TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.X (1996)

Gaston GODARD
Peiresc, Gassendi, Menestrier, La Ferrière, Gilles de Loches... : Un cercle méconnu de "géologues" au début du dix-septième siècle

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 12 Juin 1996) Réunion commune COFRIGÉO/SGF

Quoique peu connu du public, Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (1580-1637), conseiller au parlement d'Aix-en-Provence, peut être considéré comme l'un des grands esprits du dix-septième siècle. Tout à la fois juriste, naturaliste, astronome et historien, cet amateur curieux de tout échangea des milliers de lettres avec les savants d'Europe et d'Orient. Cette correspondance est dispersée dans quelque 180 recueils à Carpentras, à Aix, à Montpellier, à la Bibliothèque nationale... ; elle fut en partie publiée par Ph. Tamizey de Larroque à la fin du siècle dernier.

Je n'ai pu dépouiller jusqu'à présent qu'environ les deux tiers de ces manuscrits. La présente note ne doit donc être considérée que comme une étude préliminaire. Je souhaite publier dans le futur un article plus substantiel comportant en annexe des extraits des manuscrits les plus intéressants.
Quoique la "géologie" -le mot n'existait pas encore - ne fût pas la principale des préoccupations de Peiresc, on trouve, en glanant dans cette masse de manuscrits, de nombreux documents relatifs à cette discipline. Ecrits en français, en italien ou en latin, ils représentent un total d'environ quatre cents pages manuscrites. Ils nous livrent des idées et observations "géologiques" que Peiresc échangea avec plusieurs savants et érudits vivant aussi bien en France, qu'en Italie, à Tunis ou en Orient : Pierre Gassendi, Claude Menestrier, Jacques de La Ferrière, les RR. PP. Gilles de Loches et Célestin de Sainte-Lidivine, Thomas d'Arcos de Tunis, Jacques Gaffarel, dal Pozzo, le portugais Alvarez, les frères Dupuy et même Galilée ou encore Herryard, "joaillier du grand Mogol à Lahor"...

Les paragraphes suivants résument les idées de Peiresc et de ses correspondants sur certains aspects de la géologie.


Dessin d'une empreinte de fleur.
"Flos lapidescens; trouvée à la campagne de Mr Porciolx au diocèse d'Aix, et donné par [... illisible] à M. le Comte de la Jarre". Extrait de : "Antiquitez, du Cabinet de Peiresc dessinées par Poussin, Rubens et autres [...]", Bibl. nat. de France, estampes, ms Aa54rés.
On trouve dans les manuscrits de Peiresc quelques références à diverses illustrations (plan de l'Etna, vue du Vésuve en éruption, fossiles du Monte Mario, dessin de la dent fossile trouvée par d'Arcos, etc.). Ces documents semblent avoir presque tous disparus. L'empreinte représentée ci-dessus appartient à la flore fossile du bassin d'Aix qui sera étudiée au dix-neuvième siècle par Gaston de Saporta. Il s'agit vraisemblablement d'un calice de Heterocalyx Ungeri Sap. (anacardiacée). Ce dessin est extrait d'un recueil qui fut conservé pendant plus d'un siècle à l'Abbaye Saint-Victor de Paris (située à l'emplacement de l'actuel campus Jussieu) puis déposé à la Bibliothèque nationale lors de la Révolution française.

La disposition des strates et des montagnes

Peiresc décrit par de longues périphrases la stratification des terrains sédimentaires qu'il avait observée avec son ami Gassendi. Il avait une idée claire de la continuité des strates dont il décrivit la disposition symétrique sur les deux versants de la vallée de l'Arc, au sud d'Aix-en-Provence. Selon lui, les couches s'étaient déposées avec leur pendage actuel. Leur direction habituelle allait "du Levant au Ponant", direction qui était aussi, selon lui, celle des chaînes de montagne. Il interrogea Thomas d'Arcos et le père Célestin de Sainte-Lidivine sur la direction des strates et des montagnes de Tunisie et du Liban : Ne seraient-elles pas aussi dirigées "du Levant au Ponant" ? "Du Levant au Ponant" revient plus de cent fois sous la plume de Peiresc, d'une manière quasi-obsessionnelle qui révèle l'attachement de Peiresc à une théorie qu'il n'a pas formulée mais qui transparaît lorsque l'on tente de lire entre les lignes : du fait de la rotation de la Terre sur elle-même, les vents et les courants marins doivent être préférentiellement dirigés "du Levant au Ponant".

D'après ses écrits, il apparaît évident que Peiresc était copernicien. Il correspondait avec Galilée qu'il avait connu lors de ses études à Padoue. Il correspondait aussi avec le pape Urbain VIII (Maffeo Barberini) et entretenait des relations cordiales avec le cardinal-neveu Francesco Barberini. Il se trouva donc dans une position délicate et ambiguë lors du procès Galilée. Il eut alors le courage de plaider la cause de ce dernier auprès des Barberini, se gardant bien toutefois d'argumenter sur le fond de l'affaire.
On doit donc retrouver cette direction privilégiée dans les couches de terrain puisque celles-ci se sont déposées avec leur pendage actuel selon une direction nécessairement parallèle aux courants. La démarche de Peiresc illustre les dangers de la méthode déductive : la révolution copernicienne l'amène à imaginer une théorie sur la direction des courants et, de là, sur celle des strates et des montagnes. Il tente alors de rassembler des faits, mais ne peut s'empêcher de dénaturer certains d'entre eux pour les rendre compatibles avec sa théorie. Ainsi considère-t-il les Alpes franco-italiennes comme un alignement nord-sud de montagnes orientées d'est en ouest, "a les prendre par vallées separées les unes des autres". Gassendi, quant à lui, était plus critique : "la disposition des montaignes qui ont quelque notable longueur, fait-il remarquer à Peiresc, n'est point toujours du Levant au Couchant. Du lieu dont je vous escrys [Digne], j'en ay une tout devant mes yeulx, qui va plustost du Midi au Septentrion".

Peiresc ne perçut pas que les strates s'étaient déposées à l'horizontale. Il était donc bloqué en deçà d'un important seuil conceptuel qui ne sera franchi pour la première fois qu'avec Sténon quelques années plus tard. Ainsi, ne pouvait-il pas clairement concevoir le principe de superposition et encore moins le rôle de la tectonique.


Peu après 1647, une grande partie du cabinet de Peiresc fut acquise par Achille de Harlay puis cédée en 1671 au cabinet de l'Abbaye Sainte-Geneviève de Paris. La description de ce cabinet par le père du Molinet (1692), permet de reconnaître quelques pièces qui ont ou semblent avoir appartenu à Peiresc. Tel pourrait être le cas de la "pierre étoilée" (polypier Stephanocoenia du Crétacé supérieur : n° XI ci-dessus), du "champignon pétrifié" (coelentéré : n° X), ou encore du "bois fossile" (d'Acquasparta ? : n° XVII), dont il est question dans les manuscrits de Peiresc. Les collections furent dispersées lors de la Révolution française. La plupart des collections d'histoire naturelle demeurèrent néanmoins dans les bâtiments de l'Abbaye (actuel Lycée Henri IV) où elles furent utilisées à l'enseignement des sciences naturelles et finirent par disparaître peu à peu (Cf. F. Zehnacker et N. Petit, Le cabinet de curiosités de la bibliothèque Sainte-Geneviève des origines à nos jours, Paris, 1989,184 p.).
[La planche ci-dessus est extraite de : C. du Molinet, 1692, Le cabinet de la bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris, Dezallier, in-f°. 224 p.]

"La formation des cailloux"

Peiresc pensait que les galets des rivières se forment in situ par "coagulation" et "congélation" de matière molle. Il tenta d'étendre cette idée à l'ensemble des roches, prenant pour exemple les concrétions des cavernes où l'eau chargée de "germe de pierre [...] se caille en sorte qu'il forme des chandelles ou gouttieres". Les idées de Peiresc, au demeurant assez communes à l'époque, sur la "coagulation" des roches sous l'effet d'une "semence" étaient partagées par Gassendi qui en fera l'exposé dans sa biographie de Peiresc et dans son "syntagma phitosophicum".

Biographie de Peiresc : cf. R. Lassalle,1992, Peiresc: 1580-1837. Vie de l'illustre Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, conseiller au parlement d'Aix par Pierre Gassendi [traduit du latin], Paris, Belin, 351 p. [cf. notamment pp. 196-200],
F. Ellenberger (1988, Histoire de la Géologie, t. 1, pp. 224-232) a donné une analyse détaillée des idées exposées dans ce dernier ouvrage.

Les fossiles

Peiresc et ses correspondants ne doutaient pas que les fossiles fussent d'anciens organismes, notamment marins. Mais l'idée qu'ils s'en faisaient était parfois assez éloignée de la nôtre. Le père Gilles de Loches envoya à Peiresc des "figues fossiles" qui semblent être des spongiaires du Sénonien de Touraine. Quant aux "pierres etoiles" (pentacrines), il s'agirait de "lombrics marins" dont les "annelets" se seraient farcis de terre.

Dans sa correspondance avec Peiresc, Claude Menestrier relate ses observations sur les fossiles du Monte Mario près de Rome. En janvier 1629, il utilisa une toute nouvelle invention de l'époque, "les lunettes qui multiplient", pour observer les microfossiles de ce célèbre gisement. Ce texte est émouvant : il relate vraisemblablement la première utilisation du microscope en sciences de la Terre. Menestrier fait mention d'un mémoire qu'il reste à trouver et dans lequel il aurait décrit et figuré les fossiles étudiés. Un autre manuscrit, écrit par Jacques de La Perrière et mentionné dans la correspondance de Peiresc, était consacré aux "coquillages petrifiez de Chef Boutonne en Poictou" ; il semble avoir irrémédiablement disparu. On trouve en revanche des copies de lettres de Edmundius Brutius à Pinelli sur les roches et fossiles de la région d'Ipswich en Angleterre.

En juin 1636, le sieur Lombard, géomètre de la marine, effectua pour Peiresc un travail d'arpentage entre Toulon et les terrains fossilifères des environs de Belgentier dans le but de déterminer l'altitude de ceux-ci par rapport à la mer. Le problème, débattu depuis l'Antiquité, de l'élévation des fossiles par rapport au niveau de la mer, préoccupait donc Peiresc. Un curieux mémoire, demeuré anonyme mais adressé à Peiresc, tente de répondre à cette question. Il traite des "coquilles de mer qu'on trouue en terre ferme, particulièrement en Champagne". On y trouve une description des fossiles de la Montagne de Reims où "des esprits curieux [... se ] font porter souuent, pour voir et admirer, ou les restes d'vn deluge vniversel; ou les jeux & fantaisies d'vne terre industrieuse, & d'vne nature qui se delasse; ou les ouurages de quelques animaux, dont on ne sçait le nom, & dont l'espece est perdue [...]". L'auteur se prononce en faveur d'un déluge sans se référer précisément au déluge biblique.

La question de l'origine du "bois fossile" - comprenez des lignites - d'Acquasparta en Italie passionnait Peiresc. Il ne cessait d'exhorter La Perrière, Menestrier et Gabriel Naudé à entreprendre le voyage depuis Rome, et ses manuscrits renferment les observations de ceux-ci. Après la mort de Peiresc, Naudé en publia une synthèse bien étrange [ cf. pp. 667-668 de l'ouvrage de Gabriel Naudé sur les mazarinades (Jugement de tout a qui a esté imprimé contre le cardinal Mazarin, etc.)] : "voyageant par l'italie, j'eus la curiosité d'aller voir vne mine ou carriere de bois fossil, ou estimé tel, qui estoit proche la ville d'Aquasparta & de laquelle vn des Lyncées nommé Stelluti avoit fait vn liure par commandement dudit Duc Federic [Cesi] : Mais quoy que toute cette Academie [dei Lincei], & vn certain Claude Menestrier de Besançon, que l'on disoit avoir esté grand Naturaliste, ou plustost grand Fabuliste, puis que tout luy estoit bon, comme aussi le Medecin du Cardinal de Lyon [La Ferrière], eussent iugé que ce bois estoit fossil, ie trouuay après l'avoir bien obserué, & auoir deterré en fouillant sur les lieux, des bastons, des planches, des douues, des poûtres, des troncs d'arbres, & plusieurs sortes de bois noüeux, poly, fourchu, droit, tortu, garny d'escorce, ou dépoüillé d'icelle, couché en vn lieu, & debout en l'autre; ie reconnus dis-ie, que tout ce bois venoit de quelque forest écrasée auec tous les chantiers & magasins qui estaient en icelle, sous la cheute & le renuersement des terres plus hautes et plus voisines, dans les furieuses secousses & agitations d'un tremble-terre, comme fut l'an 1618. celuy qui escrasa sous le renuersement d'vne montagne la ville de Pioury aux Grisons".

Les "os de géants", la "licorne fossile" et le "Rocher du Dragon"

Peiresc s'intéressa à la fameuse affaire Theutobochus et à des découvertes similaires qui avaient eu lieu en Tunisie et en Italie. Dans tous ces cas, on avait prétendu qu'il s'agissait de sépultures d'homme géant. Comparant la dent fossile recueillie par d'Arcos près de Tunis avec celle d'un éléphant vivant - il n'hésita pas à plonger la main dans la gueule de l'animal -, Peiresc déduisit qu'il s'agissait de restes d'éléphants. On pense aujourd'hui que le prétendu géant Theutobochus découvert près de Langon en Dauphiné pourrait être un Deinothehum giganteum, proboscidien du Miocène. Une lettre relative à cette découverte écrite par un dénommé Nivolet et la réponse inédite de Peiresc nous sont parvenues ; elles méritent d'être versées au dossier déjà bien fourni de cette extravagante affaire.

Sur l'affaire Theutobochus, cf. L. Ginsburg, 1984, Annales de Paléontologie, 70 (3), 181-219 et L. Ginsburg, 1991, Gigantomachie ..., Travaux du Comité français d'Histoire de la Géologie, (3), V, 25-27.

Peiresc tenta aussi d'obtenir des informations sur une prétendue "licorne fossile" que l'on aurait découverte sur les bords du Rhin, et il remit en cause l'attribution des "cornes fossiles" aux légendaires licornes.

Près d'Aix-en-Provence, une chapelle avait été érigée sur un rocher nommé "Rocher du Dragon". On y trouvait en abondance des os pétrifiés et la croyance populaire attribuait ceux-ci aux victimes humaines d'un dragon qui aurait habité la région. Chaque année, le troisième jour de la fête des rogations, une procession précédée d'un dragon de papier se rendait à la chapelle pour rendre grâce à saint André d'avoir débarrassé la région de ce fléau. Peiresc étudia ces ossements dont il envoya des échantillons "par toutz les endroits de l'Europe èz mains des curieux" ; il identifia parmi ceux-ci des os de "chevaux" (Hipparions ?). Ce célèbre gisement de mammifères miocènes fut par la suite étudié par Guettard, Lamanon et Gaston de Saporta.

Rejetant les légendes héritées du Moyen Age, peu soucieux de rendre crédibles les textes anciens profanes ou sacrés [La Bible accrédite l'existence des géants et l'existence du géant Theutobochus, roi des Teutons, vaincu par le consul Marius, est rapportée par les historiens romains], Peiresc émettait diverses hypothèses sur l'origine des ossements observés qu'il s'efforçait de vérifier par comparaison avec des animaux actuels. Cette recherche est la plus connue - voire la seule connue - des contributions de Peiresc aux sciences de la Terre. Toutefois, les historiens, n'ayant pas consulté les manuscrits, n'en ont souvent donné que des relations très déformées. Cornelius de Pauw (1768-69), par exemple, en fit un récit certes très plaisant mais bien éloigné de la réalité : "les Turcs, qui connoissoient admirablement bien le penchant qu'avoient les Chrétiens d'alors pour tout ce qui venoit de la Palestine sous le titre de relique, envoyoient tous les ans de ces grands os [...] ; mais Mr de Peyresch, fatigué de voir arriver, par la voie de Marseille, toutes ces curiosités, s'appliqua plus que les autres savants, à en examiner la structure, & il parvint enfin à démontrer que ces os avoient appartenu à des éléphants, & conseilla à ses compatriotes d'aller acheter l'ivoire en Afrique, où les Nègres le donnoient à meilleur marché que les turcs". Curieusement, Wright (1926) introduisit aussi les éléphants d'Hannibal dans cette histoire : "[Peiresc] was also fortunate in having opportunities of examining a quantity of huge fossilized bones excavated from the soil of Provence, and commonly supposed to be those of the elephants of which Hannibal lost so many on his march northward"...

Les volcans

On trouve de nombreuses relations d'éruptions dans les manuscrits de Peiresc, surtout de celle du Vésuve de décembre 1631. Un témoin direct, Anthoine Truiller, relate les événements : "le port [de Naples] a demeuré sans eau et la proche de Nappoly a la montagne de some elle brusle feu espouuantable et jette d'eau qui a faict périr neuf villages & sont mortz cinq milles ames & dans nappoly toutes les rues sont couuertes de cendre Le vice Roy comtes barons gentilzhömes pauures & riches grandz & petits vont pleurant tout deschausséz criant misericorde". Un autre témoin affirme que "le 3 [eme] iour arriua vn autre prodige incroyable et fust que le port du dict Naples demeura sec sans eau, et ce fust que la dicte eau fust enleuée soubz terre et alla verser comme vn deluge dessus la dicte montagne [Monte Somma]".

Peu de temps après l'éruption du Vésuve, le père Gilles de Loches de retour d'Orient informa Peiresc de l'éruption d'un volcan d'Abyssinie. Considérant la simultanéité des deux éruptions, Peiresc suggéra que les deux volcans pussent avoir été connectés en profondeur, et que "la source de ce feu vinsse [...] de bien prez du centre de la terre".

"Minéralogie" et "pétrologie"

En 1635, Peiresc et Gassendi échangèrent des observations sur la cristallisation des sels. Atomiste convaincu, Gassendi écrit : "ces gros solides soient cubiques, soient octohedriques, ou autres, sont tous composez d'autres moindres, de mesme figure, et ceux cy d'autres moindres jusques à la résolution en de si menus, qu'ils sont presque insensibles et tousjours figurez de mesme, dont je conclus que ceux cy se vont encores resolvant jusques aux atomes, qui par quelque sorte de nécessité doivent estre de mesme figure". Il s'agit là d'une perception claire du concept de la maille élémentaire dont on attribue généralement la paternité à René-Just Haüy. Peiresc répond : "comme une seule goutte d'eau in potentia est cappable de retenir la figure ronde du globe entier de la terre et de l'onde, j'estime que chacun des corps cubiques du sel est cappable de se subdiviser en infinis aultres moindres corps cubiques, et possible touts les autres sels, et les pierres mesmes, sinon par simple fraction comme le sel, au moins par dissolution et recongelation, ayant souvent faict fondre un gros grain octohedrique d'allun, lequel faisant recailler, on formoit dix mille petits de pareille forme à la mere [...]".

Dans l'esprit de Peiresc, il y avait une confusion totale entre les concepts de "minéral" et de "roche", qu'il nommait l'un et l'autre "pierres". Il étudia quelques "pierres" aux propriétés physiques singulières : la "pierre nageante [= flottante] du Poitou" (silex nectique ?), la "pierre ployante du Cabinet de Mr Hallé" (mica), la "pierre à aiguiser du Gd Cuyer" et la roche luminescente de Bologne (barytine). Il entretint enfin une correspondance suivie avec les joailliers Alvarez, Fernand Nunes, Manuel da Costa et Herryard, "joaillier du grand Mogol à Lahor", les priant de "s'enquerir avec exacte curiosité de ce qu'ilz [...] pourront apprendre, principalement pour les lieux ou se trouvent les diamantz les rubis et autres piereries plus nobles et plus precieuses" et de faire connaître "ce qui est de la différence de toutes les figures plus regulieres et plus accomplies que la nature a données toutes certaines aux pierres precieuses, aussy bien quaux fruictz et aux fleurs [...]".

En septembre 1627, Peiresc reçut en sa demeure d'Aix un couple célèbre dans l'histoire de la minéralogie française : le baron et la baronne de Beausoleil qui furent plus tard embastillés pour avoir déplu au Cardinal de Richelieu. Les propos de Peiresc confortent leur réputation de charlatanisme : "Nous avons icy un [...] qui prend qualité de baron de Beausoleil [...] qui a une commission de Mr de Fiat [sic pour d'Effiat] pour les mines en ce royaulme. Lequel nous a faict voir des merveilles de la nature et de l'art par la transmutation des métaux. Il promet de faire voir naistre une plante entiere avec ses feuilles et fleurs dans une fiolle [...]". "J'entendz, ajoute Peiresc, que c'est un joueur de gobeletz, qui faict avec des cartes tous les tours de soupplesse de maistre Gonin". Aubéry rapporte à Peiresc le 23 août 1634 que "M. le baron du Soleil [sic] a esté banny de Rome et de tout l'Etat ecclesiastique. [...] La femme et enfans se sont retirés aussy sans trompette. Paol Jourdan, la duchesse Sforce et quelques autres qui ne s'en osent venter, y sont pour six ou sept cens pistoles".

Signalons enfin que les manuscrits de Peiresc comportent, pêle-mêle, des notes sur de nombreux autres sujets : le "Tariffe des minières que le sr Ducayre faict travailler en Prouvance" ; la fontaine de pétrole de Gabian ; les "mines de charbon du sr de Saint-Martin" ; l'origine de La Crau ; une "recette pour blanchir l'amethiste" par la chaleur ; le "lythoxilon, sur le terroir de Robion" ; l'ambre de la Baltique ; le "Terremoto de Sansevero" ; Belle Isle en Bretagne et "la qualité particulière des lieux les plus remarquables d'icelle" ; etc.

Conclusion

Les manuscrits de Peiresc permettent de préciser les connaissances et les idées relatives à la "proto-géologie" du début du dix-septième siècle, avant les apports de Sténon, à une époque relativement méconnue pour ce qui concerne les sciences de la Terre.

Sur l'histoire de la géologie dans la première moitié du 17ème siècle, cf. notamment R. Halleux, 1982, Revue d'Histoire des Sciences, XXXV, 111-130, et, bien sûr, F. Ellenberger (op. cit.).
Ils nous montrent surtout l'existence de tout un cercle d'érudits, français et italiens, intéressés à cette discipline. Ce cercle était animé par Peiresc et il disparut avec lui en 1637. Son existence demeura par la suite totalement méconnue car, à l'exception de quelques pages de Gassendi, ses travaux ne furent jamais publiés. La contribution de ces érudits aux progrès de la "géologie" fut donc malheureusement très faible. Enfin, on retiendra l'étonnante formulation par Pierre Gassendi du concept de la maille élémentaire, un siècle et demi avant René-Just Haüy.