TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XXII (2008)

Hommage à Goulven Laurent (1925-2008)

Gabriel Gohau

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 10 décembre 2008)

Notre ami Goulven Laurent, membre depuis 1977, et qui était trésorier depuis plus d'un quart de siècle et vice-président de notre comité, vient de nous quitter, ce 12 octobre.

Il était né en 1925 à Lanarvily dans le Finistère nord, près de Lesneven, dans une famille d'agriculteurs comptant quatre autres enfants. Il avait fait sa scolarité primaire à l'école publique où il fut remarqué pour sa réussite, chose alors rare pour un enfant de milieu paysan. Très travailleur, il le demeurera toute sa vie.

Il entre ensuite au séminaire et fait des études de théologie à Angers. Après lesquelles il enseigne les mathématiques et l'histoire-géographie, à Lesneven puis à Brest, tout en préparant sa licence d'histoire-géographie à la faculté des lettres de Rennes. En 1966, il devient professeur de géographie à l'Institut catholique d'Angers. En 1984, il est directeur de la section de lettres et histoire puis conservateur de la bibliothèque de l'établissement. Il prend sa retraite en 1996.

Passionné par la préhistoire, il participe à des fouilles avec le professeur Leroi-Gourhan, à Pincevent, Saint-Estève et Lunel (dont il aimait, avec ses intimes, vanter le muscat dans les réunions festives). Dans ses travaux bibliographiques, il était attentif à toujours consulter les œuvres dans leur langue originale. Il parlait en effet couramment plusieurs langues et en août dernier, alors qu'il était très malade, il s'efforçait de lire du russe afin, disait-il, de comprendre les politiques de Lénine et Staline.

Sur le plan administratif, il fut vice-président de la section histoire et technique du CTHS et membre du conseil d'administration de la SHESVie (Société d'Histoire et d'Épistémologie des Sciences de la Vie). Il se vit confier l'organisation d'un colloque Lamarck lors de la réunion des Sociétés savantes à Amiens, en 1994. Et il avait été à l'initiative d'un autre colloque, sur les 200 ans de la Philosophie zoologique, qu'il devait diriger avec Francis Dov Por de Jérusalem, en août dernier, à Paris, à l'occasion du XXe Congrès international de zoologie, quand la maladie l'empêcha d'y participer.

Goulven Laurent

Pour ma part, je l'avais rencontré dans les années 70, au séminaire de Jacques Roger, alors que nous préparions notre thèse. Il soutint la sienne, dirigée par Jacques Roger, en 1984, à Paris. Notre ami Philippe Taquet, ainsi que Charles Gillispie, le célèbre historien des sciences américain, étaient membres de son jury. Elle fut publiée en 1987, dans les éditions du CTHS sous le titre Paléontologie et évolution en France (1800-1860), de Cuvier-Lamarck à Darwin. " Un sujet d'intérêt ne se dicte pas, il se choisit ", dit-il dans l'introduction pour revendiquer la décision de son étude. Il explique qu'il est parti de la découverte qu'entre Lamarck et Charles Darwin n'existe pas le " désert " qu'ont cru déceler tant d'auteurs. Au contraire, veut-il montrer, développant une " thèse " au sens ancien du terme, que des discussions sans fin se sont produites, qui aboutirent à donner raison aux idées de Lamarck.

" Dans le cours de son exposé, dit Charles Gillispie, dans la préface de l'édition de sa thèse, il fit parfois allusion aux interprétations - avec lesquelles il n'est pas toujours d'accord - de ceux qu'il appelle les historiens anglo-saxons, établissant ainsi entre les deux côtés de l'Atlantique, une relation plus évidente pour un Français que pour un Anglais ou un Américain. Il n'en est que plus agréable, pour l'un de ces historiens, d'être appelé à fournir par le biais de cette préface sa contribution à l'étude lumineuse et de grande envergure de Goulven Laurent. Quelles que soient les petites différences qui peuvent subsister entre nous sur le caractère indispensable du principe de la sélection naturelle dans la théorie moderne de l'évolution, il n'y a pas le moindre doute que Goulven Laurent a réussi à démontrer la responsabilité historique de Lamarck dans le succès du transformisme parmi les naturalistes français au temps de Darwin et par la suite ". Si je cite longuement la conclusion du professeur de l'université de Princeton c'est que je partage ses réserves sur le fond de la thèse, mais que j'adhère comme lui à l'intérêt indiscutable des textes présentés dans ce travail, qu'aucun de nous ne peut se dispenser de connaître.

La thèse est divisée en deux parties. La première sur la bataille des fondateurs, Lamarck et Cuvier. La seconde sur la bataille des disciples : d'abord Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, troisième fondateur, ainsi qu'Étienne Serres, Julien-Joseph Virey, J.-B. Bory de Saint-Vincent, Frédéric Gérard, auteur du premier exposé de la théorie scientifique de l'évolution (dans le dictionnaire de Charles d'Orbigny), Jean-Jacques d'Omalius d'Halloy et Isidore Geoffroy Saint-Hilaire.

L'œuvre classificatrice de Lamarck le fascine. Personne ne lit plus, regrette-t-il, les sept volumes de l'Histoire naturelle des animaux sans vertèbres (1815-1822). Il fera en 1998, à la réunion de l'INHIGEO, tenue à Neuchâtel, un exposé, publié l'année suivante dans Eclogae geol. Helv., sur les mérites comparés de Lamarck et Cuvier en matière de description d'animaux, pour conclure évidemment à la supériorité du premier. Il y reprend le rôle des analogues déjà présenté dans les travaux du COFRHIGEO en 1996. Et s'efforce de montrer comment Lamarck passe de sa philosophie du continu (celle que développera Charles Lyell avec son uniformitarisme) à la science du discontinu, en présentant ses séries rameuses. C'est le point sur lequel il s'éloigne de Charles Gillispie. Ce dernier, en effet, suite aux travaux du philosophe français Henri Daudin (1926), oppose un Lamarck taxinomiste, celui de la Flore françoise (1778), comme de l'Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, au Lamarck spéculatif des théories tant en chimie (théorie pyrotique) qu'en matière de transformisme où il côtoie la philosophie de la nature des auteurs allemands. Tandis que Goulven lie sa taxinomie à son transformisme.

Les autres ouvrages de Goulven Laurent portent pour la plupart sur Lamarck ou sur divers aspects du transformisme. Rappelons qu'il fut l'éditeur scientifique des actes du colloque d'Amiens sur Lamarck en 1994. Il est aussi l'auteur d'un petit ouvrage intitulé La Naissance du transformisme. Lamarck entre Linné et Darwin, publié chez Vuibert en 2001, dans lequel il résume son plaidoyer pour le naturaliste français. Il a également publié avec Jacques Roger des Articles d'Histoire naturelle de Lamarck, en 1991 chez Belin.

Il est aussi l'auteur, outre une postface à la réédition du Discours sur les révolutions de la surface du globe, de Cuvier, en 1985, de multiples articles parus tant dans la Revue d'Histoire des Sciences que dans Histoire et Nature, le Centre d'études sur l'évolution de l'Homme et de la Nature (CEHN), et naturellement les Travaux du COFRHIGEO. Les sujets traités, outre son article sur Lamarck, De la philosophie du continu à la science du discontinu, portent sur Constant Prévost, J.-J. d'Omalius d'Halloy, Ducrotay de Blainville, Louis Agassiz, Albert Gaudry, le père Teilhard de Chardin, Georges Cuvier, Ami Boué, Alphonse Milne-Edwards, Bruguière, Bronn, Lyell ou Geoffroy Saint-Hilaire.

On peut y ajouter des exposés faits à l'université d'Orsay, au colloque Cuvier de 1982, à Montbéliard, au centre François Viète de Nantes (2003). Et des participations à une étude de l'Encyclopédie théologique de Migne, à un numéro des Cahiers de Science et Vie, 1991, un colloque à Morgat en 1997, repris en 2007 à Lille, dans une réunion de la Société d'Histoire des Sciences et des Techniques sous le titre Pour une histoire des sciences à part entière. Il y défendait l'histoire historique contre ce qu'il nommait l'histoire idéologique.

Je garde aussi la mémoire d'une discussion entre nous, tenue à Garchy, dans la Nièvre, en 1986, lors d'une école de printemps sur l'histoire des sciences et des techniques. Nous y avions exposé nos conceptions divergentes sur la place de Lamarck dans la fondation de l'évolutionnisme, en utilisant des textes de l'auteur. Et je me rappelle que Jacques Roger qui présidait notre échange avait montré en conclusion que nous avions tous deux raison, mais que si nous étions en désaccord, c'est que l'ambiguïté se trouvait chez Lamarck lui-même. Il s'agissait de décider si la chaîne des êtres présentée par Lamarck correspondait à une réelle vision historique de la série des formes vivantes ou au fameux escalator envisagé naguère par Charles Gillispie (in Forerunners of Darwin, 1959).

Remerciements : Je dois à l'obligeance de Madame Quinquis, de Brest, les renseignements biographiques inclus dans cet hommage.

Présentation succincte des travaux

Ouvrages

  1. " Postface ", in Cuvier, Discours sur les révolutions de la surface du globe. Bourgois, Paris, 1985.
  2. Paléontologie et évolution en France (1800-1860). De Cuvier-Lamarck à Darwin. Éd. CTHS, 1987.
  3. Colloque Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829), Amiens 1994. G. Laurent éd., CTHS, 1997.
  4. La Naissance du transformisme. Lamarck entre Linné et Darwin, Vuibert, 2001.
  5. Lamarck. Articles d'histoire naturelle. En coll. avec J. Roger. Belin, 1991.

Principaux articles

1975

  1. De la philosophie du continu à la science du discontinu. Revue d'Histoire des Sciences, 28, p. 327-360.
1976
  1. Actualisme et antitransformisme chez Constant Prévost. Histoire et Nature, 8, p. 33-51.
1977
  1. Le cheminement d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844) vers un transformisme scientifique. Revue d'Histoire des Sciences, 30, p. 43-70.
  2. D'Omalius d'Halloy et la naissance de la paléontologie évolutive. Travaux du Comité fr. Hist. Géol., (1), n° 7, 5 p.
1978
  1. La paléontologie de Blainville (1777-1850) : support ou ruine du fixisme. Histoire et Nature, 12-13, p. 83-96.
1979
  1. Louis Agassiz (1807-1873) fixisme et idéologie, ou les raisons de croire au fixisme quand on en a soi-même ruiné les fondements. Travaux du Comité fr. Hist. Géol., (1), n° 18, 9 p.
  2. Un néo-lamarckien américain, Edward Drinker Cope (1840-1896). Revue de Synthèse, Tome C - série générale, n° 95-96, p. 297-309.
1980
  1. Gaudry et la nomenclature. Revue de Synthèse, n° 99-100, p. 297-312.
  2. Lamarck, Gregory. In Table ronde temps court-temps long. Travaux du Comité fr. Hist. Géol., (1), n° 25, 3 p.
1981
  1. Lamarck et la paléontologie. Annales CEHN, 1, p. 27-48.
  2. Lyell et Lamarck. Histoire et Nature, 19-20, p. 115-123.
  3. Paléontologie et évolution chez Teilhard de Chardin, Travaux du Comité Fr. Hist. Géol., (1), n° 38, 10 p. Réimprimé in ELLENBERGER, F. (Dir.) : Essais sur l'Histoire de la Géologie en hommage à Eugène Wegmann. Mém. Soc. géol. France, 168, p. 97-100 (1995).
1982
  1. Cuvier et le catastrophisme. Actes Symposium paléontologique Georges Cuvier, Montbéliard, p. 337-346.
1983
  1. Cuvier et la loi de corrélation des organes. Annales CEHN, 2, p. 47-54.
  2. Lamarck et l'évolution au XIXe siècle. In Sciences et Révolution (1770-1830), Publ. Centre interdisc. Etude Évol. Idées, Sciences et Techniques (CIEEST), Univ. Paris-Sud (Orsay), p. 43-63.
1985
  1. Cuvier et le catastrophisme. Travaux du Comité fr. Hist. Géol. (2), III, p. 27-40.
1989
  1. Idées sur l'origine de l'homme en France de 1800 à 1871 entre Lamarck et Darwin. Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, 1, (3-4), p. 105-130.
1990
  1. Le professeur. In Hommage à Jacques Roger (1920-1990). Travaux du Comité fr. Hist. Géol., (3), IV, p. 39-51.
1991
  1. Grandes controverses Darwin ou Lamarck. Cahiers Science et Vie, hors série n° 6.
1992
  1. Géologie et paléontologie : les nouvelles sciences. In LANGLOIS, C. et LAPLANCHE, F. (Dir), La science catholique, l'Encyclopédie théologique de Migne (1844-1873) entre apologétique et vulgarisation. Éd. du Cerf, Paris.
1993
  1. Ami Boué, sa vie et son œuvre. Travaux du Comité fr. Hist. Géol., (3), VII, p. 19-30.
1996
  1. Le rôle des fossiles " analogues " dans la théorie de l'évolution. Travaux du Comité fr. Hist. Géol., (3), X, p. 129-148.
  2. Lamarck et l'évolution au XIXe siècle. Impacts - Revue de l'Université catholique de l'Ouest, n° 3, p. 3-24.
1997
  1. Pour une histoire des sciences à part entière. CRDP Bretagne-Rennes.
  2. Paléontologie et évolution : état de la question en 1850, d'après l'œuvre de Heinrich-Georg Bronn (1802-1862). In GOHAU, G. (Éd.), De la Géologie à son histoire, Paris, CTHS, p. 175-188.
  3. Cyrille Grand'Eury, paléontologie végétale, fixisme et transformisme. Bull. Histoire et Epistémologie des Sciences de la Vie, 4, (1), p. 11-22.
1999
  1. Lamarck (1744-1829) et la paléontologie. Eclogae Geol. Helv., 92, p. 115-121.
2000
  1. Alphonse Milne-Edwards (1835-1900) et le transformisme. Travaux du Comité fr. Hist. Géol., (3), XIV, p. 107-118.
  2. Influence des géologues français sur Lyell. Sciences et techniques en perspective, 4, 2, p. 259-275.
2002
  1. Jean-Guillaume Bruguière (1750-1798) et les débuts de la paléontologie des invertébrés. Travaux du Comité fr. Hist. Géol., (3), XVI, p. 37-46.
2003
  1. La réception du darwinisme en France. Un cas exemplaire : Darwin et de Quatrefages. Cahiers François Viète, 6, p. 139-156.
  2. La catastrophisme chez Cuvier et son disciple Élie de Beaumont. In PINTO, M. S. (Ed.), INHIGEO Meeting Portugal 2001: Proceedings of the 26th Symposium (University of Aveiro, 2003), p. 257-271.
2006
  1. Paléontologie et évolution : la Société géologique de France, " espace de liberté " (1830-1860). Travaux du Comité fr. Hist. Géol., (3), XX, p. 1-11.