TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Deuxième série -
T.4 (1986)

Jean GAUDANT
Le COFHRIGEO a 10 ans.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (Séance du 26 novembre 1986)

Avant de souffler les dix bougies de notre Comité, notre Président m'a demandé de dresser le bilan de ces dix ans d'activité, ce que j'ai tenté de faire en prenant en compte plusieurs critères complémentaires d'évaluation.

Je commencerai par un bilan de santé de notre association qui, dix ans après sa création, continue à exercer une forte attraction, comme en témoigne la progression du nombre de ses membres qui est passé de 95 à la fin de 1982 à 104 à la fin de 1984 et qui atteint aujourd'hui 127, dont 124 personnes physiques. Je veux y voir à la fois la preuve d'un dynamisme certain et un encouragement pour l'avenir car ces chiffres prouvent que notre Comité continue à attirer à lui un nombre croissant de confrères. J'y discerne également une faiblesse évidente à laquelle il faudrait remédier : elle tient au nombre trop réduit d'institutions qui reçoivent aujourd'hui nos Travaux. Il y a là une démarche nouvelle à entreprendre, si certains d'entre nous peuvent y consacrer le temps nécessaire : car la pérennité de notre action ne sera valablement assurée que lorsque nos travaux pourront être consultés dans les principales bibliothèques, tant à l'étranger que dans notre pays.

Le succès du COFHRIGEO se traduit également par la distribution géographique de ses membres et par sa structure sociologique, résumées par la carte ci-jointe. On y constate que presque tous les centres universitaires français ayant une tradition géologique affirmée sont désormais représentés et que notre influence s'étend largement au-delà de nos frontières puisque 23 de nos membres (soit 18,5%) résident à l'étranger sur quatre continents. On remarque également que les géologues (universitaires -et assimilés- et praticiens) constituent, comme on pouvait s'y attendre, une majorité massive (80,5%). Je considère enfin comme un indice encourageant le fait que nos membres professionnellement actifs représentent 71,5% de notre effectif, ce qui démontre l'existence, au sein des professions des Sciences de la Terre, d'un réel besoin de documentation et de réflexion historiques. Il va de soi que cette constatation ne diminue en rien l'intérêt qu'il y a pour notre Comité à bénéficier de l'expérience et du pouvoir de réflexion d'hommes et de femmes éminents qui jouissent en outre du privilège de pouvoir disposer plus librement de leur temps que leurs confrères en activité.

Venons-en désormais à la fonction de diffusion assurée par notre Comité. Elle est explicitement résumée par le tableau ci-après :

Années   Tomes   Nombre de pages diffusées  Nombre de communications  Cotisation  Indice INSEE
Première série
1976               6                          2
1977              30                          6                        50 F        x 2,37
1978              41                          7                        50 F        x 2,17
1979              75                          6                        50 F        x 1,99
1980              75                         11                        50 F        x 1,79
1981              66                          7                        50 F        x 1,58
1982             153 *                       12 *                      60 F        x 1,39
Deuxième série
1983      1      106                          9                        70 F        x 1,25
1984      2      127                          8                        80 F        x 1,14
1985      3      121                          9                       100 F        x 1,06
1986      4      108                         15                       100 F
(*) Ce total inclut 26 pages se rapportant aux deux parties d'une communication présentée en 1981.

Ce tableau permet de suivre la montée en puissance progressive de notre activité de diffusion jusqu'à un palier auquel nous avons accédé à partir de 1982 et qui caractérise une certaine maturité de notre Comité face aux contraintes imposées par le rythme de 3 réunions annuelles, que nous pourrions envisager de modifier à l'avenir si un nombre croissant de vocations d'auteurs venait à se manifester.

Pour compléter ce bilan, il n'est pas inutile de signaler, à l'usage de nos confrères non parisiens, que la quasi-totalité des exposés présentés en séances ont pu être diffusés in extenso par écrit car seules, en 10 ans, 7 communications (soit 9%) se sont limitées à un exposé oral. Toutefois, les absents perdent évidemment le bénéfice des discussions.

Si l'on classe désormais les communications diffusées par notre Comité en fonction des périodes historiques étudiées, on constatera que toutes les époques significatives du point de vue du développement de l'esprit scientifique, ont suscité des recherches, comme le montre le tableau suivant, dans lequel les communications dont le sujet couvre plusieurs siècles sont prises en compte plusieurs fois :

Antiquité  XVIè s.   XVIIè s.  XVIIIè s.  XIXè s.  XXè s.
8             4        10        33         50       22
Je proposerai enfin une classification par disciplines géologiques, ce qui permet de constater qu'elles ont pour la plupart donné lieu à une ou plusieurs communications, bien que certaines branches comme la Pétrographie, la Tectonique, la Géophysique, la Cartographie et la Géochimie soient encore sous-représentées, voire absentes. On notera en revanche que les disciplines à composante historique fondamentale comme la Paléontologie, la Stratigraphie et la Géologie sédiraentaire, sont, en toute logique, celles qui ont préférentielleraent inspiré les auteurs :

S'agissant d'un organisme en pleine santé comme en plein essor, il serait mal à propos de s'en tenir à un état de choses provisoire. Aussi me limiterai-je à formuler ici des voeux d'espoir afin qu'au cours de sa seconde décennie, le Comité français d'Histoire de la Géologie accroisse suffisamment son rayonnement pour favoriser la prise de conscience : celle de la nécessité d'inclure l'histoire des sciences dans la formation des jeunes futurs confrères en Géologie. En effet, ayant appris à situer, avec un recul critique, l'état actuel de la science dans une perspective historique au déroulement continu, ceux-ci devraient être plus susceptibles de construire une communauté scientifique plus ouverte, c'est-à-dire moins dogmatique et moins sectaire, dans laquelle chacun cesserait d'être obnubilé par les seuls intérêts de sa discipline - voire de son école - au détriment d'une pluridisciplinarité plus que jamais indispensable.

 





Jacques ROGER
Bon anniversaire !

Il y a trente ans, l'histoire de la géologie était une discipline pratiquement désertée. Les rares ouvrages existants, essentiellement anglais ou américains, dataient du début du siècle ou des années trente. Pour leurs auteurs, la science géologique était apparue au début du XIXè siècle. Avant cela, il n'existait que des théories fumeuses et fantastiques, que l'on n'offrait à la curiosité du lecteur que pour mieux lui faire sentir la supériorité de la pensée moderne. A l'égard de ces théories anciennes, les auteurs affichaient, tantôt un mépris souverain, tantôt une condescendance attendrie. A peine reconnaissait-on quelque mérite à des auteurs comme Bernard Palissy, dont la pensée restait d'ailleurs incomprise, ou Sténon, qui avait quand même inventé la stratigraphie.

Les discussions des XVIè et XVIIè siècles sur la nature des fossiles étaient l'objet de commentaires apitoyés. En bref, et cette conclusion est à peine caricaturale, les auteurs anciens étaient offerts à la méditation du lecteur un peu comme les hilotes ivres à la jeunesse de Sparte.

Les choses ont beaucoup changé aujourd'hui. En Europe et aux Etats-Unis, l'histoire de la Géologie s'est développée en alliant l'érudition exacte au sens historique. Sans doute reste-t-il encore quelque chose, chez certains auteurs, de l'image que Lyell, en bon avocat de sa propre cause, a donnée de l'histoire de sa discipline. Mais enfin, personne ne peut oublier aujourd'hui l'importance historique des travaux accomplis sur le Continent depuis le XVIè siècle, et particulièrement en Italie, en Allemagne et en France. Les grandes théories de la terre du XVIIIè siècle ont été replacées dans leur contexte intellectuel, et donc ont été mieux comprises, et surtout, on a exhumé et étudié beaucoup de textes oubliés qui montrent que l'observation sur le terrain a été couramment et attentivement pratiquée depuis au moins le XVIIè siècle.

Si la France a pu tenir sa place dans ce renouveau de l'histoire de la Géologie, c'est, il faut le dire, grâce au Comité Français d'Histoire de la Géologie, dont nous célébrons aujourd'hui le dixième anniversaire, et à son animateur, le Professeur Ellenberger.

L'histoire des sciences en général n'est pas une discipline facile, l'histoire de la géologie est peut-être plus difficile que celle des autres sciences. Les idées que l'on a pu avoir sur la terre, sur son relief, sur son histoire, ont été, à travers les siècles et depuis Aristote au moins, partie intégrante de systèmes généraux de pensée où intervenaient la philosophie, la théologie, la cosmologie et la physique. Pour Aristote, ce que nous appelons aujourd'hui "géologie" faisait partie de la météorologie. Interpréter ces idées anciennes en prenant comme point de référence la science moderne, et en les sortant de leur contexte intellectuel, c'était se condamner à ne pas les comprendre. A cette difficulté générale s'ajoutent beaucoup de difficultés particulières. Les textes anciens sont difficiles d'accès, très longtemps écrits en latin, et utilisent un vocabulaire et des notions très éloignés de nos pratiques. Et surtout, s'agissant d'une science qui a d'abord été et reste encore largement une science d'observation, il est très difficile aux savants modernes de comprendre comment les auteurs anciens ont pu ne pas voir dans la nature ce qui nous paraît aujourd'hui si évident. D'où ce paradoxe, qui n'est pas rare en histoire des sciences, qui fait que le géologue moderne, avec sa connaissance du terrain, est le plus apte à comprendre ce qu'ont pu voir les observateurs d'autrefois, mais est aussi, de par sa formation moderne, celui qui a le plus de peine à comprendre pourquoi ils n'ont pas vu ce que lui-même voit si clairement.

Sur un point cependant, les développements récents de la Géologie peuvent aider à mieux comprendre le passé : nous savons mieux maintenant le rôle essentiel des théories même insuffisantes ou erronées, dans le progrès des sciences. L'idéal d'une "science positive" qui régnait au XlXè siècle, d'une science qui se contenterait d'accumuler les observations et attendrait, pour ainsi dire, que les conclusions s'en tirent d'elles-mêmes, cet idéal, nous le savons aujourd'hui, ne correspond pas au fonctionnement réel de la science : c'est par la constante interaction de l'observation et de la théorie que la science progresse. Aussi pouvons-nous mieux juger de l'importance des grandes "théories de la terre" des XVIIè et XVIIIè siècles qui amusaient ou irritaient si fort nos prédécesseurs.

Il reste encore beaucoup à faire, beaucoup de textes à découvrir, beaucoup de théories à interpréter, beaucoup de liaisons à établir entre la pensée géologique ancienne et son milieu historique, intellectuel ou institutionnel. Le "Cofrhigéo", comme nous disons, à du pain sur la planche. Puisse-t-il continuer son effort et rassembler toujours davantage de chercheurs.