TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Première série -
(1978)

Robert BROUSSE

Trois grands sujets de débats en terre volcanique d'Auvergne
Première partie : L'origine des basaltes.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 16 juin 1978)

Actuellement, l'origine des basaltes se discute dans le détail de la physico-chimie du Manteau supérieur de la Low Velocity zone [LVZ]. En corollaire, les volcans s'enracinent à quelques 50-100 km de profondeur. Mais, aux alentours de la fin du XVIIIè siècle, l'approche de ces problèmes balbutiait. Il peut même nous apparaître, peu vraisemblable aujourd'hui, que l'origine des produits rejetés par les volcans ait pu être discuté alors que l'observation des éruptions montre à l'évidence la venue per ascensum des laves depuis l'intérieur de la Terra. L'application du principe fondamental des "causes actuelles et des causes anciennes" aurait dû mettre en accord tous les géologues mais encore auraît-il fallu identifier les basaltes anciens aux basaltes récents.

Si les thèmes de discussion, il y a près de deux siècles, différaient de ce qui retient actuellement l'attention, il en est aussi de même des lieux géographiques où se font les discussions. Chacun sait que les séries et les roches volcaniques sont actuellement regardées en fonction de ce qui en est écrit en langue anglaise. Hawaii, Sainte-Hélène, Gough, Tristan da Cunha...., tous lieux dont l'accessibilité est pour le moins rare, et même le Skaergaard englacé au Groenland voire les laves de la Lune sont les références de bon aloi. Nos anciens, à l'inverse, choisissaient plus prosaïquement leurs exemples de discussion en des régions aisées à atteindre. L'Europe, et plus particulièrement l'Auvergne, étaient alors les terres d'élection où se répétaient les observations et où, sur le terrain, s'engageait la controverse. Non seulement, le lieu de discussion a été déplacé mais qui plus est, nombre de spécialistes des Sciences de la Terre - le qualificatif de géologue tend à devenir désuet - regardent comme une "auvergnaterie" sans intérêt et presque indécente toute étude au coeur de la France qui est si (trop) facile à visiter.

Première partie :
l'origine des basaltes

L'écho persiste des âpres et peu amènes disputes entre "Vulcanistes" et "Neptunistes". Alors "deux opinions entièrement opposées l'une à l'autre... partagent les savants ; les uns veulent que les basaltes doivent leur formation aux volcans ; d'autres veulent qu'ils la doivent aux eaux ; les uns sont vulcanistes, les autres neptunistes" (LACOSTE, 1803, p. 131).

"Dans la grande scission des naturalistes, les uns, sous l'autorité de WERNER, rapportent tout à l'eau, les autres, sous l'autorité de HUTTON, rapportent tout au feu" (MONTLOSIER, 1834, p. 13).

Et, aux environs de Clermont-Ferrand, au plateau de Pradelle ou à la "Roche Percée", "l'un (le Professeur JAMESON] me disait, en me prenant par la main : vous voyez bien, Monsieur, que ceci est le produit de l'eau, l'autre [le Docteur PLAYFFER) vous voyez bien que c'est le produit du feu" (MONTLOSIER, 1834, p. 49).

Le sujet de discussion ne portait pas sur les volcans en éruption qui émettent des scories et des laves, mais sur ce que, sans l'ombre d'une hésitation nous considérons actuellement comme identiques : les basaltes. A l'époque, il y avait deux espèces de roches ; les laves actuelles et les basaltes anciens, "une distinction qui offre tout à la fois une erreur et un double emploi" (CORDIER, 1808). Essayons de retrouver les raisons qui retardaient l'identification :

- les basaltes sont massifs et non poreux (observation non absolument rigoureuse). A l'époque, les déjections volcaniques doivent porter "l'empreinte du feu" et doivent être vacuolaires. Sinon "le prompt refroidissement occasionné par l'immersion dans l'eau (doit) empêche(r) le dégagement des substances gazeuses, (un) dégagement qui produit des boursouflures, et donne par conséquent des laves poreuses" (LACOSTE, 1803).

Bien entendu, le regard aux coulées anciennes ignorait alors les scories basales (peu souvent observables) et oubliait que l'érosion avait décapé les scories de surface.

- les basaltes sont homogènes en qualité et leur hauteur est constante. C'est là ce qu'offre l'observation d'une falaise dont l'aspect n'est effectivement pas très éloigné de celui d'une corniche de calcaire urgonien, par exemple.

Certes, les quelques 10 à 30 mètres d'épaisseur de bien des coulées diffèrent des 3 mètres moyens des coulées modernes, par ailleurs bombées et hétérogènes.

- les basaltes sont prismés et n'ont donc pas coulé. Les colonnades verticales des coulées sont regardées comme étant nées sur place, et, par extension, toute la coulée se serait construite in situ sans avoir jamais été déplacée. Certes, l'intérieur des coulées est bien différent des seules parties observables qu'offrent les coulées modernes à savoir leur surface. Celles-ci sont torsadées (lave aa) ou fortement scoriacées (pahoehoe) et elles présentent donc soit des traces d'écoulement soit des traces du feu au sens alors restreint déjà précisé.

Les vieilles coulées n'ont pas conservé leurs surfaces. Elles se sont prismées lorsque arrêtées, elles se sont refroidies. L'erreur a été, a l'époque, de confondre toutes les phases de l'histoire des laves.

La position,qu'ont les basaltes prismés anciens, obtenue par inversion de relief, perchée, ou en plateaux, - la Limagne en a de nombreux exemples : Gergovie, Côtes de Clermont, etc.. - a été aussi avancée comme un argument irréfutable de leur impossibilité d'écoulement. Ecoutons : "Les grandes colonnes basaltiques qu'on trouve, leur position, la continuité et la liaison régulière qu'on remarque souvent entr'elles ne permettent pas de penser qu'elles puissent s'être formées de la matière sortie d'un volcan. Car on ne devrait voir ces colonnes de basaltes qu'au pied d'un volcan (puisque) cette matière coule ordinairement vers le bas de la montagne. Or, on trouve des sommets de montagne qui sont farcis de cette espèce de colonnes sans qu'on remarque même entr'elles aucune cavité, aucune voûte, aucun cratère" (COLLINI, 1781).

- les basaltes ne proviennent pas d'un volcan. En remontant les affleurements de basaltes anciens, il est en effet classique de ne rien trouver en amont. Ceci est le cas du fameux exemple de discussion en Auvergne : la coulée de la Roche Percée qui partout semble posée sur le socle.

De fait, lorsque le volcanisme est âgé, ses parties les plus aisément altérables et déplaçables, ont été entièrement enlevées. Les scories des volcans disparaissent alors que ne subsistent plus que les coulées massives, résistantes, déchaussées par l'érosion en hautes mésa.

C'est bien entendu, le cas des basaltes d'Outre Rhin car "dans toute l'Allemagne... je n'ai trouvé aucun cratère... (ni] même de scories : singularité qui m'a fait comprendre comment WERNER, jusqu'à sa mort,... ait pu refuser aux basaltes de toute espèce, le caractère volcanique" (MONTLOSIER, 1834, p. 13).

- les basaltes sont réguliers et ne dérangent pas. Le sein d'une coulée aux prismes réguliers déjà signalés, comme leur substratum, non bousculé, - telle que "la couche de bol ou terre de Memnos qui sépare le basalte de Pradelle du granite" (Von BUCH, 1803] - sont alors donnés comme des preuves de mise en place, calme et à froid. Sinon, et "si ces basaltes avaient été chauds, à la place où ils sont, le feu aurait dû nécessairement renverser l'ordre, la symétrie et 1'arrangement" (COLLINI, 1781).

- les basaltes ne "brûlent" pas à leur semelle. "Toute la masse du basalte qui recouvre les sommités du Meissner se trouve reposer sur un banc immense de lignite demeuré intact. WERNER disait aux vulcanistes ; si votre basalte était un produit igné, il aurait mis, au premier moment, le feu à ce lignite ; comme il n'en a reçu aucune atteinte, votre basalte ne peut être igné ; il doit être relégué dans les trapps" (MONTLOSIER, 1834, p. 52).

Certes, les matières carbonées - bois, lignites - à la semelle des coulées n'ont pas brûlé mais cela n'est pas dû à un défaut de chaleur. Le manque d'oxygène, l'isolement précoce de ces matières par des scories ou par une gaine de verre (cas d'arbres emballés dans une coulée), le fort gradient dégressif de la température dans le sous-sol qui, pour une coulée à 1200°C, ne débute qu'à 700-750°C au contact, en sont les responsables.

- les basaltes sont stratifiés. Deux à plusieurs centaines de coulées peuvent être empilées sur quelques dizaines à plus de 2.000 mètres de hauteur. Et, bien évidemment, ces trapps miment à la perfection les empilements sédimentaires. La confusion était possible mais au prix d'une faute de raisonnement. Parce que l'ensemble est stratifié, l'unité d'empilement - la coulée - est une strate et elle a donc une origine sédimentaire. Et, dès lors, même lorsqu'une coulée est unique - ce qui est un cas fréquent - elle est aussi d'essence sédimentaire puisqu'elle est susceptible d'être l'élément d'un empilement.

"Insolently triumphant dogma (p. IX)..., fatal bar to the progress of sound geological science which it was above all things desirable to remove (p. VI)" (POULETT-SCROPE, 1858), l'attribution des basaltes à un processus sédimentaire a eu d'autant plus de force que "l'illustre WERNER était Neptunien. On sent combien un nom comme celui-là donne de la consistance à une opinion, et combien on doit mûrement réfléchir avant d'embrasser une opinion contraire" (LACOSTE, 1803, p. 42).

Cette histoire, comme bien d'autres dans les approches de la Science géologique, pourrait servir de leçon et elle devrait tempérer l'assurante vérité qu'imposent les vedettes, mentors, et autres politico-scientifiques, diffuseurs de modes d'autant plus officielles, qu'ils sont en même temps les juges-puristes rejetant dans l'erreur les "mauvais" qui ne partagent pas l'idée, la "bonne" méthode d'approche des problèmes, le verbe sonnant ; ceux qui n'étant pas dans la cohorte des censeurs, ne sont pas "dans le vent".

Car, indépendamment de la réponse donnée à un problème - ici, celui de l'origine des basaltes - il y a toute une Kyrielle de conséquences. A titre d'exemple, le Neptunisrne a eu pour effet de vieillir les éruptions volcaniques d'Auvergne. Tous les basaltes étant nés sous l'eau, les plus jeunes d'entre-eux ne pouvaient qu'être contemporains de la dernière inondation de la Limagne.

Et même lorsque le Neptunisrne fut abandonné la corrélation mer-coulées de laves fut curieusement conservée. En effet "c'est parce que la mer a fait une irruption [en Auvergne] qu'il y a eu des volcans : elle s'est retirée, ils se sont éteints. Tout porte à croire que la mer seule peut leur donner naissance et leur fournir les alimen(t)s nécessaires pour entretenir le principe de leur vie" (LACOSTE, 1803, p. 191), De la sorte, "le temps où les volcans d'Auvergne étaient en activité sera toujours inconnu ; ils ont brûlé quand le sol d'Auvergne n'était pas habité par les hommes,... à une date plus ancienne que celle assignée par la chronologie de Moïse... à la grande époque du Déluge" (DELUC, 1802) car les eaux qui ennoyaient la Limagne "ne sont qu'un résidu de celles du Déluge qui, ne pouvant en franchir les limites, s'y fixèrent, et furent entretenues par les rivières et les ruisseaux multiples et abondan(t)s qui y abordaient" (DELARBRE, 1836, p. 13),

En corollaire de l'assurance précédente venait un pronostic infaillible sur l'avenir car, en effet, "quand on est séparé des mers par de réelles distances, craindre que les volcans se rallument sur le sol (auvergnat), c'est concevoir des alarmes sur des choses impossibles, c'est concevoir des alarmes on ne peut plus chimériques et mal fondées ; c'est le comble de la déraison" (LACOSTE, 1803, p. 191).

Par un phénomène inquiétant, l'idée de la grande ancienneté des basaltes en France restera très longtemps implantée.

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CITATIONS

BUCH, L. Von (18031. - Observations sur les volcans d'Auvergne. J. Mines., n° 76, p. 249-256.

C0LLINÏ, M. (1781). - Considérations sur les montagnes volcaniques. Lib. Schwan et Fontaine Mannheim, 64 p.

C0RDIER, L. (1800). - De la manière d'être du fer titané dans les roches volcaniques et du rôle qu'y joue ce minéral. J. Mines., n° 125, p. 55-74,

DELARBRE, A. (1836). - Notice sur l'Auvergne et la ville de Clermont. Ed. A. Veysset, Clermont-Ferrand, 256 p.

DELUC. G.A. (1802). - Observations générales sur les volcans. J.Mines,n°69, p. 135-173.

LACOSTE, P.F. (1803). - Lettres minéralogiques et géologiques sur les volcans de l'Auvergne. Imp. de LANDRI0T, Clermont-Ferrand, 459 p.

M0NTL0SIER de (1834). - Le Mont-Dors, de sa composition, de sa formation, de son origine. Imp. THIBAUD-LANDRIOT, Clermont-Ferrand, 59 p.

P0DLETT-SCR0PE, G. (1858). - The geology and extinct volcanos of Central France. 2è éd. J. Murray, London, 258 p. [1ère éd. 1826).

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