TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Première série -
(1979)

Gabriel GOHAU
Du Système du monde à l'histoire de la terre.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 13 juin 1979)

La géologie est une science historique (= palétiologique, Whewell) (1). Son domaine est l'histoire de la terre et son thème : le cycle géologique, lui-même incluant les cycles d'érosion, géochimique, orogénique, pétrologique, etc... Grâce aux cycles, la terre subit un rajeunissement périodique. C'est pourquoi, comme dit Playfair, dans une phrase célèbre : l'Auteur de la nature n'a pas permis qu'il existât dans ses oeuvres aucuns caractères d'enfance ni de caducité, ni aucun signe qui puisse nous en faire deviner la durée à venir ou passée" (2).

A cette conception moderne de l'histoire du globe, issue de l'oeuvre de James Hutton, s'oppose une géologie des "époques de la nature" (Buffon, 1778), qui domine la seconde moitié du XVIIIè siècle. Fondée sur une succession irréversible de "périodes", liée au refroidissement progressif de la terre, elle imagine que le globe évolue lentement vers la sénescence, et se rapproche de la mort.

Pourtant, si la notion de cycle s'impose comme une nouveauté à la fin du XVIIIè siècle, elle n'est pas inédite, loin de là. Les adversaires de Hutton lui reprochent d'ailleurs le mythe antique du retour éternel. Et, un coup d'oeil rapide sur les "systèmes du monde" des anciens, montre la domination des théories cycliques.

Les Stoïciens, par exemple, qui ont noté les signes de dépérissement du globe (désagrégation des rochers, éboulements...), estiment que le monde est périssable, mais qu'il se régénère périodiquement à l'occasion d'une conflagration universelle (ecpyrosis). Mais ce qui sépare radicalement cette vision de la nôtre, c'est que le globe des Stoïciens ne se CONSTRUIT pas progressivement, à travers la succession des cycles : chaque nouveau monde est identique aux précédents. "Il y aura à nouveau un Socrate, un Platon... Cette restauration ne se produira pas une fois, mais plusieurs fois ; ou plus précisément, c'est éternellement que les choses seront restaurées" (3).

A l'opposé des Stoïciens, Aristote croit le monde éternel. Il suppose que sa dégradation est constamment réparée, et que si les mers se changent en terre ferme, une terre voisine est inondée (4). Mais si le stagirite remplace les cycles généraux par des cycles locaux imbriqués qui conservent le monde dans une sorte d'équilibre dynamique, il ne débouche pas plus sur une histoire de la terre (5).

Il ne le pourrait pas, d'ailleurs, car le Cosmos des anciens est tellement organisé et tellement hiérarchisé qu'il ne peut changer sans se détruire. Et comme le monde "sublunaire" est soumis à l'évolution et à la dégradation, il faut qu'il se répare sans cesse ou se régénère périodiquement. Les auteurs poursuivent le même but : CONSERVER le(s) monde(s).

Buridan ou Vinci n'auront pas d'autre visée (6). Et il faudra la révolution copernicienne pour que le Cosmos finalisé et centralisé vole en éclats et cède la place à un univers plus lâche, où les objets célestes sont plus ou moins autonomes. Chacun d'eux, cessant d'être nécessaire à l'ensemble, peut naître ou mourir (cf. observation d'une nova par Galilée).

Descartes, le premier, tente de reconstituer l'origine de l'univers, plus spécialement du système solaire, et de façon plus particulière encore : de la terre (7). Rompant avec les cycles antiques, il essaie de décrire l'évolution de notre globe comme une suite irréversible de phases, qui aboutissent, à partir d'un état plus ou moins homogène (chaos ou "tourbillons"), à un astre organisé en enveloppes concentriques de composition variable.

Cette évolution de l'homogène vers l'hétérogène correspond donc à une acquisition d'ordre, à une construction. La seule phase désorganisatrice du schéma intervient in fine, quand l'écorce, jusque là rigoureusement sphérique, se brise et prend des positions plus ou moins inclinées qui créent les reliefs de la terre.

Peut-on parler d'une histoire de la terre ? Non, si l'on pense avec Courmot que l'histoire suppose à la fois nécessité et hasard (8). Car l'évolution du monde cartésien ne fait appel qu'à la nécessité. Ce sont les "loix du mouvement" qui produisent par leur fonctionnement les séparations progressives des éléments en couches concentriques. Un commentateur de Descartes prétendait, d'ailleurs, que celui-ci cherchait à comprendre la conservation plutôt que la production de la terre, mais que "pour bien savoir si ce qu'on pense des loix qui conservent l'ordre de la nature est véritable, il n'y a point de meilleur moyen que de voir si elles auraient pu le produire" (9).

C'est un argument de circonstance, car il s'agissait de montrer que Descartes ne se substituait pas à Moïse. Il n'empêche : si Cordemoy peut assimiler production et conservation, c'est que les deux phénomènes se ressemblent. La production du monde cartésien reste proche de la conservation des anciens. L'univers n'a pas encore de véritable histoire, guère plus que n'en a une solution de sel qui cristallise. En fait, Descartes et ses successeurs immédiats envisagent la formation de la terre comme ils traitent la production du vivant (développement embryonnaire. Dans les deux cas, on passe du chaos à l'organisé. Et si J. Roger a pu dire que Descartes avait tenté "une embryologie qui fût l'homologue de sa cosmogonie" (10), c'est peut-être que celle-ci était d'inspiration embryologique.

Or, le développement embryonnaire n'est évidemment pas une histoire. On sait aujourd'hui qu'il récapitule plus ou moins l'histoire d'une phylum (cf. Haeckel). Mais il se déroule suivant un programme et n'obéit pas aux seules lois du mouvement. La méprise des premiers historiens de la terre, comme les historiens de la vie qui ont suivi Lamarck, fut de bâtir l'histoire sur un modèle embryologique. Si l'embryogénie haeckélienne récapitule si aisément la phylogénie c'est que la seconde est calquée sur la première. La résistante à Darwin vient sans doute de la difficulté à comprendre la contingence de l'histoire de la vie (11) .

Pour expliquer ce caractère des histoires de la terre de Descartes, et de ses successeurs immédiats (Burnet, Woodward, Whiston, Leibniz, Ray, Bourguet, etc..) (12), je les nommerai métaphoriquement : des "embryologies" de la terre. En les caractérisant par trois caractères :

Les chronologies courtes. C'est pour nous un paradoxe que les chronologies courtes des XVIIè-XVIIIè siècles ont amorcé une histoire du globe, alors que les durées immenses des anciens n'avaient d'autre fonction que de conserver le monde. Mais peut-être faut-il distinguer le temps-succession du temps durée. Avant d'oser écrire une histoire comptée en millions d'années, il fallait sans doute s'être essayé à le faire dans le cadre des siècles et millénaires de l'histoire humaine. Le XVIIè siècle, qui a brisé le Cosmos géocentrique et étendu l'univers à l'infini, s'est replié sur le temps de la Bible. Sans doute, ces deux mouvements opposés ont-ils favorisé la naissance d'une histoire de la terre, le premier en détendant les liens entre les astres (cf. ante); le second en fournissant un archétype, aux révolutions de la terre.

Le retour à la Bible et l'adhésion aux chronologies courtes sont liés à la mentalité de l'époque. La vague d'épidémies (1346 : Peste noire qui marque le retour de ce fléau) et de guerre (1337: guerre de Cent Ans), accompagnées de révoltes et de troubles religueux (1378 : grand Schisme), qui marquent la fin du XIVè siècle amènent l'idée que la fin du monde est proche, et réciproquement, que ce monde qui se dégrade et se pervertit si rapidement ne peut être vieux. Selon J. Delumeau, le même climat se prolonge jusqu'au milieu du XVIIè siècle (13) : la Réforme et les guerres de religions s'expliquent par l'atmosphère de fin du monde (Luther se serait peut-être tu s'il n'avait craint l'approche du Jugement dernier).

Dans ce monde en déclin, les montagnes sont le symbole même du délabrement. "La nature a balayé toutes les ordures de la terre dans les Alpes" dit un voyageur qui ne voit que cimes "étranges, horribles et effroyables" (14). Ruines de la terre, les montagnes ne peuvent dater de la Création : elles se sont formées au moment du Déluge, dit Burnet. En punissant l'homme Dieu a enlaidi de boursouflures, de verrues le visage originellement uni de la terre.

Quand, plus tard, les hommes commencent à se rassurer et à douter de l'imminence de la fin du monde ; ils voient Dieu d'un autre oeil. D'ombrageux et cruel, l'Eternel devient clément et bienveillant. Simultanément; on s'aperçoit des beautés de la nature ; le courant providentialiste découvre l'utilité des montagnes (15). Nécessaires à l'homme, dues à la sollicitude du Tout-Puissant, les montagnes datent de la Création, conclut John Ray. Que les providentialistes de la génération suivante (Bourguet) aient imaginé deux formations de montagnes, l'une à la Création, l'autre au Déluge, après "dissolution du premier monde" ne change guère les choses. On n'a le choix, dans cette histoire calquée sur la Bible.., qu'entre les deux événements.

La stabilisation du monde. La formation de la terre est entièrement renvoyée dans le passé, aucune force ne participe actuellement à la construction du globe. Et comme celui-ci est menacé de destruction, il ne perdure qu'en se figeant dans l'immobilité. L'érosion qui détruit les reliefs est minimisée ou niée par les providentialistes qui imaginent parfois des cycles réparateurs pour restaurer les montagnes (l'évaporation entraîne des particules solides qui se déposent sur les sommets. Cf, Ray, Woodward). Quant à ceux qui créent les montagnes par effondrement de l'écorce, ils appuient leurs segments de croûte sur une couche solide plus profonde qui les retient et interdit que pareil accident ne se renouvelle. (Cf. Descartes, Burnet).

Certes, tous croient à la "dissolution" future de la terre par le feu. Mais Ray nous dit qu'on n'observe aucun signe naturel actuel de cet "accident". Notre globe, en attendant cet événement, est dans une phase d'état. Le monde des anciens était régénéré, recréé ; la terre des "embryologistes" est en rémission, comme un malade incurable que l'on prolonge. Le monde n'est occupé, aujourd'hui, que par l'histoire des hommes. L'histoire de la terre précède l'histoire des hommes et lui sert de préambule, ainsi que le souligne Leibniz dont la Protogée est une introduction à l'histoire de la maison de Hanovre, Les auteurs du XVIIè et XVIIIè siècle s'intéressent uniquement à ce que le XIXè siècle nommera dédaigneusement la "géogénie" (= formation ou embryogénie de la terre) pour l'opposer à la "géognosie" ou étude de la terre après sa formation.

Descartes se donne trois éléments pour reconstituer la formation de la terre : la forme "qui se trouve à présent dans ce monde", les "loix de la nature", et des "suppositions" sur l'état initial des "parties de la matière". Mais, en fait, l'état initial est sans importance : qu'on parte de "tourbillons" (cf. Principes philosophiques) ou du "chaos des poètes" (Discours de la méthode), on aboutit à la même structure, Les lois du mouvement tendant à organiser la matière, il importe peu que le désordre initial soit partiel ou total : le chaos forme spontanément des tourbillons et l'on est ramené au problème précédent.

Quant à l'état actuel du globe, il fait plus ou moins double emploi avec les lois de la nature. En fait, Descartes décrit la composition progressive du globe comme une suite de conséquences obligées des lois du mouvement et de la structure de la matière.

Une connaissance complète des lois de la nature permettrait donc de prévoir l'évolution des tourbillons, sans avoir à connaître son aboutissement (l'état actuel du globe). C'est faute de cette connaissance exhaustive que que Descartes s'appuie sur la structure acquise de la terre : il reconstitue donc en partie les lois du mouvement pour comprendre leurs effets.

Cette façon de voir n'est pas historique, dans la conception que nous avons aujourd'hui de l'histoire :

a) le futur n'est pas entièrement prévisible. L'état présent des choses est explicable par les états antérieurs mais il n'en est pas déductible. De la même manière, pour reprendre une image de J. Monod, que la configuration des atomes du "caillou que je tiens dans ma main" est "compatible"avec la théorie" sans en être "déductible" (16), donc qu'elle a le "droit" d'exister mais pas le "devoir" ;

b) mais systématiquement, si l'avenir ne se déduit pas du présent, le passé ne peut se reconstruire à partir de la connaissance de l'état actuel. Cournot (sur lequel s'appuyait J. Monod, sans le nommer) le dit avec force : "Il s'est écoulé dans le passé une multitude de faits que leur nature soustrait essentiellement à toute investigation théorique fondée sur la constatation des faits actuels et sur la connaissance de lois permanentes et qui dès lors ne peuvent être connus qu'historiquement, ou qui, à défaut de traditions historiques sont et seront toujours pour nous comme s'ils ne s'étaient jamais produits" (17).

Il ne s'agit pas de reprocher à Descartes... d'avoir ignoré Cournot. Des contemporains de ce dernier, comme Haeckel, continuent de traiter l'évolution comme un phénomène plus ou moins nécessaire, passant par des étapes entièrement déterminées par les lois naturelles. Que les XVIIè et XVIIIè siècles aient cherché à la marche de la nature des lois moins contingentes qu'à l'histoire de l'humanité, est compréhensible. Mais notre regard récurrent permet d'expliquer pourquoi cette conception aboutit à une vision du passé de la terre qui nous paraît quasi fataliste.

En tout cas, il doit être clair qu'un passé sans archives est "comme s'il ne s'était jamais produit". Il importe donc de chercher des archives pour reconstituer le passé de la terre. Descartes ne le fait pas, ses successeurs immédiats non plus, à l'exception de Sténon, que, pour cette raison, nous n'avons pas inclus dans les "embryologistes" de la terre.

Nos archives de la terre sont les fossiles stratigraphiques. Mais avant W. Smith et Alexandre Brongniart (autour de 1800) personne ou presque ne songe à utiliser les faunes disparues pour dater les terrains. Sténon propose deux divisions des dépôts anciens ; l'une fondée sur la présence ou l'absence de restes organiques, l'autre sur la consolidation des couches (couches rocheuses et couches arénacées). Dans les deux cas, il aboutit a deux époques.

Il faudra attendre près d'un siècle pour que l'esquisse de Sténon reçoive un prolongement. Je propose de nommer "époques de la nature", par référence au célèbre ouvrage de Buffon, l'ensemble des tentatives d'histoire de la terre qui fondent leurs divisions sur la nature des terrains successifs. Lehmann représente un bon prototype de ces essais, dans sa division des montagnes (allemand Gebirge, entendu au sens de "formation" plus que d'élévation) en trois classes d'après la nature de terrains constituants (cristallins, stratifiés, alluvionnaires), avec subdivision des montagnes à couches en sol rouge, charbon, ardoise, calcaires, et "fontaines salées" (18).

Pourtant, entre Sténon et Lehmann, le même souci des archives pointe chez un auteur que tout, par ailleurs, éloignait de cette préoccupation, et qui à ce titre mérite un instant d'attention : de Maillet, mort en 1738, auteur du Telliamed, imprimé dix ans après sa mort. De Maillet, plus que Descartes encore, imagine le passé de la terre comme la conséquence obligée d'une loi d'évolution. Loi simple au demeurant : l'eau des océans s'évapore lentement, le globe s'assèche et finira dans les flammes. Mais la terre s'éloignera du soleil, se réhydratera et tour recommencera. L'évolution est donc cyclique, et B. de Maillet est doublement distrait des préoccupations historiques : par son cycle et par son évolution rigoureusement déterminée. Pourtant, au détour d'une argumentation on lit ; "Si l'on pouvait creuser jusqu'au centre (du globe), & y parcourir les divers arrangements de matière dont il est composé, on seroit en état de juger sur ces recherches, s'il s'est trouvé dans plusieurs submersions successives et totales, après avoir été habité, sans avoir été la proye des flammes. En ce cas on rencontrerait dans le globe des vestiges de plusieurs mondes arrangés les uns sur les autres" (19).

Les "vestiges" (= archives) que recherche Maillet sont ceux d'un ACCIDENT rompant le cours de l'évolution normale. Les archives deviennent indispensables quand le cours habituel des choses est rompu par un événement imprévisible (la réhydratation du globe avant son total assèchement). On retrouve la dialectique nécessité-hasard chère à Cournot.

Ajoutons deux remarques : 1° - les archives de de Maillet sont archéologiques (et non pétrographiques comme celles de Sténon ou Lehmann). 2° - Son système géologique est rigoureusement atectonique. Et ce second point est essentiel : les dépôts superposés ne marquent l'âge relatif que s'ils restent dans l'ordre où ils se sont formés. Les montagnes de de Maillet (celles de Lehmann aussi) sont de simples dépôts marins distribués au hasard des courants (cf. aussi Théorie de la Terre de Buffon, 1749). Tout bouleversement détruira l'ordre et rendra illusoire la recherche de vestiges aussi longtemps que l'on n'aura pas compris que les discordances sont les archives de l'orogenèse (Hutton).

Aussi, peut-on distinguer au XVIIIè siècle deux lignées parallèles de géologues : ceux qui retiennent les préoccupations tectoniques de Descartes et délaissent les archives au profit des traces de bouleversements (Gautier, de Sauvages, Boulanger (20)) ; ceux qui se centrent sur l'histoire et ses archives, et qui refusent de voir le dérangement des terrains. Leurs représentants les plus célèbres en France sont Buffon (Epoques de la Nature (21)) ; qui cherche la trace des "monuments" (= archives), ainsi que Giraud-Soulavie.

Pour conclure, j'ajouterai qu'une nouvelle époque s'esquisse avec Buffon. Le rôle des archives tend à s'estomper, car on cherche à expliquer la succession des terrains superposés par une nouvelle loi de la nature. Gottlob Werner, Delamétherie, Deluc s'efforceront de rendre compte de la différence de composition des terrains anciens et modernes par une loi de précipitation ordonnée et successive des matières de l'océan primitif. Buffon a sans doute déjà des préoccupations analogues quand il écrit : "La production des argiles paroît avoir précédé celle des coquillages ; CAR la première opération de l'eau a été de transformer les scories & les poudres de verre en argiles : AUSSI les lits d'argiles se sont formés quelque temps avant les bancs de pierres calcaires ; et l'on VOIT que ces dépôts de matières argileuse ont précédé ceux des matières calcaires, CAR presque par-tout les rochers calcaires sont posés sur des glaises qui leur servent de base" (22). Autrement dit : je (dit Buffon) déduis de la théorie la préexistence des argiles sur les calcaires, et je le vérifie ensuite dans la nature.

Ce mode de raisonnement, est fréquent à l'époque. Mais ce que je veux souligner c'est qu'il transforme les archives de la terre en indices d'une loi de la nature. Si l'ordre des dépôts est imprévisible, l'observation est le seul moyen de s'informer sur lui : les couches sont des archives de l'histoire de la terre. Si l'ordre est simplement imprévu, mais qu'il est déterminé rigoureusement par une loi inconnue ou mal connue, l'observation complète le raisonnement, et devient inutile quand la loi se dégage progressivement. Mais comme l'esprit humain cherche à faire entrer dans des lois ce que, dans un premier temps, il croit purement contingent, les archives d'une époque deviennent souvent indices des lois de la nature d'une autre époque.

NOTES.

(1) D'après Hooykaas (R.), Continuité et discontinuité en géologie et biologie, trad. franc., Paris, 1970, p. 9.

(2) Explication de Playfair sur la théorie de la terre par Hutton. trad. franc., Paris 1815, p.351 (éd. anglaise, 1802).

(3) Némésius, d'après Brun (J.), le Stoïcisme, Paris, 1958, p. 52.

(4) Cf. Météorologiques, trad. Tricot, Paris, 1941, 351 a.

(5) les conceptions cycliques sont d'ailleurs anhistoriques par nature, à l'origine, puisque les peuples primitifs utilisent le mythe du retour éternel pour échapper à l'histoire. Cf. Eliade (M.), le Mythe de l'éternel retour, Paris, 1969.

(6) Sur Buridan, cf. Duhem, le Système du monde, t. IX, p. 293 sq. Egalement Ellenberger (F.), A l'aube de la géologie moderne : Henri Gautier (1ère partie), in Histoire et nature, n° 7, 1975.

(7) Descartes, Principes de philosophie, 3è et 4è parties.

(8) Cournot, Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes, Paris, 1872

(9) Cordemoy, cité d'après Roger (J.), La Théorie de la terre au XVIIè siècle, in Revue d'hist. sciences, janv. 1973, p.38.

(10) Roger, Les sciences de la vie dans la pensée française du XVIII° siècle, Paris, 1963 (2° éd.) 1971, p. 150.

(11) Cf. Daudin (H.) Lamarck et Cuvier, 2 vol., Paris, 1926. Dans cet ouvrage classique, Daudin montre que Darwin rompt avec une certaine conception de "l'ordre de la nature". On peut se demander si les epigones de Marx n'ont pas eu les mêmes difficultés de compréhension : le progressionnisme des marxistes mécanistes est à mettre en parallèle avec celui d'un Haeckel.

(12) J'exclus Sténon (1669) de cette liste ; je montrerai plus loin qu'il amorce une histoire de le terre.

(13) Delumeau (J.), La Peur en occident, Paris, 1978.

(14) Engel (CE.) et Vallot (Ch..), les Ecrivains de la montagne, "Ces monts affreux...", Paris, 1934, p. 14.

(15) Sur la naissance de ce courant en Angleterre, au moment de la restauration, cf. Oavies (G.L.) The Earth in decay, Amsterdam, Londres, 1968 (?).

(16) Monod (J.) le Hasard et la nécessité, Paris, 1970, p.54.

(17) Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances et les caractères de la critique philosophique, 1851. (P.358 de la réédition, Paris, 1975).

(18) Lehmann, Essai d'histoire naturelle de (sic) couches de la terre..., Paris, 1759 (éd.all., 1756).

(19) Maillet (B. de), Telliamed ou Entretiens d'un philosophe indien..., Amsterdam, 1748, t. II, p.98. C'est moi qui souligne.

(20) Cf. Ellenberger (F.) A l'aube de la géologie moderne ; Henri Gautier, 2ème partie, in Histoire et nature, n° 9-10, Paris, 1977.

(21) Notons que trente ans plus tôt, Buffon avait construit un système très différent (Théorie de la terre, 1749), inspiré de de Maillet et de Bourguet.

(22) Epoques de la nature, 3è époque, d'après Buffcn, Oeuvres philosophiques, présentation J. Piveteau, Paris, 1954, p.148.

C'est moi qui souligne les mots articulant le raisonnement de Buffon.