COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 12 mars 2008)
Résumé.
Les prémices de la géologie officielle doivent être recherchées dans les travaux confiés à des collaborateurs, par Charles de Lorraine, gouverneur général des " Provinces belgiques " pendant la Période autrichienne (1714-1790). Une des premières réalisations fut la confection de la carte de Ferraris (1777). La mode des cabinets de curiosités, dont un des plus célèbres était celui du gouverneur général, conduisit au recrutement de gestionnaires et de scientifiques susceptibles d'en établir des inventaires et d'en accroître les collections. En 1772, l'impératrice Marie-Thérèse crée l'Académie impériale et royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles et encourage les membres à diriger leurs recherches dans un but utilitaire. La Période française (1790-1815) voit l'émergence du " père de la géologie belge " J.-B.-J. d'Omalius d'Halloy. La brève Période hollandaise (1815-1830) fut féconde pour les Sciences de la Terre. Non seulement, le roi lança l'initiative de la création d'un comité pour la préparation d'une carte géologique et l'érection de chaires de géologie et de minéralogie dans nos universités, mais encore l'Académie sollicita des mémoires relatifs à la constitution géologique de nos provinces. Ces travaux devaient se poursuivre après l'indépendance de notre pays et le rédacteur du mémoire concernant la province de Liège devient l'auteur de la première carte géologique détaillée du Royaume. Après le décès prématuré d'André Hubert Dumont, ses successeurs proposèrent le levé d'une carte géologique à 1/20 000e. Cette initiative entraîna ce que l'on a appelé très justement la " crise de la géologie belge " qui divisa profondément, et pour longtemps, les géologues de notre pays et entraîna la création de deux sociétés géologiques (1887) et d'un Service géologique renouvelé en 1896.
Mots-clés : Académie de Bruxelles - Cabinets de curiosités - Cartes géologiques - Mémoires couronnés - Période autrichienne - Service géologique de Belgique - Sociétés géologiques.
Abstract.
The beginning of geological research in Belgium is linked to the Austrian Period (1714-1790) and especially to the personal interest of our governor Charles of Lorraine who owned a curiosity cabinet and was surrounded by eminent scientists. The Imperial Academy of Brussels was created by Maria-Theresa of Austria in 1772 and the members invited to work on applied research.
J.-B.-J. d'Omalius d'Halloy, known as the "father of the Belgian geology" started his long career during the French Empire. During the brief Dutch period (1815-1830) a comity was erected to prepare a Geological map and chairs of geology and mineralogy were created in the universities. The Royal Academy sollicitated memoirs on the geological constitution of our provinces. A first geological map of Belgium was produced by André Hubert Dumont (1849) and after his death; a proposal was made to make a detailed geological map of our country. After this proposal, a long lasting crisis started between Belgian geologists which caused the creation of a new Geological Survey and the splitting into two Geological Societies. Key words: Belgian Geological societies - Curiosity cabinets - Geological maps - Geological Survey - Austrian period - Royal Academy.
|
Depuis sa fondation en 1425, l'université de Louvain est, dans nos régions, le principal foyer d'études tant pour la médecine au sens strict que pour les sciences naturelles, qui lui sont subordonnées. C'est évidemment d'abord de la botanique dont il s'agit, mais la minéralogie touche également à la médecine dans la mesure où bon nombre de minéraux sont employés, soit dans les confections galéniques, soit dans les talismans de la médecine sympathique. (Opsomer et Halleux, 1998). Par ailleurs, la minéralogie touche aux arts industriels.
Nous laisserons à d'autres l'imagerie de l'alchimiste œuvrant à la transmutation dans les caves du château. Nous retiendrons cependant que les princes qui nous gouvernaient ont aussi et de tout temps chargé des contemporains de rechercher dans leur domaine des richesses naturelles qui pouvaient, soit remplir leurs caisses, soit être utiles à l'industrie ou servir à leur gloire.
Louis XIV, par exemple, voulait faire de Versailles une vitrine de la France et montrer qu'il existait, dans son royaume, des marbres aussi prestigieux que ceux venant d'Italie.
Le duc d'Antin fut chargé de créer une administration pour la gestion du patrimoine marbrier et il chargea le contrôleur général des marbres Claude Tarlé, d'établir un premier rapport sur l'état des marbres du royaume. De plus, afin d'assurer le prestige royal, il fallait permettre aux Bâtiments du Roi de préempter les plus beaux blocs de marbre du royaume (Besc-Bautier et Du Mesnil, 1986).
En 1810, d'Omalius ne fut pas chargé par Coquebert de Montbret, directeur des statistiques, de lever une carte géologique, mais de réunir les matériaux d'une description géologique de l'Empire français. Sa mission consistait à connaître les ressources naturelles dans leur ensemble et à dégager les corrélations qui existent entre la nature des terrains et les productions agricoles (Laboulais, 2007).
La défaite de Waterloo eut comme corollaire la perte de territoires au profit des Pays-Bas, suivie de l'instauration d'une politique protectionniste. Héricart de Thury (1823) fut chargé d'établir un nouvel inventaire des potentialités en marbres des départements français, en vue de trouver en France des variétés succeptibles de remplacer les marbres noirs de Dinant, les marbres rouges de Rance, les Sainte-Anne et autres Barbençon.
La diffusion des connaissances ne peut se faire sans publications. L'imprimerie a été introduite chez nous en 1473 et le pôle intellectuel que constitue Louvain et la métropole commerciale d'Anvers en font très rapidement des villes d'imprimeurs et de libraires.
À la fin du Moyen Âge, ce que nous appelons aujourd'hui " sciences naturelles " se traite dans deux sortes de textes : les encyclopédies et les herbiers. Les encyclopédies sont des inventaires raisonnés de la création et les herbiers sont des répertoires, le plus souvent alphabétiques, de substances végétales, animales et minérales, utilisées seules ou avec d'autres pour la confection de remèdes.
À l'issue de la guerre de Succession d'Espagne, les Pays-Bas méridionaux passent, en 1714, sous l'autorité des Habsbourg d'Autriche et ce, jusqu'à l'annexion de la Belgique par les soldats de la République.
Une des premières préoccupations de nos nouveaux gouvernants fut de se faire confectionner une carte de leurs nouvelles possessions. Des cartes détaillées, publiées au début du XVIIIe siècle, à l'initiative de Eugène-Henri Fricx (1706-1712) étaient disponibles lorsqu'en 1759, l'impératrice Marie-Thérèse décida de faire dresser une carte des Pays-Bas autrichiens.
Le comte Joseph de Ferraris (1726-1814), alors directeur général de l'Artillerie, qui avait déjà plusieurs cartes à son actif, fut chargé de la réalisation d'une nouvelle carte, la plus exacte possible, reprenant avec le plus grand soin les moindres détails géographiques de nos régions. La carte est dite de " cabinet " car réservée à l'empereur, à son cabinet et à l'armée (1771-1774).
Afin de faire profiter le public de cette entreprise, Ferraris conçut une version à usage du grand public, terminée en 1777.
La carte de cabinet des Pays-Bas autrichiens, mieux connue sous le nom de carte de Ferraris, est en couleurs. Elle occupe 275 feuillets de 90 x 140 cm, à l'échelle de 1/11 520.
Cette carte est accompagnée de ce que nous appellerions une notice explicative de 4 000 pages, comprenant des renseignements historiques, géographiques, économiques, etc. Ce qui intéresse le géologue, c'est que nous y trouvons la localisation et une brève description des carrières et mines existantes avec une liste des productions (De Smet, 1977).
Cet immense document manuscrit de plus de 300 m2 était entré à la Bibliothèque royale de Belgique à la faveur du Traité de réparation de Saint-Germain-en-Laye (1919). Entre 1965 et 1977, le Crédit communal de Belgique (actuellement Banque Dexia) a entrepris la publication de l'intégralité de cette carte et de ses notices explicatives, ce qui l'a rendue très populaire dans notre pays.
Le comte Joseph de Ferraris est né, de même que Charles de Lorraine, à Lunéville, où sa famille, d'origine piémontaise, était établie depuis le début du XVIIe siècle. À l'âge de 9 ans, il entra en qualité de page à la cour de Vienne. Il s'adonna de bonne heure à l'étude des sciences exactes et surtout des mathématiques. Dès 1741, il était entré dans la carrière militaire. Vingt ans plus tard, il était général. En 1767, il devenait directeur général de l'artillerie dans les Pays-Bas autrichiens. Malgré son grand âge, il pris une part active à la campagne contre la France et fut fait feld-maréchal en 1807 (Hennequin, 1891).
Le cabinet de curiosités apparaît au XVIe siècle et rassemble, à côté des antiquités, des objets d'un type nouveau : les curiosités naturelles et artificielles, les raretés exotiques, les fossiles, les coraux, les " pétrifications ", les fleurs et les fruits venus de mondes lointains, les animaux monstrueux, des pièces d'orfèvrerie ou de joaillerie.
Au XVIIe siècle, le goût des curiosités se diffuse en Europe et les types de collectionneurs se multiplient. Le prestige des raretés fait de la collection un moyen de reconnaissance sociale. Au XVIIIe siècle, les collections de type scientifique deviennent fréquentes.
Une préoccupation de la noblesse et de la haute bourgeoisie était, dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, la création de cabinets d'histoire naturelle, accompagnés parfois de la parution des premiers ouvrages que l'on peut qualifier de scientifiques. On en comptait une bonne vingtaine en Belgique, dont au moins quatorze à Bruxelles (Stallaert, 2000).
Le gouverneur général Charles de Lorraine (1712-1780), frère de François 1er d'Autriche, et donc l'oncle de Marie-Antoinette, qui gouverna les " Provinces belgiques " de 1744 jusqu'à son décès, possédait un tel cabinet de curiosités. Il figurait parmi les plus réputés, au point d'être un but de visite pour les étrangers de marque passant à Bruxelles. De fait, le catalogue de vente du seul cabinet d'histoire naturelle comportait 577 pages, citant des milliers d'échantillons des trois règnes de la nature représentés dans cette collection prestigieuse. Des directeurs spécialisés, véritables scientifiques gagnés par l'encyclopédisme, géraient ce cabinet, et le prince lui-même en avait établi la description, vraisemblablement à l'intention des visiteurs qu'il guidait dans son palais (Galand, 2000).
L'abbé Louis-Hyacinthe d'Everlange-Witry (1719-1791), dont le goût très prononcé pour la physique et la minéralogie fut remarqué par le gouverneur général, fut nommé directeur de son cabinet de curiosités. À la mort de Charles de Lorraine, il fut chargé de dresser le catalogue de ses collections en vue de leur vente. Cet abbé, devenu chanoine de la cathédrale de Tournai, prolongea cette activité en collectionnant les fossiles de cette région. Il est entré dans l'histoire des sciences par sa présentation, en 1777, d'un mémoire à l'Académie Sur les fossiles du Tournaisis, et les pétrifications en général, relativement à leur utilité pour la vie civile (Piot, 1878). Ce mémoire est assorti de belles gravures représentant quelques-unes des pétrifications les plus remarquables de sa collection. Mais l'énumération reste teintée d'anecdotes et de commentaires sur les péripéties de la découverte ou l'usage que l'on peut en faire (Van Tiggelen, 1998). Cet ouvrage est le premier travail, au niveau mondial, consacré au calcaire carbonifère. La qualité de ses figurations paléontologiques a permis à G. Hahn, R. Hahn et C. Brauckmann (1986) de déterminer un des trilobites figurés et de rendre hommage à de Witry en lui dédiant le nouveau genre " Witryides ".
Le chevalier François-Xavier de Burtin (1743-1818), médecin de Charles de Lorraine, fut aussi un grand collectionneur. Son cabinet contient 12 000 pièces, réparties de la manière suivante : 5 000 pétrifications, noyaux [moules internes], empreintes et fossiles ; 4 000 coquilles, oursins, étoiles de mer, coraux, madrépores,… et autres productions de la mer ; 3 000 minéraux, cristallisations, pierres fines… Outre tout cela, il s'y trouve des semences, fruits, et autres parties intéressantes de végétaux exotiques ; des parties détachées remarquables d'animaux, comme têtes, cornes, mâchoires, dents, etc., des objets d'usage en pharmacie. Pendant la période française, le cabinet devient un objet de convoitise. Un commissaire est nommé pour dresser un inventaire, mais en même temps, 600 pièces sont prélevées et envoyées à Paris, au Jardin des Plantes. François-Xavier de Burtin les récupérera suite à un procès. Après sa mort, son fils essaiera, dans les années 1820, de vendre les objets d'histoire naturelle, notamment en Angleterre. De plus, François-Xavier de Burtin possédait un cabinet de livres rares (2 576 numéros sont mis en vente après sa mort) et, passionné d'art, il voyage en Europe pour collecter, échanger, vendre ou acheter des tableaux. Sa collection comprendra plus de 250 toiles qui datent du XVIe au XVIIIe siècle, avec une nette prépondérance du XVIIe siècle. La vente de cette collection sera aussi organisée par son fils (Stallaert, 2000).
François-Xavier de Burtin naquit à Maastricht, alors dans la principauté de Liège, et fit ses études à l'université de Louvain avant d'aller exercer la médecine à Bruxelles. Sa réputation grandit si bien, qu'il ne tarda pas à obtenir le titre de médecin de Charles de Lorraine et à être élu à l'Académie que l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche venait de créer en 1772.
Il fut chargé par l'empereur Joseph II de rechercher les productions naturelles utiles qui pouvaient devenir une source de richesse pour le pays. Dès 1781, il publie des travaux relatifs aux bois fossiles, puis un Voyage minéralogique de Bruxelles par Wavre à Court-Saint-Etienne. En 1784, il donne son œuvre capitale L'Oryctographie de Bruxelles ou description des fossiles tant naturels qu'accidentels. Dans cet ouvrage, qui devient célèbre dès sa parution, après avoir constaté que notre pays est à la traîne de l'Europe en ce qui concerne l'étude des sciences naturelles, il se voit " réduit à exciter ses concitoyens, à suivre un exemple si général, et à oser croire à leur tour, que le terrain qu'ils habitent ne leur offre pas en vain de si nombreux trésors ". À cette époque en effet, c'était " s'exposer au ridicule de ramasser des pierres utiles, qui ne renfermaient ni or ni argent " et de préciser que " dès le commencement de ma carrière je fus frappé de l'insouciance générale, pour ne pas dire du mépris, avec laquelle on accueillait dans le pays, une science qui formait la base de toute les autres ". Il s'attacha non seulement à exposer les avantages d'un cabinet public d'histoire naturelle, mais encore il indiqua la nécessité d'un enseignement public. Il faut, disait-il, des collections d'histoire naturelle et des chaires destinées à la vulgarisation de la science de la nature (Van Beneden, 1877). Il est probable que c'est grâce à son initiative que ce vœu a été exaucé en partie, puisque l'Institut royal des sciences naturelles de Belgique a eu pour germe le cabinet de Charles de Lorraine.
Comme le montre bien B. Van Tiggelen, François-Xavier de Burtin a apporté une contribution dans bien d'autres domaines. Il précise la notion de temps géologique dans la Réponse à la question de physique proposée par la Société de Teyler, sur les Révolutions Générales qu'a subi la surface de la Terre et sur l'ancienneté de notre globe qu'il publie en 1790. Le même naturaliste avait manifesté dans L'Oryctographie la perplexité dans laquelle le plongeait la découverte d'une hache de pierre sous plusieurs couches de terrain.
Malheureusement, les troubles révolutionnaires devaient sérieusement entraver ses recherches.
Le fossile caractéristique du Givétien a été dédié par son inventeur Defrance, à notre héros. Avant de s'appeler Givétien, cet étage du Dévonien moyen de l'Ardenne était connu sous le nom de " Calcaire à Stringocephalus burtini ".
Comme d'autres amateurs de l'époque, Charles de Lorraine manifestait un penchant pour l'alchimie, qui ne l'empêchait pas de se tourner aussi vers les découvertes scientifiques les plus récentes. Pour enrichir ses collections, il n'hésita pas à envoyer un certain Gilles-Jean de Moors dans le Limbourg et le Luxembourg afin de prospecter et de rechercher des minerais et des fossiles (Laloire, 1896). Plus tard, le Lorrain Oudot de Dainville partit en expédition en Russie afin d'acquérir de nouveaux échantillons (Galand, 2007).
Charles de Lorraine essaya aussi d'extraire le charbon dans le parc de son château de Mariemont (La Louvière), tenant soigneusement la comptabilité de ses expériences laborieuses, qui se soldèrent finalement par un échec financier, faute de pouvoir procéder assez efficacement à l'exhaure des eaux. Des spécialistes liégeois avaient pourtant été recrutés, mais les progrès technologiques n'en étaient encore qu'aux débuts, annonçant l'essor extraordinaire du siècle suivant. En explorant le sous-sol de Mariemont, Charles de Lorraine avait révélé la richesse pleine d'avenir de ce gisement de houille (Galand, 2007).
Les amateurs ne se contentaient pas de satisfaire leur goût de la collection, partagés entre prestige et rationalité. Leur souci de comprendre les engagea aussi à pratiquer des expériences et à faire part de leur intérêt pour la science à leur entourage.
C'est dans cet esprit que les hommes de science s'intéressèrent de plus en plus aux productions locales, essayant d'en tirer parti pour l'agronomie ou pour l'industrie extractive.
François-Xavier de Burtin offre un parfait exemple de collectionneur averti, dénombrant les fossiles, s'intéressant à leur classification et aux questions qu'ils suscitaient sur les origines du monde (Galand, 2000).
Faut-il rappeler la rosace, véritable vitrine de la richesse marbrière de nos régions, qui constitue toujours le clou de la visite du palais de notre ancien gouverneur général. La salle de l'Étoile doit son nom au motif central du pavement, probablement posé vers 1766 et heureusement conservé. Il est constitué par une étoile à 28 rayons dont chaque branche fut taillée dans un marbre belge différent. Au centre, sont gravés les noms d'origine de ces marbres dont certains ne sont pas sans poser quelques problèmes (voir Dumon, 1981). Cette rosace traduit superbement l'intérêt que Charles de Lorraine portait aux productions du pays, sa volonté de mieux les recenser et d'encourager leur développement en les faisant connaître.
Nous avons déjà signalé plus haut la création en 1772, par l'Impératrice, de l'Académie impériale et royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles, toujours appelée l'Académie thérésienne. Elle succédait à une " Société littéraire " créée, sous les auspices du comte de Coblentz, ministre plénipotentiaire de l'impératrice. Dès le début, les académiciens furent encouragés à diriger leurs recherches dans un but utilitaire, subordonnant " autant que possible les études agréables aux sciences utiles ", selon les vœux du chancelier Kaunitz, ce qui signifiait pratiquement la condamnation de toute recherche fondamentale, sacrifiée sur l'autel des résultats concrets à court terme (Galand, 2000). Suite à cela, l'activité scientifique fut incontestablement ranimée dans les Pays-Bas, d'autant que certains de ces académiciens se révélèrent éminents.
Parmi ceux-ci, outre l'abbé de Witry et François-Xavier de Burtin déjà cités, le naturaliste que l'histoire retient comme l'ancêtre des géologues belges est incontestablement Robert de Limbourg, dit le Jeune (1731-1792). Celui-ci naquit à Theux, en principauté de Liège. Dans la famille de Limbourg, on devenait médecin de père en fils. Tout naturellement, après ses études à Montpellier et un séjour à Paris, il rentrait à Theux qu'il ne devait plus quitter que pour rayonner aux alentours, tout en exerçant sa profession. C'est l'Académie de Bruxelles qui publia son premier mémoire, qui lui valut le titre de " Nestor de la Géologie ". Il a attiré l'attention sur les roches volcaniques de Steffen et les volcans de l'Eifel. Il fut aussi le premier à observer avec exactitude l'inclinaison des couches géologiques et à en inférer les mouvements tectoniques dont ils doivent être issus (Dewalque, 1894-1895).
La première place dans l'histoire de la géologie fut parfois, à tort, attribuée à dom Théodore-Augustin Mann (1735-1809), à cause de l'inversion dans la publication des premiers mémoires de l'Académie. Il naquit dans le Yorkshire, devint catholique et prieur du cloître de Nieuport. Après la dissolution des abbayes par Joseph II, deux charges épiscopales lui furent offertes mais il préféra rejoindre Bruxelles, où il se consacra à ses recherches. La liste de ses publications, de haute tenue scientifique, touchant à l'économie, à l'histoire naturelle et à la météorologie, s'allongea rapidement et sa réputation s'étendit. La révolution brabançonne vint interrompre ses travaux et lui causa quelques déboires, car il était considéré comme partisan de l'Ancien Régime. L'invasion française l'obligea à quitter le pays. Après une longue errance, il se réfugia à Prague, où il mourut (Renard, 1894-1895). L'activité de Mann s'exerçait sur une foule d'objets divers. " Frappé des analogies que révèlent les terrains d'une grande partie des Pays-Bas, de l'Angleterre et de la Basse Allemagne avec la disposition générale des rivages et du lit de l'Océan, [il] reconnaît que les eaux de mer ont dû recouvrir ces contrées bien avant les temps historiques " (Mourlon, 1880). Mann cherche à expliquer la retraite de ces eaux par l'hypothèse d'une éruption ignée dont l'un des principaux effets aurait été la rupture de l'isthme et du détroit du Pas-de-Calais. Il suppose aussi que la mer s'est de nouveau répandue sur nos contrées postérieurement à quelques déluges et tire " cette conjoncture de la présence sur certains points de coquilles et autres débris marins fossilisés dont il méconnut la véritable signification ".
Un contemporain de l'abbé Mann, dont nous ne connaissons que peu de choses hormis ses savants ouvrages de minéralogie, (Jean-) Louis de Launay (1740-1817), serait né dans les Pays-Bas autrichiens et mort à Vienne. On sait seulement qu'il était avocat au Conseil souverain du Brabant et membre de l'Académie de Bruxelles. Il devint greffier du Conseil des domaines et finances des Pays-Bas autrichiens (Dewalque, 1894-1895). J'ignore s'il existe un lien de parenté avec le célèbre minéralogiste homonyme français (1860-1938).
On lui doit de nombreux ouvrages dont un Essai sur l'histoire naturelle des roches (1786), un Mémoire sur l'origine des fossiles accidentels des provinces de Belgique, précédé d'un Discours sur la théorie de la terre et de Réflexions sur les atterrissements produits par des sédiments des eaux de mer (1779). Il s'attache à reconstituer une " minéralogie des anciens ". Sur la base des termes et des mentions de minéraux dans les écrits anciens, il tente de déduire de quel minéral il s'agit et d'établir ainsi les connaissances minéralogiques de nos ancêtres.
Mentionnons également qu'en 1802, Laurent-François Dethier (1757-1843) publie un Mémoire pour servir à l'histoire naturelle des fossiles des Pays-Bas qui reprend, sans le citer, les résultats originaux de son prédécesseur (Van Tiggelen, 1998).
Galeotti (1835) cite encore pour cette période, les travaux de Baillet sur les mines d'alun de la province de Liège ; sur le gisement de grès de la même province ; sur les mines de plomb de Vedrin, de Dourbes, de Vierves et de Sirault ; sur les mines de calamine de la Vieille-Montagne et sur la pyrite arséniale d'Enghien. Il cite aussi deux mémoires sur les mines de houille de la province du Hainaut, l'un par le préfet du département, l'autre par M. Gendebien. Galeotti ne cite ni dates ni références, mais l'on peut penser que nous sommes après 1795, date du rattachement à la France. Entre 1811 et 1815, l'ingénieur Bouesnel publia sept mémoires : sur le gisement des minerais dans le département de Sambre-et-Meuse ; sur la mine de zinc de la Vieille-Montagne ; sur les terres à pipe d'Andenne ; sur les minerais provenant de la mine de cuivre de Stolzembourg ; sur le gisement de minerais de fer dans la forêt de Soigne et sur les mines de houille du Fléru
Comme l'écrit très justement B. Van Tiggelen (1998), " avant même que la géologie ne gagne ses galons de science, l'espace belge a fourni matière à réflexion à des auteurs particulièrement observateurs et imaginatifs. Du côté de Tournai, l'abbé Everlange de Witry amasse une foule de fossiles animaux, parmi lesquels il reconnaît des oursins. La mer fut donc un jour, dans les temps reculés, sur ces terres - du côté de la montagne Saint-Pierre, on trouve des "dents de requins", des coquilles fossiles et même un fossile complet de mosasaure décrit par Jan-Pieter Minckelers, puis intégré par Cuvier dans son œuvre. Les variations de la ligne du littoral avaient été constatées avant l'ensablement du port de Bruges par dom Th. A. Mann ".
Après cette digression, revenons-en à la géologie " de service public ".
Décrire la vie et l'œuvre de Jean-Baptiste-Julien d'Omalius d'Halloy (1783-1875) qui est désigné, à juste titre, comme le père de le géologie en Belgique, nécessite plus d'une centaine de pages, tant cette vie fut féconde et multiple (Dupont, 1876 ; Groessens et Groessens-Van Dyck, 2007). Ce fils unique, d'une famille d'aristocrates liégeois, se rend à Paris pour parfaire son éducation et apprendre les usages de la bonne société. Mais, délaissant les occupations mondaines, il suit les leçons que donnent les grands savants au Muséum du Jardin des Plantes. En 1808, il publie dans le Journal des Mines son Essai sur la géologie du nord de la France qui lui vaut d'emblée une notoriété des plus flatteuse. Il évite son incorporation dans la Grande Armée grâce à Coquebert de Montbret, directeur de la statistique qui le chargea de dresser la carte minéralogique de l'Empire.
Il achève le tracé de sa carte géologique, qu'il remet en 1813, avec un mémoire explicatif, au Conseil des Mines : les événements allaient retarder, jusqu'en 1822, la publication de cette œuvre qui créait le canevas géologique de l'Europe occidentale. Après avoir été gouverneur de la province de Namur sous la période hollandaise, il se retire dans son château après la Révolution belge de 1830 et publie des Éléments de géologie qui seront réédités à sept reprises. Il s'intéresse aussi à la Classification des connaissances humaines (1834) et à la Classification des races humaines (1839). Adepte convaincu du transformisme, il peut être considéré comme l'un des premiers propagateurs de l'idée d'évolution sur le continent (Groessens et Groessens-Van Dyck, 2007).
La courte période d'union entre les Pays-Bas et la Belgique n'avait attiré que peu l'attention des historiens des sciences, tant en Belgique qu'aux Pays-Bas. Cette lacune a été heureusement comblée par une publication récente de G. Vanpaemel (2004). Comme le soulignait cet auteur, le contraste entre le nord et le sud est particulièrement frappant en géologie. Alors que la géologie des provinces septentrionales n'a pas suscité beaucoup d'intérêt, les couches de charbon et la sidérurgie du sud ont induit une longue tradition de recherches géologiques.
Nous savons aussi, que le roi lui-même était un initiateur du développement minier et industriel du sud de son royaume.
En 1825, le roi créait un comité pour la préparation d'une carte géologique des Pays-Bas du sud. Ce comité était composé de J. Van Breda (1788-1867), professeur à l'université de Gand, d'Omalius d'Halloy, du colonel J. E. Van Gorkom et de P. M. Bouesnel, ingénieur en chef à Liège. Le but de cette carte était essentiellement utilitaire. Cette carte aurait dû être terminée en 1829, mais le travail n'a pas été plus loin que les préliminaires (Vanpaemel, 2004). Après la Révolution belge, les enseignants et militaires s'en retournèrent aux Pays-Bas (Walschot, 1998).
Cependant, un " Comité technique chargé de parcourir le pays pour recueillir les matériaux en vue de la confection d'une carte géologique du royaume " vit le jour. Le roi confia ce travail à des officiers du Génie, dont nous rappellerons les noms : les lieutenants Van Voorst et Van Panhuys, les capitaines Prisse et Roloff et le major Van Swieten. Les connaissances de ce dernier seront mises à profit lors des recherches de houille dans le Limbourg hollandais en 1853-1856. Ces officiers parcoururent la partie méridionale de notre pays et ils ont laissé un grand nombre de rapports manuscrits, dont l'intérêt réel fait regretter vivement qu'ils soient restés dans l'oubli, tout comme leurs auteurs d'ailleurs.
Signalons également la création de chaires spéciales de minéralogie et de géologie dans les universités de la Belgique, à l'athénée de Namur, à l'École de médecine et au musée de Bruxelles, qui a contribué à propager le goût de ces sciences parmi nos jeunes compatriotes (Galeotti, 1835).
Pour la même période, nous avons retrouvé le texte d'un arrêté royal du 2 octobre 1817, créant un " Dépôt central de minéralogie et de géologie nationale ", qui est une sorte d'ancêtre d'un service géologique. Ce dépôt, établi auprès du ministère du Waterstaat et des Travaux publics, vise à récupérer et à rassembler " tous objets intéressant la minéralogie, la géologie ou l'histoire, qui pourront être découverts dans des fouilles ou travaux effectués dans le royaume, etc. " ; de même " tout titulaire d'autorisation ou de concession pour l'exploitation de mines, sera tenu d'adresser gratuitement audit dépôt une série complète des produits de son exploitation ". Dans un souci pédagogique, il est prévu de compléter les collections analogues dans les diverses universités du royaume. Le premier conservateur de ce dépôt sera Dekin, conducteur des mines. Un arrêté royal du 25 janvier 1841 transfère le dépôt de géologie et de minéralogie à l'École spéciale des mines qui avait été instituée auprès de l'université de Liège, nouvellement fondée en 1838. Les objets intéressant l'histoire qui seraient trouvés dans les fouilles continueront à être déposés au Musée de Bruxelles (Art. 5). D'après X. Stainier (1903), ce transfert avait déjà eu lieu, après la dissolution par Guillaume 1er en 1825, et " les fossiles furent remis au Musée de Leiden, où ils se trouvent sans doute encore ". Il rappelle que le bâtiment, dans lequel le dépôt avait été institué, avait été complètement détruit lors d'un incendie peu de temps après la dissolution, et de se poser la question de " ce que l'on aura pu transférer de nouveau en 1841 ".
Rappelons également que c'est à cette époque que Philippe-Charles Schmerling (1791-1836), médecin hollandais fixé à Liège en 1821, découvrit dans une grotte à Engis (1829), des restes animaux et humains, qui font de lui le fondateur de la paléontologie humaine et de la préhistoire (Morren, 1838).
En 1816, l'Académie, fondée en 1772 par l'impératrice Marie-Thérèse, venait d'être reconstituée. Ce corps savant mit successivement au concours la description géologique de chacune de nos provinces : le Hainaut fut publié par Drapiez, en 1823 ; la province de Namur par Cauchy, en 1825 ; le Luxembourg par MM. Steininger et Engelspach-Larivière, en 1828 ; la province de Liège par Dumont et Davreux, en 1832 ; enfin celle de Brabant par Galeotti, en 1837. L'Académie couronna également en 1826, le mémoire de A. Belpaire sur les changements que nos côtes ont subis depuis la conquête de César jusqu'à nos jours (Mourlon, 1880).
François-Philippe Cauchy (1795-1842) né à Abbeville, était ingénieur de l'Administration des mines, œuvrant dans les provinces de Namur et du Luxembourg. Son mémoire se distingue par l'abondance et la précision des détails locaux. L'œuvre la plus importante de Cauchy fut la Carte administrative et industrielle, comprenant les mines, minières, carrières, usines, etc., de la Belgique (1842).
Pierre Drapiez (1778-1856) avait déjà publié à Paris, en 1821 une Minéralogie usuelle et publiera à Bruxelles, en 1836, un Dictionnaire de chimie et de minéralogie (Van Beneden, 1897).
Les deux auteurs des mémoires relatifs à la province de Luxembourg nous sont bien connus grâce à l'article de J. A. Massard (1996). Johannes Steininger (1794-1874) est le fils d'un chirurgien de St. Wendel (Allemagne). Après des études, il enseigne au gymnase de Trêves et s'adonne pendant ses nombreux temps libres à des recherches et des voyages géologiques. La cécité le forcera malheureusement à abandonner ses chères recherches. Par contre, le mémoire de Engelspach-Larivière (1799-1831) a été contesté dès sa parution. " Peu fiable pour le géologue, le travail garde un intérêt pour l'historien en raison des nombreuses données sur les richesses minérales du pays et leur exploitation " (Massard, 1996). Mais le personnage est digne d'un roman. Il est né à Bruxelles en 1799, d'un père artiste dramatique alsacien (Larivière était son nom de scène) et d'une mère belge. Après un passage à l'École royale des mines de Paris, il effectue un voyage à travers l'Europe du nord, les pays scandinaves et la Russie, financé par un tas de petits emplois, dont le but était de " s'avancer dans l'étude de la minéralogie et de la géologie ". À cause de ses activités politiques, sa nomination à la chaire de géologie du Musée des sciences et des lettres de Bruxelles ne sera pas ratifiée par les autorités. Il avait pourtant déjà accumulé les publications et son mémoire lui avait valu la médaille d'argent au concours académique de 1829. Engelspach-Larivière est surtout connu pour le rôle important qu'il a joué lors de la Révolution belge. Dans les premiers jours de septembre, Engelspach fut nommé chef d'état-major de la 5e section et fut rapidement promu au grade d'agent général du gouvernement provisoire. Il siégeait, à ce titre, à l'hôtel de ville de Bruxelles. Malheureusement il ne tira aucun bénéfice de son dévouement révolutionnaire car, alors que Léopold 1er venait d'être intronisé, il mourut dans son bain d'une attaque d'apoplexie (Alvin, 1878).
Henri-Guillaume Galeotti (1814-1858) est né à Paris, d'un père immigré milanais en Belgique. Son mémoire, écrit alors qu'il avait à peine vingt-et-un ans, attira sur lui l'attention des géographes, les frères Van der Maelen, qui lui proposèrent une mission scientifique au Mexique. Après un détour malheureux par le commerce des plantes vivaces pour lequel il n'était pas doué, il fut appelé, en 1853, à la direction du jardin de la Société royale d'horticulture, devenu aujourd'hui le Jardin botanique de l'État. Malgré un décès prématuré, il laisse une quantité impressionnante de publications, tant de botanique que de géologie (Crépin, 1880).
Le mémoire d' André-Hubert Dumont (1809-1857) concernant la constitution géologique de la province de Liège (1832) ouvrit une ère nouvelle pour la géologie de notre pays. L'auteur de ce mémoire n'avait que 19 ans et d'Omalius " ne savait pas s'il s'agissait de découvertes réelles ou des inventions d'une imagination ardente ". Pour d'Omalius, il s'agissait d'un " travail si remarquable pour qu'il n'en connut pas l'auteur, et trop extraordinaire pour que je ne désirasse pas d'en avoir la démonstration ".
Ce jeune savant, " qui semblait n'avoir que 15 ans " était arpenteur et géomètre des mines. " Ces premières occupations ont sans doute influé beaucoup, comme l'a dit d'Omalius, sur la tendance stratigraphique de sa méthode ". Après le succès du concours, et sur insistance de d'Omalius, il s'inscrivit à l'université de Liège, dont il sortit en 1835 avec le grade de docteur et devint la même année, et ce jusqu'à sa mort en 1857, professeur à l'université de sa ville natale, dont il devint également recteur. A partir de ce moment, et sur ordre du gouvernement, il se lança dans le levé détaillé de la Carte géologique de Belgique, publiée à 1/80 000 en 1849 et une autre à 1/160 000, en neuf feuilles, mise dans le commerce en 1853. Il est étonnant que celui qui est considéré, à juste titre, comme l'un des pionniers de la stratigraphie, ait été allergique à la paléontologie. En 1847, il fit même à l'Académie une communication Sur la valeur du caractère paléontologique en géologie dans laquelle il attaque les applications de cette science, après une autre sur la Constitution géologique des terrains tertiaires (1839), dans laquelle il avait jugé à propos de donner aux différentes divisions des noms tirés de localités belges, tels que Landénien, Bruxellien, Tongrien, Diestien, etc. Il fit de même pour les autres subdivisions de notre échelle stratigraphique. Actuellement, la plupart de ces noms sont encore utilisés à l'échelle mondiale.
Dumont se plaignait du peu d'enthousiasme que suscitaient ses travaux. D'Omalius d'Halloy (1858) écrit dans la biographie qu'il lui consacra : " Dumont, entièrement absorbé par la géologie, n'avait aucune idée de la politique ; il ne connaissait ni la droite, ni la gauche, et il ne se doutait pas qu'un Ministre trouve peu de charmes dans un travail ordonné par un prédécesseur, surtout si ce prédécesseur appartenait au parti opposé ; ainsi fut-il atterré de la froideur avec laquelle sa carte fut accueillie ". On croirait lire un texte contemporain.
La Société géologique de Belgique créa en 1949, à l'occasion de son 75e anniversaire, une médaille André Dumont qui, depuis 2001, est décernée par Geologica Belgica (Groessens, 2008).
Son fils, André Dumont (1847-1920), était ingénieur, éminent géologue et professeur à l'université catholique de Louvain. C'est le véritable inventeur des mines de charbon du Limbourg, qui firent la prospérité de notre pays pendant plus d'un siècle. Je le cite ici, car on confond généralement père et fils.
Voyons d'abord quels sont les principaux protagonistes de ce que Van Paemel a appelé la " crise de la géologie belge ".
D'un côté, nous avons Gustave Dewalque (1826-1909) et les membres de la Société géologique de Belgique et de l'autre, Édouard Dupont (1841-1911).
Dewalque est le successeur d'André Hubert Dumont à l'université de Liège, où il occupera la chaire de géologie de 1857 à 1897.
Au début de sa carrière, il étudia les grès liasiques du Luxembourg et démontra la variabilité des faciès géologiques à un même moment de l'histoire de la Terre. À cette époque, beaucoup de géologues croyaient encore à l'uniformité des sédiments du même âge, liée à la théorie des cataclysmes. Ce fut déjà un premier point d'accrochage avec Édouard Dupont et sa " Théorie des lacunes ".
Il est aussi un des premiers à voir dans les marbres rouges du Frasnien " des récifs de polypiers, qui se sont développés sur le fond de la mer où se déposaient des schistes ". Dans cette matière, Dupont lui emboîtera le pas et deviendra l'un des spécialistes du domaine. En 1868, Dewalque publia un Prodrome d'une description géologique de la Belgique, travail très remarqué, qui complétait l'œuvre inachevée de André Hubert Dumont. En fait, aucune discipline de la géologie n'échappa à l'investigation de Dewalque.
Fig. 4. Gustave Dewalque (1828-1905). Successeur d'André-Hubert Dumont à la chaire de géologie de l'université de Liège, il publie une longue liste de travaux dans les différents domaines des sciences minérales et fonde en 1873 la Société géologique de Belgique.
Édouard Dupont est né à Dinant, où une rue porte son nom. Son biographe, François Stockmans (1965), écrivait de lui : " Dupont fut autoritaire, comme il arrive et convient à toute personne chargée de direction, parfois jusqu'à l'entêtement dans l'erreur. Il s'aliéna les sympathies de personnages sans doute plus autoritaires encore. Heureusement, le demi-siècle écoulé depuis son décès, aura fait ressortir dans tout son éclat ce que la science belge doit à cet éminent géologue ayant relégué de tristes querelles personnelles au second plan ".
Bien que docteur en sciences naturelles de l'université de Louvain, sa véritable école de géologie fut ses contacts avec d'Omalius d'Halloy, ami de la famille. Dès les premières années, ses recherches furent axées d'une part sur le calcaire carbonifère et d'autre part sur les fouilles des cavernes des vallées de la Meuse et de la Lesse, qui le retiendront pendant une grande partie de sa vie.
À l'âge de 27 ans, devenu directeur du Musée royal d'Histoire naturelle de Belgique, il se montra à la hauteur de sa tâche : l'institution connut une croissance rapide et acquit une réputation internationale, tant et si bien que les locaux de l'ancien palais de Charles de Lorraine furent vite trop exigus. Le transfert vers le quartier Léopold fut envisagé et le roi inaugura les nouvelles installations en 1891.
En 1875, l'Académie royale de Belgique chargeait Dewalque, Dupont et Briart de faire un rapport sur l'opportunité de lever une nouvelle carte géologique et, l'année suivante, le ministre de l'Intérieur institua une commission à cet effet. Très rapidement, le débat au sein de cette commission s'envenima, sur l'échelle à adopter d'abord, sur le principe d'exécution ensuite. Dewalque défendait l'idée d'une commission composée de géologues, nommés par le roi, exécutant le travail sous la responsabilité administrative et scientifique de son président. Cette commission pouvait s'adjoindre des collaborateurs et éventuellement, créer un service spécial pour accélérer le travail.
Malgré des interventions des membres de la Société géologique auprès du ministre et de la Chambre, visant entre autres à rattacher le levé de la carte à l'École des mines de l'université de Liège, un arrêté royal du 16 juillet 1878 confia la réalisation de la Carte géologique de la Belgique au directeur du Musée et créait la Commission de la carte géologique de Belgique, dépendant du ministère de l'Intérieur et composée d'académiciens et de fonctionnaires, ainsi qu'un Service géologique rattaché au Musée royal d'Histoire naturelle. Cet arrêté prévoyait la conclusion de conventions avec des " géologues libres ".
On écartait donc l'initiateur du projet - Dewalque - de la direction de cette œuvre. Aussi Lohest remarquait-il en 1911 : " La lutte commence, lutte dirigée par un seul homme contre une institution officielle ". " Lutte aveugle, écrira Stockmans, qui se traduisit par une polémique acharnée, avec tout ce que ce mot comporte de péjoratif, qui amena Dupont à se raidir et à ne pas toujours accepter des remarques justifiées de collègues membres de la Commission administrative de la Carte, en même temps que géologue de grande valeur ".
Le projet de Dewalque prévoyait que c'était la Commission qui avait la responsabilité des échelles stratigraphiques et les imposait aux collaborateurs. Pour Dupont, les géologues se verraient confier un étage à lever dans toute l'étendue du pays et mettraient leur propre échelle stratigraphique au point.
L'équipe de cartographes du Musée rassemblait Édouard Dupont pour le Carbonifère, et Michel Mourlon pour le Dévonien, qui furent rejoints par Ernest Van den Broeck, Aimé-Louis Rutot et John Clay Purves pour les couches secondaires, tertiaires et quaternaires.
John Clay Purves (1825-1903) était un médecin écossais, grand voyageur, attaché à la section de conchyliologie du Musée d'Histoire naturelle de Bruxelles et à ce titre, il fut associé aux travaux de la carte géologique du royaume et s'attacha à l'étude du Houiller inférieur et du Crétacé.
Aimé-Louis Rutot (1847-1933), bien connu des préhistoriens, était conservateur au Musée d'Histoire naturelle. Sa contribution à la connaissance du Maestrichtien, du Sénonien et du Montien fut importante. Après sa carrière officielle il se tourna, pas toujours avec bonheur, vers des sciences occultes et parallèles.
Ernest Van den Broeck (1851-1932), également conservateur au Musée d'histoire naturelle, publia de nombreux travaux consacrés aux mollusques et aux foraminifères vivants et fossiles. Son livre Les cavernes et les rivières souterraines de la Belgique est un ouvrage qu'on s'arrache encore de nos jours, chez les antiquaires. Il est aussi l'auteur d'études sur la mise en scène au théâtre et l'auteur de Notes critiques par un abonné au Théâtre royal de la Monnaie (ndlr : l'Opéra national). Il fonda également la Société belge de Botanique et créa chez lui, à Genval, un " Jardin alpino-japonais " [sic] qui eut le privilège d'une visite royale. C'était aussi un grand collectionneur d'art japonais ; ses collections constituent la base de la section extrême-orientale de notre Musée d'art et d'histoire.
Ernest Van den Broeck fut le premier secrétaire général de la Société belge de Géologie. Cette société créa en 1989, à l'occasion de son centenaire, un prix et une Médaille Van den Broeck (Groessens, 2008).
Pour ne pas simplifier les rapports entre institutions, l'impression de ces premières cartes ne fut pas confiée à l'Institut cartographique militaire, mais à un imprimeur de Leipzig. Les rapports entre Dupont et les " géologues libres " s'envenimeront aussi très rapidement. La polémique se cristallisait au sein de la Société géologique de Belgique entre Dewalque et Rutot.
Le débat à la Société géologique se prolongera par le dépôt d'une pétition à la Chambre des représentants. C'est en soutenant que cette pétition était mensongère que Van den Broeck déclenchera une vive polémique qui aboutira à son exclusion, avec Rutot, de cette société et à la création, en 1887 de la Société belge de Géologie, de Paléontologie et d'Hydrologie ayant son siège à Bruxelles. Dès la première année, la nouvelle Société comporta 176 membres effectifs, 61 associés et 50 honoraires, ce qui reflète bien le malaise des géologues belges ainsi partagés. Ces deux sociétés, plus que centenaires, fusionneront enfin pour devenir Geologica Belgica dont l'auteur de cet article est fier d'avoir assumé la première présidence (1994-1996).
Selon G. Vanpaemel (1996), Dewalque recherchait la reconnaissance de la géologie, section nouvellement créée dans son université, comme science pure, pratiquée exclusivement par des géologues professionnels. Pour Dupont, qui partageait avec des amateurs sa passion pour la paléontologie et la préhistoire, la géologie se devait d'être une science populaire. Elle avait en effet été popularisée par les ouvrages largement diffusés et plusieurs fois réédités de d'Omalius d'Halloy ainsi que par de nombreux paléontologues amateurs fréquentant assidûment les collections du Musée. En conclusion, les disputes au sein de la communauté géologique belge résultaient des différences d'appréciation de la manière dont cette science devait être pratiquée.
Neuf planchettes à l'échelle 1/20 000 étaient publiées en 1885, lorsque les crédits furent suspendus par le gouvernement en butte aux critiques et aux attaques croissantes. Le gouvernement décréta, le 16 décembre 1896, l'institution d'un nouveau Service géologique rattaché à l'Administration des mines dont Michel Mourlon (1845-1915), qui avait été exclu du Service de la carte, devint le premier directeur (le Premier ministre et futur prix Nobel, Auguste Beernaert, était son beau-frère). La direction du Musée n'y collaborera pas.
Édouard Dupont se releva difficilement de sa défaite ; il entreprit d'abord un voyage au Congo (1887-1888), puis il multiplia ses recherches sur les calcaires dévoniens et carbonifères et sur les fouilles méthodiques dans les cavernes de la province de Namur.
Il faut signaler qu'Édouard Dupont a laissé des traces, autres que celles signalées ci-dessus, dans l'histoire des sciences. Il fut le premier à dresser des cartes géologiques détaillées de la région de Dinant (1865) et à établir une échelle stratigraphique du Calcaire carbonifère (1863). Ce sous-système, appelé depuis " Dinantien " en hommage aux travaux de Dupont (de Lapparent, 1893) a disparu de la légende internationale en 2004 (Groessens, 2006).
Michel Mourlon, obtint un doctorat en sciences naturelles à l'université de Bruxelles (1867), entra au Musée d'Histoire naturelle en 1869 et, trois ans plus tard, en deviendra le chef de la section de géologie. Outre ses activités cartographiques, il organisa le nouveau Service géologique de façon moderne, créant un centre de documentation scientifique à but théorique et utilitaire. La bibliothèque et le répertoire universel des sciences géologiques, dont il jeta les fondements, resteront longtemps la référence pour les institutions étrangères similaires. Il est l'auteur d'une remarquable Géologie de la Belgique en deux volumes (1880-1881). Lors des travaux de la carte, Dupont s'était réservé le calcaire carbonifère et Mourlon fut chargé de l'étude et du levé des couches dévoniennes supérieures, mais il continua à s'intéresser aux autres constituants du sous-sol de la Belgique et à publier sur les terrains crétacés et tertiaires et plus particulièrement sur ceux affleurant aux environs d'Anvers. Il pris sa retraite en 1912 et s'éteignit trois ans plus tard.
Fig. 5. Michel Mourlon. (1845-1915). Chef de la section de géologie du Musée d'Histoire naturelle de Bruxelles, il devint le premier directeur du Service géologique de Belgique, rattaché à l'Administration des mines.
Un arrêté royal du 31 décembre 1889 créait une Commission géologique de Belgique (1890-1903) qui aboutira à la réalisation de la presque totalité de la couverture à 1/40 000. Il faudra attendre 1919 pour que l'œuvre soit totalement achevée. En effet, la planchette de Dinant-Hastière, œuvre de Henry de Dorlodot (1855-1929) ne fut publiée qu'en 1919, après les décès de Dupont et Mourlon, auteurs de la première carte et la fin de la Grande Guerre. Le retard dans la publication avait, entre autres, été causé par la difficulté de l'élaboration de la légende du Dévonien et du Carbonifère, et en particulier du figuré du Waulsortien, de la dolomie et de la Grande Brèche.
Parallèlement à la publication des cartes à 1/40 000, l'Institut cartographique militaire procèdera à l'impression d'une carte d'ensemble à 1/160 000 qui sera exposée une première fois à l'Exposition internationale de Liège en 1905.
La Belgique pouvait s'enorgueillir de posséder la première carte géologique à grande échelle au monde et plus d'un pays d'Europe devra attendre des dizaines d'années pour obtenir un résultat semblable. L'œuvre, achevée en 24 ans - un peu en retard, il est vrai, sur les délais prescrits -, devait beaucoup à l'activité et à la persévérance de Mourlon (Boulvain, 1993).
La réforme de l'État belge, entamée en 1980, a conduit à conférer au pays une structure de type fédéral. La loi, modifiée en 1988, entraîna, dans le cadre des nouvelles institutions, la gestion par ces régions de leurs ressources naturelles et donc de leur sous-sol. Le Service géologique de Belgique étant resté de la compétence de l'État fédéral, son existence était un sujet de discussions aux différents niveaux de pouvoir.
Parallèlement, le ministère des Affaires économiques s'est restructuré et les compétences résiduaires de l'Administration des mines, dont dépendait le Service géologique, ont été redistribuées au sein d'une nouvelle Administration de la qualité et de la sécurité. En 1995, la vénérable Administration des mines disparaissait et avec elle, les raisons de l'existence d'un Service géologique au sein du ministère des Affaires économiques.
Le Service géologique de Belgique fut rattaché, par arrêté royal du 2 août 2002, à l'Institut royal des Sciences naturelles de Belgique. Le Service réintégrait cette institution après plus de cent ans de schisme, ce qui mettrait fin à la querelle " Dupont-Dewalque ", vieille de plus d'un siècle, que nous avons évoquée plus haut.