique les événemens passés, quand on connaît bien les passions et les intrigues de nos jours. Mais nous allons voir que malheureusement il n'en est pas de même dans l'histoire physique : le fil des opérations est rompu ; la marche de la nature est changée ; et aucun des agens qu'elle emploie aujourd'hui ne lui aurait suffi pour produire ses anciens ouvrages",

cette citation s'est transformée en (p.66) :

"On a longtemps cru que l'on pouvait expliquer les bouleversements passés en recourant aux facteurs naturels, de même que l'on explique les événements historiques par les passions et les pulsions que l'on observe aujourd'hui. On verra pourtant bientôt que cette démarche ne peut s'appliquer à l'histoire géologique ; le fil semble coupé, l'évolution de la nature changée, et aucune des forces qu'elle met aujourd'hui en jeu ne serait suffisante pour produire ces effets survenus dans le passé". On notera au passage que les "causes actuelles" ("gegenwärtigen Ursachen") se sont métamorphosées en "facteurs naturels" ! Une telle désinvolture, qu'aggrave un laxisme linguistique consternant, révélé par l'emploi de plusieurs néologismes choquants comme "lavique", destiné à masquer une difficulté de traduction (p.56), "alpinologue", pour "Alpenforscher" (p.84), ou encore "initier" pour "beginnen" (p. 176) ne peut que desservir la réputation d'un éditeur qui devrait prendre conscience du caractère éminemment culturel de l'Histoire de la Géologie. Se permettrait-on en effet d'ajouter une virgule aux oeuvres de Goethe ? Alors, respectons celles de Cuvier et n'oublions pas que, comme l'affirmait Buffon, "le style est l'homme même" !

En conclusion, nous n'hésiterons pas à faire remarquer que confier à un incapable la traduction d'un tel ouvrage, qui avait fait l'objet des soins attentifs d'un auteur réputé, est un scandaleux forfait qui entache gravement la crédibilité et la réputation scientifique d'un éditeur, d'autant plus que de nombreuses fautes d'orthographe émaillent le texte. Nul doute qu'il eût été possible de découvrir en toute sérénité, en France ou en Suisse, un traducteur bilingue cultivé possédant les connaissances requises en géologie, et capable, de ce fait, de préparer une traduction satisfaisante de "Kurze Geschichte der Geologie und Paläontologie". En agissant dans la précipitation, Springer-Verlag France a indéniablement commis une lourde faute qu'il se doit de réparer au plus vite.